jeudi 31 décembre 2015

Journal du 31 décembre 1890

Le duel Leclercq-Darzens, duel-vaccin sur la route. De braves gens, bras croisés, nous regardaient.
- Messieurs, disait Ajalbert, je suis très nerveux, je suis très nerveux. Allez, messieurs, dit-il encore, et faites en gens d'honneur.
Darzens ricanait. Leclercq souriait et tirait un peu au hasard, tandis que son adversaire se servait de son épée comme d'une aiguille, visait la main et avait l'air d'un monsieur qui veut piquer une guêpe sur une feuille de vigne.
- En pensant, me dit Leclercq, que toute cette sale affaire aboutissait à cette piqûre, et que je devais me considérer comme suffisamment vengé des injures de cet homme, j'avais une grande envie de pleurer. Vous êtes furieux, vous, Renard.
Je l'étais, en effet, et, sans vantardise, c'eût été une joie pour moi de m'aligner à mon tour.
- Mais nous sommes des seconds, me dit Paul Gauguin. Pourquoi ne nous battons-nous pas?
Lui aussi était furieux.
Ainsi, voilà deux hommes qui se sont donnés des coups de poing, américains, paraît-il, du côté de Darzens. Ils ont failli s'assommer. Ils se sont vraiment battus, et le point d'honneur - l'honneur qu'il faut satisfaire comme un besoin, les obligeait d'aller ridiculement poser sur la route en face de braves gens gouailleurs, à peine intéressés! C'est grotesque, et dire que je suis tout prêt à être grotesque comme ça!
Le duel est un prétexte à avocasseries, à phrases creuses, à sentences de mirliton. C'est aussi une occasion de boire beaucoup et de ne pas déjeuner. C'est un motif pour faire sortir de leur indifférence quantité d'amis glabres, qui viennent voir le combat comme des hyènes.Ils emporteront chacun un morceau du ridicule qui s'étale en plein air, et le collent en étiquette au nom de leur ami.
J'avais fait un paquet, composé de mes deux épées, d'une couverture et d'un parapluie, si bien réussi que j'aurais été ennuyé s'il m'avait fallu le défaire.

mercredi 30 décembre 2015

Journal du 30 décembre 1903

Elle tousse tout le temps, non par besoin, mais pour faire savoir qu'elle est là.

Incipits

Il pouvait être sept heures du soir. Je sortais du Casino ayant trouvé le moyen de perdre en quelques minutes les billets de banque économisés toute une année en vue de trois semaines de vacances agréables, et j'étais de fort mauvaise humeur.
(Pierre Benoit, Le roi lépreux)

La chambre où j'écris est au troisième étage d'un hôtel du Havre. Elle donne sur un des bassins.
( Tristan Bernard, Aux abois)

Julien dort. Que fait-il? Il ronfle.
(Philippe Soupault,  En joue)

mardi 29 décembre 2015

Journal du 29 décembre 1903

Hervieu avoue qu'il est plus ému que jamais par une première.
- Mais pourquoi rechercher ces émotions?
- Pour avoir des souvenirs, plus tard.
- Mais elles sont toutes les mêmes! Les dernières ne se distinguent pas des premières.
- Elles sont plus fortes: de l'ensemble se dégagera quelque chose de précieux. Ah! c'est un métier où l'on attrape des maladies de coeur et où l'on perd des amitiés.
- Vous faîte allusion à une aventure qui me chagrine. (Sa rupture avec Bernard.)
- Je ne fais allusion à rien. Je parle en général.
Vraiment, ces hommes de si grande valeur me font pitié.  Alors, toute leur vie, c'est des pièces, et encore des pièces? C'est triompher plus que le voisin, encaisser plus que le voisin, et recommencer toujours, toujours? Quand trouvent-ils le temps de regarder à l'horizon?

lundi 28 décembre 2015

Journal du 28 décembre 1889

Écrire un dialogue entre un monsieur qui est en villégiature et connaît la campagne d'après Georges Sand, et un vieux paysan très simple et point chimérique. Le monsieur questionne le paysan sur ses "instruments aratoires", sur sa "chaumine". Les illusions du monsieur poète tombent une à une, cassées aux réponses sèches du bonhomme.

Incipits

Le soleil jetait sur la petite église une lumière acide et glacée. Dans l'air sec, les grondements de la cloche s'envolaient poursuivis par des oiseaux gris.
(Philippe Soupault, Les frères Durandeau)

C'est vers ce temps-là qu'il a commencé à se hasarder jusque dans les rues de la ville, ce qu'il n'aurait pas osé faire auparavant, mais il y avait des choses qui n'étaient pas permises et, à présent, elles l'étaient.
(C.-F. Ramuz, L'amour du monde)

dimanche 27 décembre 2015

Journal du 27 décembre 1906

J'ai une idée comme je regarde un oiseau: j'ai toujours peur qu'elle ne s'envole, et je n'ose pas y toucher.

Incipits

Un hurlement. Un chien renversé et coupé en deux par une automobile.
(Philippe Soupault, Le bon apôtre)

Le 13 décembre 1838, par une soirée pluvieuse et froide, un homme vêtu d'une mauvaise blouse traversa le Pont-au-Change, et s'enfonça dans le dédale de ruelles obscures qui s'étend du Palais de Justice jusqu'à Notre-Dame.
(Eugène Sue, Les mystères de Paris)

Elle souriait si drôlement que je ne pouvais m'empêcher de regarder son visage lunaire et peut-être que, malgré moi,  je répondais à son sourire comme l'on répond à un miroir.
(Philippe Soupault, Les dernières nuits de Paris)

samedi 26 décembre 2015

Journal du 26 décembre 1907

Desgrange. Sa culture m'ayant paru exclusivement physique...

Incipit

- Un article?...tu me demandes s'il y a un article dans mon histoire? Mais, malheureux, un enfant de six ans en ferait une comédie en vers, les yeux bandés!
(Edmond et Jules de Goncourt, Charles Demailly)

vendredi 25 décembre 2015

Journal du 25 décembre 1905

Fin d'année. Notre dernière énergie tombe comme les dernières feuilles.

Incipit

Quelque part en ce monde, il est une philosophe exceptionnelle nommée Florie Rotondo.
(Truman Capote, Prières exaucées)

jeudi 24 décembre 2015

Journal du 24 démbre 1908

Dieu. "Aux petits des oiseaux il donne la pâture", et il les laisse, ensuite, l'hiver, crever de faim.

Incipits

C'était le mois de juin, le soleil du matin sortait des nuages et Alain passait lentement par une rue parisienne.
(Milan Kundera, La Fête de l'insignifiance)

Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée.
(Michel Serres, Petite Poucette)

mercredi 23 décembre 2015

Journal du 23 décembre 1891

Vu, chez Schwob, André Gide, l'auteur des Cahiers d'André Walter. Schwob me présente comme un entêté insupportable.
Si vous ne l'êtes pas, dit Gide d'une voix grêle, vous en avez l'air. 
C'est un imberbe, enrhumé du nez et de la gorge, mâchoires exagérées, yeux entre deux bourrelets. Il est amoureux d'Oscar Wilde, dont je vois la photographie sur la cheminée: un monsieur à la chair grasse, très distingué, imberbe aussi, qu'on a récemment découvert.
Impossible d’avoir  Courteline à dîner. Il dîne tous les soirs dans sa famille.
- Mais, dit Schwob, vous dînez tous les mardis avec Mendès.
- Mendès, c'est encore ma famille, dit Courteline.

mardi 22 décembre 2015

Journal du 22 décembre 1902

On dit d'elle: "C'est une bonne ménagère." Mais Harpagon aussi l'état, bonne ménagère, ce qui ne l'empêchait pas d'être un bien vilain monsieur.

Incipits

Je tiens cette histoire de plusieurs sources, qui m'en ont chacune raconté un fragment, et, comme il arrive généralement dans ces cas-là, c'était chaque fois une histoire différente.
(Edith Wharton, Ethan Frome)

J'ai eu le privilège de choisir, à un moment de ma vie, mon propre prénom.
(François Cheng, Assise)

lundi 21 décembre 2015

Journal du 21 décembre 1900

Cette dragonne de vertu a eu son aventure.
A table, comme elle donne quelque chose à un petit chien, elle sent une main qui tripote la sienne. Elle croit à une erreur. Une seconde fois, elle offre quelque chose au chien, et la même main. Elle est furieuse. Puis, un autre tripotage à la faveur d'une tasse qu'elle présente.
Elle rentre "toute rouge intérieurement". Le lendemain, elle raconte tout à son mari qui lui répond:
- Il devait être saoul.
- Je n'aime pas ça, moi, dit-elle. Je suis un bon garçon. Je ne veux pas que l'on me prenne pour une coquette. Oh! je l'aurais giflé!
Il est coutumié du fait, paraît-il.
- Mais c'est un hommage! lui dis-je.
C'est touchant et drôle, la vertu d'une femme laide. Et le mari répète:
- Pour moi, il était saoul. Sans quoi, je lui aurais dit à notre première rencontre: "Eh! bien, mon vieux, tu en as été pour tes frais."

dimanche 20 décembre 2015

Journal du 20 décembre 1889

Il dressait soigneusement la liste de ceux qui sont arrivés tard, et il se réjouissait de constater que tel contemporain en vogue dépassait la quarantaine. Il se disait: "J'ai bien le temps!"

Incipit

Les mains de joseph sont posées à plat sur ses cuisses. Elles ont l'air d'avoir une vie propre et sont parcourues de menus tressaillements.
(Marie-Hélène Lafon, Joseph)

samedi 19 décembre 2015

Journal du 19 décembre 1905

Je n'ai jamais lu une ligne de M. Bazin, mais je devine ce qu'il vaut, et, si je lisais une page de lui, je dirais: "Je ne me suis pas trompé."

Incipits

La femme allait-elle être condamnée à mort?
(Edmond de Goncourt, La fille Élisa)

J'ai commencé plusieurs fois un journal et ne prends pas au sérieux une nouvelle tentative. seulement je m'ennuie trop.
(Henri Queffélec,  Journal d'un salaud)

Julie de Chaverny était mariée depuis six ans environ, et depuis à peu près cinq ans et six mois elle avait reconnu non seulement l’impossibilité d'aimer son mari, mais encore la difficulté d'avoir pour lui quelque estime.
(Prosper Mérimée, La double méprise)

vendredi 18 décembre 2015

Journal du 18 décembre 1897

Chère madame Félicia-Mallet-dans-son-répertoire, Poil de Carotte vous embrasse, comme c'est son droit.
Il avait un peu peur quand vous vous frappiez si magnifiquement la poitrine.
Il croyait entendre sonner le trousseau des clefs de votre coeur.

Incipits

J'avais toujours soupçonné les géographes de ne pas savoir ce qu'ils disent lorsqu'ils placent le champ de bataille de Munda dans le pays des Bastuli-Poeni, prés de la moderne Monda, à quelques deux lieues au nord de Marbella.
(Prosper Mérimée, Carmen)

La dernière messe venait de finir à Saint-Roch, et le bedeau faisait sa ronde pour fermer les chapelles désertes.
(Prosper Mérimée, Arsène Guillot)

jeudi 17 décembre 2015

Journal du 17 décembre 1902

Maeterlinck. Un grand artiste à qui c'est égal d'ennuyer son lecteur, et qui ne s'arrête pas pour si peu.

Incipits

La petite salle d'attente est morne. Dans un coin, un ficus aux feuilles poussiéreuses. Six fauteuil en plastique se font face sur un lino fatigué.
(Tatiana de Rosnay, Boomerang)

Un soir du mois de mai, vers onze heures, un homme d'une cinquantaine d'années, fort bien fait et de haute mine, descendait d'un coupé dans la cour d'un petit hôtel de la rue Barbet-de-Jouy.
(Octave Feuillet, Monsieur de Camors)

mercredi 16 décembre 2015

Journal du 16 décembre 1906

Éloge funèbre. La moitié de ça lui aurait suffi de son vivant.

Incipits

"Je parie, dit Mme Lepic, qu’Honorine a encore oublié de fermer les poules."
(Jules Renard, Poil de Carotte)

Il y a huit ans, dans un vieux journal, Paris-Soir, qui datait du 31 décembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique: "D'hier à aujourd'hui". Au bas de celle-ci, j'ai lu:
(Patrick Modiano, Dora Bruder)

mardi 15 décembre 2015

Journal du 15 décembre 1890

Sur les jets d'eau, la nuit, grandissent les ours blancs.

Incipits

Le vieil homme s'efforça de regarder ses souliers cirés et les plis que formait, aux genoux, son pantalon clair trop longtemps laissé dans l'armoire.
(Jules Renard, Coquecigrues)

lundi 14 décembre 2015

Journal du 14 décembre 1891

Au dîner du  Gil Blas. Lacour se met à faire le paillasse, à se rouler par terre, pour arriver, sans doute. Des femmes sont assises sur des genoux, et des animaux vont surgir des hommes.
Armand d'Artois:
- Comme je disais à Mendès: "Voyons! Vous n'allez pas me faire croire que les décadents ont du talents, et que les choses que vous avez prises à Moréas pour l’Écho sont bien", Mendès m'a répondu: "Il ne faut pas qu'on les étouffe!..."

dimanche 13 décembre 2015

Journal du 13 décembre 1908

On dit d'un mot qu'il est profond quand il n'est pas spirituel.

Incipits

C'est un homme de quarante ans, un peu raide et lourd, convenablement vêtu.
(Jules Renard l’Écornifleur)

- Quarante scudi?
- Oui, signora.
- Cela fait, n'est-ce pas, en monnaie de France, deux cents francs.
(Edmond et Jules de Goncourt, Madame Gervaisis)

samedi 12 décembre 2015

Journal du 12 décembre 1904

La réalité a tué en moi l'imagination, qui était une belle dame riche. L'autre est si pauvre que je vais être obligé de chercher mon pain.

vendredi 11 décembre 2015

Journal du 11 décembre 1901

Déjeuner chez Blum. Jaurès a l'aspect d'un professeur de quatrième qui ne serait pas agrégé et ne prendrait pas assez d'exercice, ou du gros commerçant qui mange bien.
De taille moyenne, carré. Une tête assez régulière, ni laide, ni belle, ni rare, commune. Beaucoup de poil, mais ce n'est que de la barbe et des cheveux. Un nerveux clignement de paupière à l’œil droit. Col droit, et cravate qui remonte.
Une intelligence très cultivée. Les quelques citations que je fais, auxquelles je ne tiens pas beaucoup, il ne me laisse même pas les achever. A chaque instant, il fait intervenir l'histoire ou la cosmogonie. une mémoire d'orateur toute pleine, étonnante.
Crache volontiers dans son mouchoir.
Je ne sens pas une forte personnalité. Il me fait plutôt l'impression d'un homme dont le bulletin  pourrait être ainsi rédigé: "Bonne santé sous tous les rapports."
A une de ses plaisanteries, il rit trop, d'un rire qui descend des marches et ne s'arrête qu'à terre.
L'accent: un bizarre dédain pour le c d' "avec". La parole lente, grosse, un peu hésitante sans nuances.
Évidemment, il faudrait voir l'acteur qui est dans cet orateur. Et puis, je vis, par la pensée, avec des hommes trop grands pour que celui-là m'étonne.
- Faire un discours ou écrire un article, pour moi, c'est à peu près la même chose dit-il
Je lui demande ce qu'il préfère de l'exactitude d'une phrase, ou de la beauté poétique d'une image.
- L'exactitude, répond-il.
L'homme qui l'a le plus frappé comme orateur, c'est Freycinet.
Il lui est plus facile de parler dans une réunion publique qu'à la chambre, que de faire une conférence. Où il a été le plus mal à l'aise, c'est à la cour d'assises où il défendait Gérault-Richard.
En religion il paraît assez timide. Il est gêné quand on aborde cette question. Il s'en tire par des "je vous assure que c'est plus compliqué que vous ne croyez". Il a l'air de penser que c'est un mal nécessaire, et qu'il faut en laisser un peu. Il croit que le dogme est mort et que le signe, la forme, la cérémonie, sont sans danger.
D'après Léon Blum, il se sépare de Guesde comme tacticien. Socialiste de gouvernement, il croit aux réformes partielles. Guesde n'admet que la révolution complète.

jeudi 10 décembre 2015

mercredi 9 décembre 2015

mardi 8 décembre 2015

Journal du 8 décembre 1906

Bergerat parle du livre d'Abel Bonnard.
- Oui, dit-il, oui, c'est du coton. Il y a du coton dans tous les livres de vers. Il y en a dans les Chansons des rues et des bois.
A ces mots, Mendès pâlit, s'affaisse et murmure:
- Non! non! Je ne peux pas entendre ces choses-là! Je me trouve mal.

lundi 7 décembre 2015

Journal du 7 décembre 1889

Les romanciers parlent souvent de l'odeur de la femme habillée qu'on approche d'un peu près. Il faudrait s'entendre: ou la femme se sert de parfums, et ce n'est pas elle qui fleure, ou cette odeur provient des aisselles et du bas-ventre, et alors c'est qu'elle ne se lave pas. La femme saine et propre ne sent rien, heureusement!

dimanche 6 décembre 2015

Journal du 6 décembre 1892

Vu François Coppée qui dit à Lauze, comme un débutant:
- Je crois que mon article fera du tapage.
Il me complimente sur ma "campagne du Journal", et trouve Poil de Carotte méchant et fort heureusement mangé par les écrevisses.

samedi 5 décembre 2015

Journal du 5 décembre 1899

Chez Antoine. Pas un mot de Poil de Carotte, et nous sommes seuls. Il me parle de la Révolte, de Villiers, qu'on joue ce soir, et qu'il trouve une belle chose: il me fait peur. Le public a suivi tout de travers. Mellot a pu sauter trois pages sans que ça paraisse. "Tant mieux!"" dit Antoine avec un faux air de dompteur.
- Avez-vous connu Villiers?
- Ah! oui. Il était épatant. Il buvait des absinthes vertes. Quel type!
Un employé vient  dire: "Larroumet est dans la salle."
- Il vient quand on ne l'invite pas, dit Antoine.
- Il vient, dis-je, pour apprendre son métier.
Et, tout à l'heure, sur l'ordre d'Antoine, un autre employé ira dire, dans toutes les loges: " Attention! Larroumet est dans la salle."

vendredi 4 décembre 2015

Journal du 4 décembre 1899

Concours du Journal. De Heredia, qui précipite sa phrase et ne peut arriver au bout: il bégaie avant le dernier mot. 
- Je suis un de vos plus anciens admirateurs, me dit-il.
Je ne dis pas le contraire. Je ne dis rien. 
Dans un coin, Mme Judith Gautier, le seule femme qui ait écrit sur moi des choses désagréables. La première femme de Mendès, et Mendès est là.
D'Esparbès me reproche de n’être pas allé à son banquet. Il m'appelle bourgeois Bornet, en se frappant sur les cuisses. Tout cela est bas, sans aucune drôlerie, et peut-être que cet homme, décoré par la République pour crier: "Vive l'Empereur!" n'a jamais pensé un mot de ce qu'il a dit.
De tous, c'est peut-être Mendès qui donne le plus l’impression d'aimer la littérature, celle qu'il comprend.

jeudi 3 décembre 2015

Journal du 3 décembre 1889

Vu, chez Rachilde, Trézenick, figure bien franche et sympathique. Il essaie, lui, l'ancien directeur de Lutèce de faire un journal qui soit lu de tous les lettrés. Tout le monde y vient donc!
Trézenik nous disait qu'aucun étudiant ne lisait Lutèce, ce petit journal qui faisait tant de tapage dans la grande presse.

mercredi 2 décembre 2015

Journal du 2 décembre 1901

Chez Barnum. Une fatigue à vouloir suivre ces trois pistes.
L'art, c'est le rare. Or, si, à côté d'un éléphant magnifique, on m'en montre une douzaine presque aussi beaux, le prmier ne m'étonne plus.
Pas un véritable artiste ne consentirait à rester dans cette foule.
Des monstres. le plus impressionnant: ces deux enfants soudés par un lien de muscles. Cela rend indéfiniment rêveur.

mardi 1 décembre 2015

Journal du 1er décembre 1902

Il s'ennuyait tellement à la campagne qu'il a fini par faire la cour à sa bonne. Elle poussait de gros soupirs en lui passant les plats. Rentré à Paris, il n'y pense plus. Mais elle: 
- Monsieur a changé. Monsieur aurait tort de se gêner, s'il me veut du bien. Il n'y a pas beaucoup de personnes aussi capables que moi de dissimuler leurs sentiments.

lundi 30 novembre 2015

dimanche 29 novembre 2015

Journal du 29 novembre 1906

Mes livres sont si loin de moi que je suis déjà pour eux une façon de postérité. Voici mon jugement tout net: je ne les relirai jamais.

samedi 28 novembre 2015

Journal du 28 novembre 1895

De Chevillard:
- Docteur, voulez-vous me dire pourquoi je boite depuis dix minutes?
- Mais, mon ami, parce que depuis dix minutes vous marchez une jambe sur la chaussée et l'autre sur le trottoir.

vendredi 27 novembre 2015

Journal du 27 novembre 1909

Le romantisme, c'est de faire parler les bêtes et de leur faire dire ce qu'on veut. Le réalisme, c'est de se soumettre à leur nature, qui est de ne pas parler.

mercredi 25 novembre 2015

mardi 24 novembre 2015

lundi 23 novembre 2015

Journal du 23 novembre 1888

Pour faire certaines sottises, nous devons ressembler à un cocher qui a lâché les guides de ses chevaux et qui dort.

Actualité renardienne

La revue littéraire Europe consacre son numéro1039-1040 de novembre-décembre à quatre écrivains:
Les frères Goncourt, Jules Renard et Rémy de Gourmont.
Voici le sommaire des pages consacrées à Jules Renard:


P.107 Stéphane Gougelmann..................L'écriture ou la vie.
P.119 Pierre Citi......................................Renard, les "Décadents" et la décadence.
P.129 Denis Pernot..................................Le roman en recension.
P.140 Claude Duvivier............................Le parasite des lettres ou le paradoxe de l'écrivain.
P.151 Jacques-Louis Perrin.....................L'animal épinglé.
P.164 Stéphane Gougelmann..................Jules Renard ou "la culture du moi en ordre dispersé".
P.176 L.-A. Charpentier-Poisson............Voilement et dévoilement du lyrisme.     
P.185 A. Perrin-Doucey et J.-L. Perrin...Le curieux destin d'un inclassable.

dimanche 22 novembre 2015

Journal du 22 novembre 2015

Allais, qui a toujours l'air entre deux vins, pas drôle entre deux vies drôles, entre deux ahurissements. Et sa figure fleurie, ses cheveux d'enfant, sa barbe de fauve apprivoisé pour serre parisienne.

samedi 21 novembre 2015

Journal du 21 novembre 1887

Après un assaut d'escrime, remué par cet assaut comme par une mer, j'en garde le roulis et, le mouvement éteint, l'image du mouvement m'agite et se continue en moi.

vendredi 20 novembre 2015

Journal du 20 novembre 1908

Augustine dit:
- Vous envoyez la lettre, Madame?
- Oui, ma fille.
- Je ne m'en irai pas chez nous. Ma mère ne veut pas de moi. Pourvu que je gagne ma vie, elle se fiche bien de moi. Elle me calotterait. Je ne veux pas m'en aller.
- Je vous mettrai dans le train.
- Je descendrai à la première gare. Je reviendrai à Paris chercher une place.
- Mais si vous n'en trouvez pas? Vous ne savez rien faire.
- Je ne veux pas m'en aller. J'aime mieux être mendiante.
- Vous vous ferez ramasser par les sergents de ville. 
- Alors, j'aime mieux me détruire.
- Vous dites des bêtises. Écoutez, j'ai pitié de vous. Votre mère vous a confiée à ma garde. Cette lettre je ne la déchire pas. Je la garde. A la première bêtise que vous ferez, je l'envoie à votre mère, sans vous prévenir. Elle fera ce qu'elle voudra, mais vous ne resterez pas un jour ici.
- Oh! Madame, je vais bien travailler. Je ne mentirai plus. Je n'écrirai plus de lettres à mon amoureux. D'abord, je ne lui ai écrit que deux fois.  Je ne mangerai plus l'aile du poulet que vous mettez de côté pour Monsieur.  Je ferai bien attention à la poussière.
- Oui, Augustine. Vous n'êtes pas mauvaise: vous êtes trop jeune. Nous avons tort de prendre des bonnes aussi jeunes que vous. Ici, vous pourriez vous faire une vie douce, mettre de l'argent de côté. Vous n'avez qu'à écouter ce que je vous dis. Vous avez bien compris?
- Oui, Madame. Ah! que j'ai eu chaud! Je vais boire un coup d'eau à la carafe. Madame ne me chasse pas?
- Non, pas tout de suite.
- Je reste?
- Oui, provisoirement.
- Ah! Madame va voir! Madame va voir!

jeudi 19 novembre 2015

Journal du 19 novembre 1889

Revu Rachilde, Mme Vallette: un corsage rouge, flamboyant, colliers au cou et au bras, colliers d'ambre. Les cheveux coupés à la garçon, et raides, et va comme je te peigne. Toujours des cils comme de gros et longs traits de plume à l'encre de Chine. Arrivent Dumur, Dubus. Le premier, toujours, colère, le second, neuf pour moi, mais, au bout d'un instant, vieux jeu. Je n'ai plus besoin d'avoir de l'esprit, et il m'est insupportable de retrouver celui que j'avais du temps du Zig-Zag. Dubus parle de gardes-malades qu'il a eues après un duel, je crois. Il n'avait qu'à dire: " Je suis blessé, venez." Elles venaient. Elles étaient une douzaine. Elles ont dû passer leur temps à l'épiler, car il a les lèvres et le menton blancs comme un élève du Conservatoire. Il se marie, on le marie.  Il est en procès avec son grand-père. Il pose, parle, interrompt,  dit des paradoxes vieux comme des cathédrales, ennuie, assomme, mais continue, a des théories sur la femme. Encore! Ce n'est donc pas fini d'avoir des théories sur la femme? Imbécile! tu fais comme les autres quand tu es sur une femme. Tu dis: je t'aime, je jouis, et tu lui bois sa salive simplement, comme un homme. A moins que tu ne sois pas un homme. 
Vallette arrive. On sent qu'il a un domicile. Il se tait suffisamment. Rachilde voit que je m'embête et me parle du bébé. Mais je m'embête tout de même, car j'ai en dégoût l'originalité de Dubus. Il me semble qu'on me fait manger quelque chose pour la millième fois.  C'est peut-être aussi le Chouberski, mais j'ai mal au coeur. On sonne.  C'est Louis Pilate de Brinn'Gaubast. Je me sauve. J'ai à peine le temps de voir une sorte de Méphisto élégant, et puis je crois n'avoir rien vu.
C'est toujours le procédé de Rachilde: faire croire aux autres qu'ils sont plus malin qu'elle. Elle dit: "Vous qui faites de l'art," En effet, ils en font, ils en font trop. Ils puent l'art, ces messieurs. Non! Assez! Plus d'art, que je me débarbouille en embrassant Marinon et Fantec!
Lu des vers de Dubus dans la Pléiade. Ce n'est pas mal, mais pourquoi être si vieux jeu, si épatant, si fastidieusement peu naturel!

mercredi 18 novembre 2015

Journal du 18 novembre 1902

Chez Sévin. Henry Béranger me présente Charbonnel qui me dit:
- Poil de Carotte est un chef-d’œuvre.
- Oui, dit Béranger qui ajoute - pourquoi? - que Jossot a un immense talent.
- Vous êtes comme nous, me disent-ils. vous combattez le bon combet.
Charbonnel m'impressionne comme un curé.

lundi 16 novembre 2015

Journal du 16 novembre 1906

Quelques jours avant la mort du petit Joseph  ils ont vu une lumière se promener dans le jardin. Le Paul l'a vue aussi, mais Philippe a cru que c'était Paul, et, le Paul que c'était Philippe. Quand ils ont su que ce n'était ni l'un ni l'autre, ils ont dit: C'est notre pauvre petit qui est venu nous annoncer sa mort." C'est sans doute Ragotte qui leur a soufflé ça. Ils ne disent pas le contraire. 
La Saint-Martin, fête à Combres. On boit du vin doux qui n'a pas encore fermenté, on mange de la galette aux pruneaux, aux orties, aux poires, à la semoule, ce qui me vaudra trois jours de migraine.  On nous fait passer dans la chambre où il y a un lit.
Le parquet, la danse divisée en deux parties; après la première, le musicien, avec une corde, sépare les danseurs du reste du public afin qu'ils n'échappent pas sans payer. A deux heures, il n'y a personne dehors. Comme il fait déjà froid, les portes sont fermées, mais, par la fenêtre, on aperçoit les gens autour des nappes blanches.

dimanche 15 novembre 2015

Journal du 15 novembre 1888

Les mots sont la menue monnaie de la pensée. Il y a des bavards qui nous payent en pièces de dix sous. D'autres, au contraire, ne donnent que des louis d'or.

samedi 14 novembre 2015

Journal du 14 janvier 1898

Chez Georgette Leblanc. Épaules et bras nus.
- Les hommes, dit-elle, ont le droit de venir comme ils veulent, mais le devoir d'une femme est de se faire toujours la plus belle possible.
Elle est quelquefois très jolie. Elle a un sourire de tout le visage, qui est charmant. Elle chante trois ou quatre fois la même chose, une fois de plus pour l'invité en retard.
- Qu'est-ce que je vais faire maintenant? dit-elle. Je chanterais toute la nuit, des choses que j'aime, bien entendu.

Journal du 14 novembre 1901

Hervieu passe devant le Théâtre-Français.
- Vous sentez l'odeur du triomphe, dis-je.
- Ça ne s'évapore pas , me répond Hervieu.
Un monsieur vient le complimenter et lui dit: "D'ailleurs, je ne puis rien vous dire."
- Voilà un homme aimable, dis-je.
- C'est un em...bêteur, dit Hervieu.
Il se plaint comme si ça n'avait pas marché. C'est admirable!
- On me trouvait sec, dit-il. On me trouve singulier. Et puis, on parle déjà de monter la pièce de Lavedan. J'ai attendu deux ans. J'ai fait entrer le succès dans la maison, et on ne songe qu'à se débarrasser de moi. Et puis, François le Champi touche 9% , et moi, qui attire le monde, je n'ai que 5.
- En effet, dis-je, c'est honteux, mais vous réformerez cela.  Personne plus que vous n'a de titres à dire: "Il faut que ça change!"
Je lui parle de la décoration de Bernard, mais Hervieu a la promesse de Leygues d'une croix pour Lecomte. Il ne voudrait pas compromettre cette croix. D'ailleurs, Bernard n'est pas de la Société des Gens de Lettres. Plus tard...
- Car vous savez, dit-il, que je n'attends pas qu'on me prie quand il s'agit d'être agréable à ceux que j'estime.

vendredi 13 novembre 2015

Journal du 13 novembre 1895

Souper. Mme Rostand est religieuse. Elle se confesse et communie, mais son mari dit que ce n'est pas sérieux, qu'elle s'efforce seulement de croire.
Il est vraiment exquis, Rostand. Il ne fait pas de journalisme, il n'écrit pas dans les revues, à la pensée qu'il pourrait prendre la place de quelqu'un. Mais comme il n'a pas le succès quotidien pour le fouetter, il reste quelquefois désespéré deux ou trois mois de suite. Il est très préoccupé par la misère des autres. Il donne beaucoup. 
Ils ont fait, une fois, souper Richepin jusqu'à quatre heures du matin. . Pour l'y décider, ils disaient: "Vous avez peur de votre femme",  ou "Il vaut mieux rentrer: vous seriez trop fatigué demain matin." Et il restait, et il soupait, comme un misérable. 
- Votre tentative à l'Odéon, me dit Tristan Bernard, fait penser à un bon nageur qui tremperait le bout du pied dans l'eau, la trouverait trop froide et la ferait tâter par un autre.

jeudi 12 novembre 2015

Journal du 12 novembre 1894

Ce que je voudrais être, c'est maître d'école de village, envoyant des articles au journal de l'arrondissement, de petites lettres à la Sarcey, loin des regards sceptiques.

mercredi 11 novembre 2015

Journal du 11 novembre 1888

La vie intellectuelle est à la réalité ce que la géométrie est à l'architecture. Il est d'une stupide folie (procès Chambige) de vouloir appliquer à sa vie sa méthode de pensée, comme il serait antiscientifique de croire qu'il existe des lignes droites.

mardi 10 novembre 2015

lundi 9 novembre 2015

Journal du 9 janvier 1906

Je me mets dans les livres, mais pas dans les réclames de journaux.

Journal du 9 novembre 1887

L'art avant tout. Il restait un mois, deux mois, parmi ses livres, ne leur demandant que le temps du repos et des sommeils, puis tout à coup il tâtait sa bourse. Il fallait chercher un emploi, n'importe quoi, pour revivre. Une longue suite de jours dans un bureau quelconque avec des ronds-de-cuirs, de race ceux-là, il collait des timbres, mettait des adresses, acceptait toute besogne, gagnait quelques sous, remerciait le patron et retournait à ses livres, jusqu'à une nouvelle détresse.

dimanche 8 novembre 2015

Journal du 8 novembre 1887

Ce qui caractérise au plus haut point le style des Goncourt, c'est le mépris hautain qu'ils ont pour l'harmonie, ce que Flaubert appelait les chutes de phrases. elles sont encombrées, leurs phrases, de génitifs accouplés, de subjonctifs lourds, de tournures pâteuses qui ont l'air de sortir d'une bouche pleine de salive.  Ils ont des mots qui sont comme des  ronces, une syntaxe qui racle la gorge, qui font au haut du palais l'impression d'une chose qu'on ne peut pas se décider à vomir.

vendredi 6 novembre 2015

Journal du 6 novembre 1894

Hier à l'Œuvre, Annabella ou Quel dommage que ce soit une prostituée! pièce de Ford, traduction de Maeterlinck, causerie de Marcel Schwob. Respiré tout de même une odeur de barbares. Mais ces incestueux parlent comme deux amants. L'inceste ne devrait être que  l'aboutissement tranquille de deux jeunesses. Si on acceptait l'inceste avec calme, le monde pourrait être refait. Rachilde furieuse parce que je trouve les acteurs au-dessous de tout. Courteline trouve que tous ces gens font bien du chichi. Léon Daudet prétend que toute l'humanité repose sur un fond louche. Maeterlinck se balance avec son air de charpentier arrivé et satisfait.  Le faune Mallarmé file avec douceur entre les couples et tremble d'être enfin compris. Le barbu Georges Hugo porte sur sa large poitrine l'étendard d'un nom illustre. Mme Willy, traînant la corde à puits de ses cheveux, regarde le doux Julia et éclate de rire. Bauër fait le taureau aussi petit que la grenouille, et mon ami Schwob, qui autrefois se rasait la tête jusqu'au sang, a maintenant sur le front un petit saule pleureur, noir, en cheveux plats, qui répond bien à l'état actuel de son âme triste.

jeudi 5 novembre 2015

Journal du 5 novembre 1887

Un air frais, transparent, où la lumière semble mouillée, lavée, trempée dans l'eau très claire, et suspendue comme de fines gazes pour sécher, après une lessive de l’atmosphère.

mercredi 4 novembre 2015

mardi 3 novembre 2015

Journal du 3 novembre 1887

Rester à l'affût de son esprit, la plume haute, prêt à piquer la moindre idée qui peut en sortir.

lundi 2 novembre 2015

Journal du 2 novembre 1895

Papa. Les veines gonflées de ses tempes. Les taupes le travaillent et le ravagent sous la peau.

dimanche 1 novembre 2015

Journal du 1er novembre 1887

Il arrivait, montait mes six étages, et tout de suite c'étaient d’interminables discussions politiques; et, chose bizarre, dans le pauvre cabinet de travail aux murs couverts de petits riens, d'éventails, de typogravures Boussod, d’incroyables portraits, sous le reflet d'une ombrelle rouge, c'était lui, c'étaient ses soixante ans qui parlaient à mes vingt ans de société, de république, d'humanité;  c'était le père qui cherchait à éclairer, avec toute la lumière qu'il croyait contenue dans ses grands mots, à réchauffer le fils, petit jeune homme déjà sceptique et embêté. Je l'ai vu quelquefois, dans ses moments d’ennuis cruels, se révolter, agiter en l'air de petites idées subversives, mais cela passait vite, et il revenait aussitôt à ses bonnes convictions, bien saines, qu'il soutenait avec l'étrange ténacité des vieillards qui ne veulent plus rien apprendre.

samedi 31 octobre 2015

Journal du 31 octobre 1887

Au réveil d'un doux rêve, on voudrait se rendormir pour le continuer; mais vainement on s'efforce d'en ressaisir les vagues traces, comme les plis de la robe d'une femme aimée disparaissant derrière une portière qu'on ne pourrait soulever.

vendredi 30 octobre 2015

jeudi 29 octobre 2015

mercredi 28 octobre 2015

mardi 27 octobre 2015

Journal du 27 octobre 1893

Un acteureau me dit qu'il devait jouer un rôle dans une pièce de... mais qu'il aurait fallu coucher avec lui, et qu'au premier attouchement de ce monsieur, il lui aurait montré qu'il n'était pas de ces gens-là, lui!

Poil de Carotte de retour à Bains-les-Bains

BAINS-LES-BAINS. -
 Poil de carotte. Le roman. L’œuvre de Jules Renard qui a marqué notre enfance. Son autobiographie qu’il a rédigée à l’âge de 30 ans. L’histoire de ce petit garçon roux plein de tendresse à la bonne bouille ronde parsemée de taches de rousseur. François, le benjamin de la famille Lepic. Le mal-aimé. Le souffre-douleur de sa mère qui lui préfère l’aîné Felix comme la cadette Ernestine. 
Ce samedi soir (24 octobre) à Bains-les-Bains, les spectateurs sont venus applaudir le film réalisé en 1983 par Christian Nardin et tourné avec quatre de ses élèves du collège balnéen, là où il a été professeur de français. Le film d’un peu plus d’une heure est tiré non pas du roman mais de la version théâtrale de Jules Renard. Des aventures de Poil de carotte toujours drôles et émouvantes à la fois mais légèrement différentes. Dans cette mouture, point d’Ernestine. Pas plus de Félix si ce n’est juste une brève apparition dans le générique. Et Annette, une nouvelle bonne. 
Coup de théâtre, les spectateurs ont pu constater que Poil de carotte n’avait ni de cheveux roux, ni de taches de rousseur ou alors quelques-unes, par-ci, par là. Mais alors pourquoi : « Tout simplement parce que la mère de Poil de carotte voyait rouge lorsqu’elle apercevait son bouc émissaire de fils. Elle impose son regard dans le roman qui a souvent été prêté au cinéma. Si on lit bien le texte du roman, nulle part il est dit que cet enfant est roux », explique le réalisateur. 
Après 1 h 10 de projection, les lumières se sont rallumées. Les yeux des spectateurs étaient bien humides pour bon nombre d’entre eux. 32 ans plus tard, Poil de carotte (joué par Henryk Sudol) est là dans la salle. Il a toujours autant de plaisir à se regarder jouer et toujours avec autant d’émotion : « Tourner ce film a été un tournant de ma vie. En pleine période de l’adolescence. En pleins tourments familiaux avec la séparation de mes parents. Ce film m’a amené sur le bon chemin avec tellement de choses fortes qui en ressortent. Il m’a servi pour l’éducation de mes trois enfants. » Tous sont unanimes. « C’est un film qui continue à vivre, qui reste d’actualité. Les incompréhensions qu’il peut y avoir entre les parents et les enfants existent toujours. » Et des enfants troublés qui se retrouvent dans le texte et dans les images. Poil de carotte, la version théâtrale de Jules Renard ? C’est une belle leçon de vie. 
(Laurence MUNIER, Vosges Matin, 26 octobre 2015)

lundi 26 octobre 2015

Journal du 26 octobre 1892

Parfois, il se croyait grand artiste, voulait dompter la vie, et, pataud, ne parvenait à faire que de lourdes bêtises.

dimanche 25 octobre 2015

Journal du 25 octobre 1895

Chaque commune a maintenant une assistance médicale; et puis, nous donnons du pain aux pauvres. Il y a des malheureux à Chitry, mais pas un mendiant. Il est interdit aux mendiants de quitter leur commune.  Avec un morceau de pain et deux ou trois noix on se nourrit. Il m'en est venu deux de Saint-Révérien, un aveugle conduit par une jeune femme.
" - Mais, lui dis-je, est-ce que votre femme ne pourrait pas travailler au lieu de vous promener comme ça toute la journée,
" - Oh! monsieur le maire, nous rapporterait moins.
" Je leur ai tout de même donné un sou, en leur disant de ne plus revenir, je les ferais arrêter. Puis, je les ai regardé partir par la vieille route. Je les entendais rire. Ils se moquaient de moi."

samedi 24 octobre 2015

Journal du 24 octobre 1891

Vu ce matin M. Paul Ollendorf. A la goutte. Est-ce pour ne pas se lever quand un visiteur entre? Soulaine, le chef des corrections d'épreuves, a sur le visage comme un reflet de Trézenick. Ollendorf m'a fait le discours connu sur le succès d'estime qui m'attends certainement, et le succès d'argent qui m'attend aussi, mais avec moins d'impatience.

vendredi 23 octobre 2015

Journal du 23 octobre 1887

Chez moi, un besoin presque incessant de dire du mal des autres, et une grande indifférence à leur en faire.

jeudi 22 octobre 2015

Journal du 22 octobre 1909

Première plus belle encore. Trois rappels au premier acte, quatre au second. Acclamtions. Amis jamais aussi émus.
Très bonne presse, un peu mêlée de mépris clérical.  On m'appelle Homais et mufle.
chaque fois, j'ai écouté derrière la toile sans émotion.
Maurice Rostand m'embrasse. Mme Rostand vient voir: explications, malentendu.
le dimanche, 3000 de recette, puis baisse subite à 1300.
Antoine ne veut pas que je publie la bigote à Comoedia; ça va tout tuer. Rouché veut la publier, puis il se fâche parce que je ne romps pas assez vite avec Comoedia.
Pas de manifestations. Une femme quitte le balcon.
Les machinistes regardent et rient. Courteline, vexé trouve ça ignoble. Calmette navré: pièce anticléricale.

mercredi 21 octobre 2015

Journal du 21 octobre 1887

Élever la boulangerie à la hauteur d'une institution nationale: pain gratuit et obligatoire.

mardi 20 octobre 2015

Journal du 20 octobre 1907

Le directeur de théâtre ne mesure pas la valeur d'un critique au tirage de son journal. Il les place par ordre de talent.. A l'homme de génie, une loge; à l'homme de talent, deux fauteuils aux premiers rangs. D'ailleurs, il ne les juge pas une fois pour toute: il les surveille. Pour un bon article, on peut avancer de deux rangs, pour un mauvais, reculer derrière quelques chapeaux de dames  connues et n'avoir qu'une place. On ne supprime jamais tout à fait le service: le critique ne souffrirait plus.
Le directeur ne se trompe jamais. si cela lui arrive, c'est parce que tout le monde se trompe. Personnellement, il reste infaillible.

lundi 19 octobre 2015

Journal du 19 octobre 1890

J'attends ce soir Émile Bergerat. Mettre d'un côté l'idée que je m'en fais et, de l'autre, l'impression qu'il me produira.
Vu Bergerat. O gloire! Un gros homme coiffé d'un chapeau mou, vêtu d'un jersey bien élégant, tout gris, des yeux de fouine, un nez idem, et des bottines, et ces élastiques de bottines! Nous sommes allés prendre des bocks. Nous étions une dizaine, tous éblouis de le voir en homme naturel. Il nous prenait par le bras, nous disait: mon vieux, mes enfants, si vous étiez malins, vous feriez ça. Il dit de mon escalier: voilà l'escalier où je vais mourir. Je lui demande:
- Vous avez fait un Gautier bien intéressant, dans vos Entretiens?
- Oh! oui, mais j'ai ajouté beaucoup, vous savez. 
- Et le Gautier des Goncourt, comment le trouver vous?
C'est pas ça. Gautier disait merde, mais en gentilhomme. Ma vie a été bizarre. Dès mes débuts, j'ai dû accrocher quelque chose, frotter une borne qui m'a fait dévier. Je n'ai pas eu un succès de cinquante mille francs, comme tout le monde peut en avoir. J'ai des charges, de la famille. J'aimerais mieux crever, disparaître.
il trouve inepte les chroniques de Fouquier.

dimanche 18 octobre 2015

Journal du 18 octobre 1908

Rouché, le directeur de la Grande Revue, vient me transmettre les compliments de ses lecteurs pour Ragotte et me faire des offres. Il m'achèterait un droit de première vue sur ma copie; il me paierait ça 1 800 francs par an. Je le sens roublard, hésitant, avare, et, moi, je me sens stupide d'indécision et de modestie, et je le sais.
Et puis, il me demande si j'ai jamais fait de la critique.

samedi 17 octobre 2015

Journal du 17 octobre 1900

Ils ont été admirables, hier soir, à Poil de Carotte. Il voulait absolument voir ça. Il aurait l'air trop bête, là-bas, si on lui demandait: "Avez-vous vu Poil de Carotte?" et s'il répondait: "Non"
J'arrive dans la loge, les mains vaguement
Lui, rien. Elle a les yeux mouillés tendues, comme c'est l'usage. Si Marinette n'avait pas été là pour me donner la sienne...
Lui, rien. Elle a les yeux mouillés, mais parce qu'elle a vu des fantômes. Et ils rient gros aux Gaîtés de l'Escadron.
Pour les mettre sur la piste, je dis:
- Ils ont mal joué, Antoine me l'a dit.
- Non! non! dit-il. Je n'ai rien trouvé, moi.
Et elle:
-  Oh! c'est parfait.
Un peu plus tard, ils trouvent que les décors sont bien. Il affirme:
- La grille est épatante. Et la fenêtre de la cuisine! On croit y être.
- J'aimerais mieux, dit-elle, qu'Antoine ne parle pas,  parce que ça détruit mon illusion.
C'est tout, et il faut bien que je m'en contente.
Il m'explique qu'il a acheté les Gaîtés de l'Escadron en livraisons, et que, quand il veut rire un quart d'heure.. Courteline a dû faire ses cinq ans. Il faut avoir passé par là.
Et, par-dessus le marché, je paie le vestiaire.
Tout de même, la nuit passée, elle a dû avoir des remords.  Ce matin, elle dit à Marinette:
- Tu comprends? J'avais la gorge serrée. Je n'ai rien pu dire à Jules. D'ailleurs, c'est le meilleur éloge qu'on puisse lui faire.
Ainsi tâche-t-elle de se rattraper, mais elle ne tâche qu'un fois.
J'ai de sombres éclipses où la lumière se recrée.

vendredi 16 octobre 2015

Journal du 16 octobre 1895

- Du courage. Selon le mot de Diderot: Élargissez Dieu.
Formules pour accuser réception des livres:
- Voilà un livre qui est bien à vous, mon cher ami, et je suis heureux de vous le dire.
- Merci! J'emporte votre livre à la campagne. Je le lirai sous les arbres, au bord de l'eau, dans un décor digne de lui.

jeudi 15 octobre 2015

Journal du 15 octobre 1887

Il s'agitait d'être un homme qui pourrait se vanter de n'avoir jamais regardé le portail de Notre-Dame et de n'avoir jamais mis les pieds à l’Opéra.

mercredi 14 octobre 2015

Journal du 14 octobre 1907

M. François-Guillaume de Maigret vient de la part de Messidor. Il me demande si je lis Messidor et si je suis candidat à l'Académie Goncourt.
- Pour ne pas répéter "Jules Renard", dit-il, je vais mettre: "L'auteur de..." Quel est celui de vos livres que vous préférez?
- On m'appelle surtout "l'auteur de Poil de Carotte".
- Il n'y en a pas un autre que vous aimeriez?
- Mettez: Histoires naturelles.
- Oh! non.  Il me faut le titre d'un de vos livres, d'un livre que vous aimiez  plus que les autres.

mardi 13 octobre 2015

Journal du 13 octobre 1906

Furieux parce que sa femme est malade et qu'il est obligé de se servir tout seul, quand on lui demande de ses nouvelles il n'a pas l'air de la connaître.

dimanche 11 octobre 2015

Journal du 11 octobre 1905

Réponse à Jules Huret, pas envoyée.
Je donnerais volontiers ma pièce à un théâtre vide, sans directeur, sans acteurs, sans public, et sans presse.
Une répétition générale est toujours un supplice.
Quoi! Ce monsieur à qui je ne trouve aucun talent va peut-être dire que j'en ai?
Le plus bel éloge ne fait pas plus plaisir qu'une banale politesse, et toute critique me paraît une grossièreté.
On s'habitue vite au silence des journaux.
Dans l'analyse de la pièce d'un autre, je ne reconnais  jamais la pièce que j'ai vue moi-même. Pourquoi la critique serait-elle plus raisonnable quand il s'agit de moi?
Un article de M. Faguet amuse ou ennuie, mais quel rapport a-t-il avec la justice littéraire? Il y a trois ou quatre critiques de talent, mais, le reste, pouah!
Je ne sais pas ce que c'est qu'une maison de commerce, mais je sais bien que le théâtre est l'endroit où l'on parle le plus d'argent. Je ne connais qu'un directeur qui ait le courage de maintenir sur l'affiche une pièce qui ne fait pas d'argent, et, encore, je ne veux pas le nommer: il me ferait un procès.
Un directeur a ce droit: il n'en usera jamais.
Un auteur, s'il a une âme de poète, ou de sage, peut se passer de réclame, mais un directeur, un acteur, une actrice! Essayez, même pour une reprise, de ne pas convoquer la presse!
Et puis, ne nous lassons pas de le répéter: directeurs, acteurs , auteurs, c'est un monde d'aimables fous.

samedi 10 octobre 2015

Journal du 10 octobre 1907

Comme je lui dis d'aller chercher mon calepin et mon crayon:
- J'y cours, dit Baie. Tiens bien ton idée, papa!

vendredi 9 octobre 2015

Journal du 9 octobre 1897

Le but, c'est d'être heureux. On n'y arrive que lentement. Il y faut une application quotidienne. Quand on l'est, il reste beaucoup à faire: à consoler les autres.

jeudi 8 octobre 2015

Journal du 8 octobre 1895

Allais me dit hier soir qu'il a vu Schwob dans un misérable petit café, sirotant, effondré, un verre de liqueur noire.
Il n'y a que les hommes de lettres qui soient capables de piétiner un sujet de conversation avec une telle opiniâtreté. Ce sujet, c'était les Tenailles de Paul Hervieu. Allais déclare que la pièce l'a tout bêtement empoigné.  Capus proteste contre cette sècheresse d'Hervieu, ce manque d'humanité, d'intérêt, ce parti pris de froideur. aucune émotion, dit-il. Des phrases où il n'en faut pas.  Il est aigre, ce soir, Capus, et il prétend qu'il faut comprendre la critique comme Rochefort et Drumont comprennent la politique: avec partialité et indignation. 
- Je rencontre, dit Allais, Hervieu qui me dit: "Crois-tu que j'ai de la guigne! Le Français fait relâche ce soir à cause de la mort de Pasteur! "Et il a 15 000 francs de rente!
Et Allais ne rit que du coin de la bouche, ou il se met la main sur les lèvres pour cacher l'âge de ses dents.

mercredi 7 octobre 2015

mardi 6 octobre 2015

Journal du 6 octobre 1906

J'aime passionnément la langue française, je crois tout ce que la grammaire me dit, et je savoure les exceptions, les irrégularités de notre langue.

Actualité littéraire

Relire Daphné du Maurier.
Suite au double succès public de la biographie de Daphné du Maurier par Tatiana de Rosnay et de la nouvelle traduction de Rebecca Francis Esménard, PDG des éditions Albin Michel et grand fan de la romancière anglaise, a décidé de publier un volume regroupant ses "romans de Cornouailles": à savoir L'Auberge de la Jamaïque, La Crique du Français et Ma cousine Rachel. Sortie aujourd'hui avec une préface de Tatiana de Rosnay.
(Le Figaro littéraire, jeudi 1er octobre 2015, p.5)

lundi 5 octobre 2015

Journal du 5 octobre 1895

La matin au travail. Brumes d'abord, quelquefois impénétrables. Et, peu à peu, il fait clair. C'est comme un petit soleil qui s'élève lentement dans le cerveau.

Intermède

La lune blanche...
La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée.../ Ô bien-aimée.

L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
du saule noir
Où le vent pleure../ Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
que l'astre irise.../ C'est l'heure exquise.
(Paul Verlaine, La Bonne Chanson)

dimanche 4 octobre 2015

samedi 3 octobre 2015

Journal du 3 octobre 1907

Critique dramatique.
- Quelle indulgence!
- Laissez donc! Le mérite, s'il y en a, reste le même. Il est aussi difficile de faire des compliments faux que de la critique sincère.

vendredi 2 octobre 2015

Journal du 2 octobre 1908

Je connais aussi l'art de me faire dire des choses désagréables en les disant d'abord moi-même: on dit comme moi.

Actualité littéraire

Gourmont retrouvé
A l'occasion des cent ans de la disparition de Rémy de Gourmont, "Les Cahiers rouges" vont publier une anthologie de ses textes, puisée dans ses meilleurs ouvrages (Le livre des masques, Promenades littéraires...) Parution prévue le 30 septembre, sous le titre Le téléphone a-t-il autant que cela augmenté notre bonheur? Entre-temps, les éditions du Sandre auront publié le troisième volume de sa correspondance.
(Le Figaro littéraire, jeudi ? septembre 2015.)

jeudi 1 octobre 2015

Journal du 1er octobre 1887

A voir un chinois, on se demande ce que peut bien être le masque chinois.

Intermède

A Madame G.
 
Dans dix-ans d'ici seulement,
Vous serez un peu moins cruelle.
C'est long, à parler franchement.
L'amour viendra probablement
Donner à l'horloge un coup d'aile. 

Votre beauté nous ensorcelle,
Prenez-y garde cependant:
On apprend plus d'une nouvelle
En dix ans.

Quand ce temps viendra, d'un amant
Je serai le parfait modèle,
Trop bête pour être inconstant,
Et trop laid pour être infidèle.
Mais vous serez encor trop belle.

(Alfred de Musset,  Carpe Diem)

mercredi 30 septembre 2015

Journal du 30 septembre 1893

Un coin du monde.
Je vis une écurie ouverte. Il y faisait noir. Elle semblait abandonnée. La litière n'était plus en paille, mais en fumier. La vache était sortie et paissait toute seule dans les champs.
Je vis une pauvre vieille femme. Elle était assise devant sa porte.  Aveugle, elle ne roulait pas ses yeux blancs. On ne l'entendait point se plaindre, pas même respirer. Elle ne remuait pas, et pourtant elle avait un bras qui semblait encore plus immobile que le reste de son corps.
Je vis un chat qui, d'un bond, traversa la rue. Je dis que c'était un chat, mais je n'en suis pas bien sûr, tant la chose me parut sale et chiffonnée. 
Pas de fumée sortant des toits, pas de claquement de portes.
Je vis un large noyer. Le vent le faisait bouger. Parfois deux ou trois feuilles, les autres restant muettes, chuchotaient entre elles, et, un moment, elles s'agitèrent toutes.  Peut-être que ce noyer concentrait en lui seul la vie du hameau, que, seul, il sentait, que, seul, il était capable d'un sentiment de sourde terreur ou d'ennui.
S'il ne pense guère, il pense plus que les hommes.

mardi 29 septembre 2015

Journal du 29 septembre 1894

Les Goncourt ont dit ce qu'il fallait des autres; ils n'ont pas dit ce qu'il fallait d'eux-mêmes.

Actualité littéraire

Après Gatsby en 2011, la romancière Julie Wolkenstein s'est attelée à un nouvelle traduction de Francis Fitzgerald, celle de Tendre est la nuit, son quatrième roman, et le dernier qu'il ait achevé, édité en 1934. Parution prévue le 21 octobre, dans la collection de poche "GF".
(Le Figaro littéraire, jeudi 17 septembre 2015, p. 5)

lundi 28 septembre 2015

Journal du 28 septembre 1895

Par la fenêtre, je la vois toujours travaillant. Il lui arrive de parler tout haut de son ouvrage. Le matin, elle fait son ménage avec des gants. C'est une vieille fille qu a quitté la maison où elle était parce qu'on l'a démolie.  Elle est ici depuis plus de quinze ans. Elle n'a fait que ces deux maisons. Un ami vient la voir. Jamais il ne couche. Il déjeune quelquefois le dimanche. Ils sont blancs, tous les deux, à les croire poudrés, et propres, et polis, polis. Ils font de fréquents voyages et paient leur loyer avant de partir.  Il est veuf, père de famille. Il a des enfants qui ont des enfants. De peur de leur faire du tort, elle n'a jamais voulu l'épouser.  C'est un couple qui fait aimer la vie. Elle ne réclame rien à son propriétaire. Une fois, elle lui a demandé l'autorisation de faire changer son papier à ses frais. Bien avant tout le monde, elle est vieille et a l'air jeune. On la voit très bien maîtresse aimée et amoureuse.

dimanche 27 septembre 2015

samedi 26 septembre 2015

vendredi 25 septembre 2015

Journal du 25 septembre 1889

Je lis roman sur roman, je m'en bourre, je m'en gonfle, j'en ai jusqu'à la gorge, afin de me dégoûter de leurs banalités, de leurs redites, de leur convenu, de leurs procédés systématiques, et de pouvoir faire autre.

jeudi 24 septembre 2015

Journal du 24 septembre 1890

Nous ne connaissons pas l'Au-delà parce que cette ignorance est la condition sine qua non de notre vie à nous. De même la glace ne peut connaître le feu qu'à condition de fondre, de s’évanouir.

mercredi 23 septembre 2015

Journal du 23 septembre 1899

Lever d'un paysage dans la brume. Voici les arbres du verger, la meule de paille, la ferme, le canal qui bleuit, et, tout le long du canal, les peupliers fantômes écartent peu à peu leurs draps de brume.

mardi 22 septembre 2015

Journal du 22 septembre 1892

Le dîner du Journal. Tous ces gens avaient un traité (à propos, où le nôtre avec la Russie?) qui leur assurait à chacun, chaque jour, la première colonne de la première page. Un calculateur habile établit que, si on réunissait bout à bout les copies d'une année, elles s'étendraient du restaurant à la prise de Constantinople.
Alphonse Allais écoutait son voisin en dormant. Maurice Barrès cherchait des idées générales dans la conversation de Métènier qui lui disait merde. Bernard Lazare promenait sa figure pareille à un abcès prêt à percer. D'Esparbès monta sur une table et dit son fait à Caïn. Les ventres haletaient comme la mer sur le rivage, et, au dessert,, plusieurs se reboutonnèrent.
Notre directeur se leva. Il lut des dépêches où quelques conviés s'excusaient de ne pas venir parce qu'il allaient ailleurs. Il nous assura que le succès du Journal était entre nos mains et qu'il ne fallait pas, en nous suçant les doigts, les ouvrir, de peur de le laisser couler.

lundi 21 septembre 2015

dimanche 20 septembre 2015

samedi 19 septembre 2015

vendredi 18 septembre 2015

Jouirnal du 18 septembre 1889

Ce qui n'a pas été fait, c'est un livre moderniste sur la campagne.
la campagne se prête à toutes les divagations du rêve.  On questionne bien tranquillement le ruisseau, l'arbre, les grandes luzernes: ils ne répondent pas et ce qui dégoûte les hommes, c'est qu'ils veulent toujours répondre aux questions qu'on leur pose. Chacun nous offre une certitude, une solution: c'est désolant.

jeudi 17 septembre 2015

Journal du 17 septembre 1902

Chasse. J'ai beau tenir ma droite: Philippe s'obstine à marcher derrière moi. Je ralentis le pas. Il s'arrête presque. A la fin je lui dis:
- Est-ce que vous faites exprès, Philippe, de marcher ainsi derrière moi?
-Ça dépend, dit-il.  Des fois, oui, quand nous sommes sur la route.
- Mais pourquoi?  On dirait que je vous en ai donné l'ordre. Je n'ai pas ce travers. C'est bon pour les grands seigneurs ou les maniaques, comme ce maître parisien de Borneau qui l'obligeait à se tenir à cent mètres derrière.
- Oh! monsieur, dit Philippe, ce n'est pas pour ces raisons-là que je marche derrière vous.  C'est parce que vous tenez toujours votre droite, et que, marchant à votre gauche, j'ai remarqué que les canons de mon fusil étaient dans votre direction. Ça me gêne. alors, par prudence, je marche derrière vous.

mercredi 16 septembre 2015

Journal du 16 septembre 1901

Quand nous avons fait notre première communion, il avait déjà un petit goût de ferme. Au lavabo, chaque matin, il se lavait les cheveux à grande eau. Il s'aperçut qu'il les faisait jaunir.
Revoir un homme qu'on a connu intensément voilà vingt et un ans. Il était affectueux, appliqué et gentil. quand on lui disait:: "Je parie que je t'embrasse!" il répondait:" Je veux bien." Ça n'avait plus de goût: on ne l'embrassait pas.
Il n'avait personne à sa première communion. Je l'ai fait "sortir" avec moi.Il a dîné chez les dames Millet, et jamais elles n'avaient vu tant mangé. On se faisait passer des billets, un bout de papier plié en deux, avec l'adresse. 
Ces souvenirs délicats et puérils gênent un peu quand on n'est pas poète. le poète seul ne rougit point d'avoir eu un âge où il disait et faisait des gamineries. Mais il faut risquer ces entrevues-là: c'est âcre, et cela fixe des limites.  On ne peut revivre le passé que tout seul. A deux, l'accord manque.
Comme il a changé! Mais non! c'est moi. Lui, s"est arrêté et n'a plus bougé. Il s'agit bien, pour eux, de se souvenir! Ils ont leurs bêtes à soigner.

mardi 15 septembre 2015

Journal du 15 septmbre 1893

Il semblait dormir en écoutant les femmes, mais parfois remuait ses longues oreilles de chasseur de bêtises.

lundi 14 septembre 2015

Journal du 14 septembre 1906

On a quitté le camarade intelligent, distingué même. Dix ans après, on retrouve l'homme qui ne sait même plus se raser à temps. Prendra-t-il sa retraite à cinquante-cinq ans ou à soixante-cinq? Louera-t-il une maison ou va t-il en faire construire une?
Et on devine qu'il n'a pas le sou.
Il a le meilleur chien: Il ne le donnerait pas pour 500 francs. C'est un petit chien basset qui ne s'amuse qu'avec les souris.
Le vieux garçon égoïste, qui dit que les enfants "complètent", mais qui s'est bien gardé d'en avoir.
Plaisir amer de se rabaisser à leurs yeux, de dire: "Moi, je ne gagne pas beaucoup d'argent", de s'attendrir et de sentir que l'émotion ne les touche pas, et qu'ils ont peur de ce ton confidentiel auquel ils ne sont pas habitués.
Parce qu'il a vu jouer Cyrano et qu'il a lu la pièce ensuite (ce qui n'est pas ordinaire, dit-il, car on lit plutôt les pièces, d'abord), il se croit quitte avec tout le reste de la littérature.
A ce contrôleur principal, ami d'enfance, je suis aussi étranger qu'Ibsen. Le seul hommage qu'il puisse me rendre, c'est de me répéter que Coquelin était épatant dans Cyrano.
Quand il dit:"La morale est chose relative", on sent qu'il est sincère et que, par cette formule, il passe l'éponge sur un tas de petites fripouilleries personnelles.
Il dit de Philippe: "C'est un joyeux viveur." Pour lui, tous les vieux paysans sont des braconniers.

dimanche 13 septembre 2015

samedi 12 septembre 2015

Journal du 12 septembre 1906

"Le style, c'est l'homme." Buffon a voulu dire qu'il avait une manière bien à lui d'écrire, et que c'est à cela qu'il voudrait être distingué du voisin.

vendredi 11 septembre 2015

Journal du 11 septembre 1904

Conseil municipal. Séance orageuse. A propos du paiement des gardes forestiers, que je comprends d'ailleurs aussi mal que les autres, je dis:
- C'est la loi, c'est la loi.
Alors, Gautier, garde-rivière - nous n'avons pas gardé la rivière ensemble -, d'une voix caverneuse:
- Vous ne la comprenez pas.
- L'avez-vous lue?
- Ah! ma foi, non.
- Eh! bien, moi, je l'ai lue, et je vous dis: "C'est la loi!"
Je me monte, et ça se gâte.
A propos de l'école, Gâteau dit - et ça tombe de sa bouche comme une bouse de vache, comme si c'était son âme:
- Moi, je n'ai pas besoin d'école: je n'ai pas d'enfants.
C'est si énorme qu'on proteste.
- Monsieur Gâteau, dis-je, vous venez de prononcer une parole imprudente. Laissons là cette question. 
Gêné, il cherche à faire l'aimable, mais en voilà un qui ne me ratera pas, dans quatre ans.
Rousseau et le catéchisme.
- C'est l'affaire des parents, dit-il.
- Tout le monde n'a pas vos idées.
On parle hygiène. Page, qui a une tête comme une motte  de petits vers rouges, dit:
- Jamais le fumier n'a fait de mal à personne. Les fosses d'aisance, je ne dis pas.  Et puis, il n'y a pas de maladies. Il n'y a pas de fièvre typhoïde. Les bêtes boivent dans des mares noires comme le purin: ça ne leur fait pas de mal. Pourquoi donc que ça nous en ferait? Ce n'est pas le fumier, c'est les engrais, qui empoisonnent le monde.
Ils ne croient au médecin qu'en cas de maladie.

mercredi 9 septembre 2015

Journal du 9 septembre 1889

Boulouloum, tu auras beau t'ennuyer, plus tard, dans un salon, la maîtresse de maison ne s'en apercevra pas, ne le croira pas. Elle trouvera simplement que tu as l'air "anglais".

mardi 8 septembre 2015

Journal du 8 août 1892

Je veux, moi aussi, jouer l'automne sur mon flûteau, et tous les arbres s'agitent aux carreaux avec des gestes de serpents. On dirait qu'ils attendent que je leur ouvre la fenêtre. D'abord, les feuilles se décrochent et je vois des choses qui sont restées cachées tout l'été. Je m'achète cinquante livres de bois, et je m'offre un hiver de quarante-huit heures.

lundi 7 septembre 2015

Journal du 7 septembre 1901

Toute la campagne est mûre. L'air a un petit goût sucré. L'herbe des prés est un peu cuite.  Les fleurs s'effeuillent en papillons.
Les hirondelles s’enivrent de leur vol. Moi, je suis sûr d'être heureux, et ce nuage qui, à l'horizon, prend ce teint de tuile, ne m'effraie pas.
L'hirondelle qui tourne autour d'une cheminée, mais si rapide que toujours elle semble venir de loin.

dimanche 6 septembre 2015

Journal du 6 septembre 1899

Une vieille. Elle a filé au fuseau. Son rouet marche toujours. Elle ne se met jamais à table parce qu'elle est à peine aussi haute. Elle mange quand elle a faim, jamais  aux heures des repas, et toujours le pain rassis le plus dur. Elle boit le vin qui tourne à l'aigre.
Il n'y a pas beaucoup de vieilles femmes pour filer aussi fin qu'elle.
Elle a connu les chènevottes qu'on trempait dans le  soufre et qui servaient d'allumettes. Il y en avait toujours dans un pot, sur la cheminée.

samedi 5 septembre 2015

Journal du 5 septembre 1889

Qu'est-ce que je demande? La gloire! Un homme m'a dit que j'avais quelque chose dans le ventre. Un autre m'a dit que je faisais mieux et moins sale que Maupassant, un autre... Un autre encore... Est-ce Ça, la gloire? Non, les hommes sont trop laids. Je suis aussi laids qu'eux Je ne les aime pas.  Peu m'importe ce qu'ils pensent. Les femmes, alors? Une, ce soir, jolie, au beau corsage, m'a dit: "Je lis et je relis Crime de village." Voilà la gloire, je la tiens. Mais cette femme est une belle imbécile. elle n'a pas une idée. J'aimerais à coucher avec elle si elle était muette. Si c'était ça, la gloire, je n'aurais plus rien à faire. Et cependant, toute proportion gardée, ce n'est pas autre chose! La quantité change, la qualité reste la même. C'est aussi une question d'oreille. A cette oreille un peu de ouate suffit, à cette autre il faudrait une balle de coton.

vendredi 4 septembre 2015

Journal du 4 septembre 1901

Le père Joseph, pêcheur. Il a près de soixante ans. Il est de la Haute-Saône. Il y en a plus de trente-cinq qu'il n'a pas revu son pays, mais il n'y tient pas. Il est habitué aux gens d'ici. Il a deux fils jumeaux âgés de plus de vingt ans. On ne les voit jamais. Ils sont quelque part, peut-être en prison. Ils font leur vie. Sa fille a "dans les quinze ans", il ne sait pas au juste.
Il a deux roulottes, l'une qui est de la largeur d'un lit: celui de sa femme, qui est aussi le sien, est au fond, celui de leur fille, à l'entrée; l'autre contient un poêle. Il ne pourrait pas s'en passer, pour faire sa cuisine, d'abord, ensuite, pour se chauffer, quand deux vents qui soufflent se rencontrent entre les deux roulottes sous la bâche qui sert de toiture.
Autrefois, il prenait, par jour, douze livres de poisson qu'il vendait à Corbigny. Il n'y en a plus. Coureurs, saltimbanques, ont tout détruit avec des lignes de fond.  On ne devrait pas pêcher ainsi. C'est défendu.
Il préfère ses roulottes à une petite maison qui lui coûterait peut-être 60 francs de loyer par an.

jeudi 3 septembre 2015

Journal du 3 septembre 1905

Ils ne disent pas "écrire" mais "marquer". "Je lui ai marqué ça sur ma lettre." c'est bien plus exact.

mercredi 2 septembre 2015

mardi 1 septembre 2015

Journal du 1er septembre 1889

Mlle Blanche a été caissière dans un water-closet à l'Exposition de 78. On payait cinq sous, et dix sous pour les cabinets avec toilette. Elle fait sonner les prix avec orgueil, et à nous-mêmes il semble, devant la fabuleuse énormité du droit d'entrée, que la chose devait sentir moins mauvais que de nos jours où ces petits endroits deviennent d'un bon marché dérisoire. D'ailleurs, pourquoi les prix ont-ils baissé? On a envie ou l'on n'a pas envie, n'est-ce pas?

lundi 31 août 2015

Journal du 31 août 1892

Ma tête est une fleur, mais une fleur montée, et elle doit avoir un fil de fer dans la gorge.

dimanche 30 août 2015

samedi 29 août 2015

Journal du 29 août 1907

L'auto, l'ennui vertigineux.
Ils vous demandent tout de suite combien de chevaux. disons 1500 et n'en parlons plus.
Il y a des minutes où, en voyage aux frais des plus généreux des hommes, on se sent tout à coup le colis.
Guitry salue un vénérable prêtre, qui répond, surpris et flatté.
- Il faut que je lui donne quarante sous, dit Guitry qui court à lui, et qui lui dit: "Mon père, je vous prie d'accepter cette obole. Ce n'est rien, mais cela peut toujours soulager un de vos pauvres."
Nous rions, et les gens nous regardent et ne savent que penser, tant c'est bien fait. Tout autre que Guitry raterait ces petites scènes. C'est un homme de lettres qui joue au lieu d'écrire. Ses histoires les plus banales sont admirablement jouées, dans le mouvement et dans le ton.

vendredi 28 août 2015

Journal du 28 août 1908

Je ne suis, de ma nature, ni observateur ni ironiste. Je vois mal, et j'ai la réplique vraie, c'est-à-dire pauvre. Ce n'est qu'après que tout s'arrange.

jeudi 27 août 2015

Journal du 27 août 1890

Ça m'étonnerait, me dit amicalement Trézenick que Jullien n'insère pas votre article. Il n'a pas, en ce moment, de copie sous la main.

mercredi 26 août 2015

mardi 25 août 2015

Journal du 25 août 1893

Il se précipita, dans l'abîme, laissant, pour s'immortaliser, sa pantoufle sur le bord.
Mais personne jamais ne retrouva la pantoufle.

lundi 24 août 2015

Journal du 24 août 1889

Les écrivains qui n'aiment pas Victor Hugo me sont ennuyeux à lire, même quand ils n'en parlent pas.

dimanche 23 août 2015

Journal du 23 août 1908

La mère d'Augustine conseille bien à Marinette de ne la laisser sortir que pour les commissions. Elle ne connaît personne; elle n'a pas pas besoin de sortir le dimanche.
- Si elle désobéit, renvoyez-la-nous, dit-elle.

vendredi 21 août 2015

Journal du 21 août 1906

Voyage à Mont-Sabot par Combres, Ruages, Moissy, retour par le Mont-Bué, route de Lormes, Bailly, Reune-bourg, Corbigny. J'étale ma mémoire comme une carte géographique, et je m'efforce de revoir ce que j'ai vu: perpétuel étonnement.
Deux châteaux à tours carrées qui peu à peu s'adoucissent et deviennent des fermes.
Chitry-Mont-Sabot avec ses toitures  de paille et ses beaux noyers.  Il n'en a pas l'air dit le voiturier, mais c'est un pays riche. Une jeune fille apporte en dot un noyer.
Un chaos de maisons, de jardins et de tas de fumier. Des murs neufs de granit rouge.
Mont-Sabot. Un sabot droit au nez fendu. Des tilleuls dont l'un est foudroyé, mort. On y enterre encore. L'église, couverte de pierres plates, est fermée.  Vieilles tombes. dont les plus vieilles sont les mieux ouvragées. Vue magnifique: Montoison, le château de Vauban, l'immense grange de Vézelay, Lormes. Les morts n'ont qu'à se lever sur un coude pour voir tout ça.
Un pays clair, facile à comprendre: une butte, un vallon, une butte, un vallon. D'une pente à l'autre, les paysans se voient travailler. C'est la première église que j'aie envie de voir: elle est fermée.
Un sentier tourne autour de la butte comme une jarretière au-dessus du genou.
Puis, l'heure rose, l'heure tendre, l'heure divine arrive. C'est une surprise que Dieu nous fait chaque soir. Il faudrait se coucher dans tous ces près, boire à toutes ces fraîcheurs, vivre là, là, mourir partout.
Être né, là, au pied du Mont-Sabot, quelle enfance pour un poète!

jeudi 20 août 2015

Journal du 20 août 1901

Rentré à Chaumot après voyages au Breuil et à Bussang.
L'énorme nourrice qui sentait Château-Chinon à plein nez. Je me ratatinais dans mon coin, mais la chair croulait, et je sentais à la cuisse une chaleur grasse et écœurante. Elle était assise, genoux écartés, les mains aux ongles noirs sur les genoux.  Elle dormait bouche ouverte. Je remuais brusquement. Elle s'éveillait et tâchait de relever ses graisses, mais tout retombait. 
Entre sa cuisse et la mienne je glissais des journaux. Ça me tenait encore plus chaud, mais j'étais moins écoeuré.
La "meneuse" avec ses trois femmes. Air rusé, presque distingué, de femme maigre qui ne craint pas les voyages, une dame qui se sait supérieure aux trois pauvres vaches à lait qu'elle emmène à Paris. A côté d'elles, sa boîte carrée en bois verni avec la plaque de cuivre: " Service de l'Assistance publique". Elle me demande pardon et se met à la portière pour agiter son mouchoir quand elle passera "en vue" de son fils qui habite aux environs de Fontainebleau.
Un vieux monsieur, quelque noble, d'esprit curieux, qui tient à tout savoir et pose des questions insupportables.
- Monsieur est du pays?
- Oui.
- Quel est donc ce château?
- Ah! Je n'en sais rien.

mercredi 19 août 2015

Journal du 19 août 1907

Promenade à Montenoison, le 17. Le cocher gai:
- J'y suis venu lundi dernier pour amener un mort. Hi! Hi!
Les prés de Champlin. Des prés immenses qui valent entre 100 et 150 000 francs. Tout ça appartient à de riches régisseurs qui ont fini par manger leurs propriétaires.
Prés achetés autrefois aux communes, comme chaumes: ont-ils seulement été payés?
La voiture, une caisse trop noire qui doit être le corbillard de Montenoison; mais, quand on ne le sait pas...
Oh! avoir sur cette butte un vieil oncle que je viendrais voir de temps en temps!
Un homme jeune, qui nous prête sa lorgnette, nous dit:
- Je suis du pays, et j'ai attendu trente-cinq ans avant de venir voir ça.
Il le répète comme un titre.
Auberge. Hier, elle avait à déjeuner un ingénieur en chef de Paris.

lundi 17 août 2015

dimanche 16 août 2015

samedi 15 août 2015

Journal du 15 août 1906

Saint-Honoré, morne village d'eaux.Le marquis général d'Espeuilles arrive et se fait porter sur une chaise. Il salue (personne ne lui répond), et entre dans la salle de jeux. Richards du lieu tout fiers de lui parler.
Une cabane pour les renseignements donnés par le syndicat: toujours fermée.
Le couple tragique. Portant des boîtes plates,ils cherchent leur place, la table d'où ils feront le plus de poires. le professeur apparaît en habit. La vénérable vieille, bossue, bandeaux blancs, robe de soie, jupon jaune, tire un violon dans sa boite. Dans l'autre, il y a les accessoires du professeur et les lots de la loterie.  Oh! la pitié qu'excite la vieille! Cet air résigné qui fend le coeur!  Elle n'a donc pas un petit-fils qui lui dirait: "Grand-mère, je t'en supplie: ne fais plus ça! Tous les mois je te donnerai 20 francs. Tu pourras vivre chez toi, dans un coin, et penser à ton salut." Toute pâle, on dirait l'art tombé dans la misère.
Laïus du professeur. Il est déjà trop  jovial.  Il annonce que madame va jouer un morceau de sa composition, puis un air de vielle. Lui, il fera des tours nouveaux, très curieux. Elle joue. On applaudit. Elle salue en souveraine déchue qui tout à l'heure aura l'air d'une concierge. L'homme fait ses tours. Loterie, et la vieille vénérable va se changer en sorcière grippe-sou.

vendredi 14 août 2015

Journal du 14 août 1904

Le marquis tape sur le ventre d'une femme enceinte et dit:
- C'est du bon travail, ça! Moi aussi, je suis un bon taureau: j'ai sept enfants.
Il écrit, dans ses remerciements: "La main dans la main, nous travaillerons dans ce but. C'est le rêve de ma vie au milieu de vous, parce que c'est la seule raison d'être du riche dans la société moderne. "
Voilà un mot qui a l'air beau. Allons! Tant mieux, si le riche se met à restituer.
Mais, à peine élu, le marquis montre le bout de l'oreille.
Il veut donner 300 francs pour le concours de musique de Corbigny, mais à la condition que son nom figure à côté des prix offerts avec son argent. il donne, mais il ne veut rien perdre.

jeudi 13 août 2015

Journal du 13 août 1897

Elle oublie sa misère à force de bavardage. Elle fait vivre sa famille avec 9 francs par mois. Elle paie 500 francs de dettes par an sans que les siens le sachent. Ruinée par son frère, elle reste pleine d'admiration pour lui. Comme elle a une excellente vue, elle fait des ouvrages de broderie très fins, et elle se les fait payer dix sous parce que ça ne se voit pas. Tous profitent de sa bêtise, de sa bonté. 
Chaque fois qu'elle va voir une amie, elle a la délicatesse de mettre les vieilles affaires que cette amie lui a données. Elle a une garde-robe bien montée et, à chaque instant, change de toilette. 
Tout le monde est bien bon pour elle et elle n'a aucun mérite.

mercredi 12 août 2015

Journal du 12 août 1888

Rien d'assommant comme les portraits de Gautier. La figure est dépeinte trait pour trait, avec les détails, des minuties encombrantes. Il n'en reste rien à l'esprit. C'est là une erreur du grand écrivain, où l'école moderne se garde de tomber. On dépeint par un mot précis qui fait image, mais on ne s'amuse plus à des revues au microscope.

mardi 11 août 2015

lundi 10 août 2015

Journal du 10 août 1904

Leurs âmes noires comme des puits. Quand c'est bien calme, on voit une étoile au fond: c'est rare.

dimanche 9 août 2015

Journal du 9 août 1889

Mon gros libraire, qui ne connaît des livres que leurs titres, m'a dit, en me remettant Le Disciple de Paul Bourget, avec une voix bon enfant, un ton convaincu et un air imbécile: " C'est amusant, mais c'est un peu dur, par exemple."

samedi 8 août 2015

Journal du 8 août 1901

Philippe. Aucune chaleur ne peut l'arrêter.
- Tant mieux, dit-il, si le travail se trouve à l'ombre; mais, si le travail est au soleil, il faut bien y aller.

vendredi 7 août 2015

Journal du 7 août 1907

Il faut que je laisse aux choses le temps de se placer sur ma mémoire, comme des objets d'art sur un meuble bien d’aplomb.

mercredi 5 août 2015

Journal du 5 août 1897

Je suis un homme du Centre de la France, à l'abri des brumes du Nord et des coups de sang du Sud. Ma cigale, c'est la sauterelle, et ma sauterelle n'est pas symbolique. Elle n'est pas en or. Je la prends dans les prés au bout des brins d'herbe. Je lui ôte ses grandes cuisses et m'en sers pour pêcher à la ligne.

mardi 4 août 2015

Journal du 4 août 1902

Prix à Corbigny. Le comte d'Aunay, type du diplomate faisandé. Très fort au jeu de lorgnon, qu'il pose et reprend à chaque transition. Un peu démonté parce que personne ne l'attendait à la porte de la salle des fêtes. 
Il n'embrasse pas les petites filles: ce doit être de mauvais goût. Il lit leur nom sur la fiche du prix et demande leur âge. Il croise les jambes pour montrer ses souliers vernis et ses chaussettes de couleur à raies.

lundi 3 août 2015

Journal du 3 août 1892

Y aurait-il moyen de reprendre les Cloportes en style direct? Je dirais :"Mon père, mon frère, ma soeur". Je serais un personnage d'observation: je ne jouerais aucun rôle, mais je verrais tout. Je remarquerais que le ventre de la bonne grossit. Je dirais: " Qu'est-ce qui va se passer?" J'observerais les têtes. Je dirais: " Pan! Voilà que maman veut mettre la bonne à la porte, maintenant!" Greffer l'histoire de Louise sur l'histoire d'Annette.  C'est moi qui fournirais les accessoires. Ce seraient les souvenirs d'un enfant terrible. Je dirais: " J'ai reçu une calotte, mais j'ai bien ri." Faire très gai de surface et tragique en dessous. Ma mère ne s'aperçoit de rien. Elle bavarde tant!
J'aurais ainsi Poil de Carotte ou l'enfance, les Cloportes, adolescence, et l’Écornifleur, vingtième année. En faire une satire intime. Je fais Kss! Kss!

dimanche 2 août 2015

Journal du 2 août 1902

Chitry. C'est la première fois, mais je préférerais l'incognito. Tout à l'heure en passant devant l'auberge, j'ai entendu des gens parler fort, et l'un d'eux a presque crié, en  se retenant tout de même: "Poil de Carotte!" Est-ce que je serai obligé, un jour,  de me retourner et de répondre: "Et vous, comment vous appelle-t-on? Poil de voyou, ou crapule?"  Est-ce que Poil de Carotte va recommencer et me rendre ce pays inhabitable?
Dire que, si jamais j'ai quatre-vingts ans et que je sois obligé d’être un  maire "à poigne", les gamins me courront après en m'appelant Poil de Carotte.

vendredi 31 juillet 2015

Journal du 31 juillet 1905

Incendie du vendredi 31 juillet, à trois heures du matin.
Borneau va mieux. Il rit, tout fier d'avoir échappé au feu du ciel, tout fier d'avoir aussi été presque foudroyé.
- Je me suis jeté à quatre pattes, dit-il, pour courir dans la rue. 
Déchirure fracassante du coup de tonnerre. 
- N'aie pas peur! dis-je à Baïe.
Lucienne appelle Philippe, son père. Par la porte, je vois Chitry en feu. On s'habille. Lanterne pour moins voir les éclairs. Gens sur les portes, dans les rues. Des hommes redescendent.
- C'est chez Borneau! disent-ils! 
- Et Borneau?
On l'a sauvé, mais la Mougneaude a voulu rentrer pour prendre son édredon, et elle y est restée.
Ah! Et les pompes? Pas d'eau. Cris. Une échelle. Tous les hommes à la chaîne.
Il fait déjà jour. Ma lanterne allumée, que je porte du jardin à la cour, doit me rendre ridicule.
Il y a ceux qui veulent se distinguer et sont beaux à voir sur le toit. Il y a les goguenards qui se défilent.
L'orage recommence.
Ceux qui ne se distinguent pas par le courage veulent, dans leur récit, se distinguer par la peur, jamais ils n'ont eu et jamais personne n'a eu peur comme ça!
La mougneaude sur son lit, vieille, presque morte, - Ôtez la chemise! Coupez, coupez! Qu'est-ce que ça fait? Frottez avec de la laine, de l'eau chaude, non: froide.
Maman en verse un plein pot sur la laine.
Cuiller entre les dents. Je cherche la langue, je la pince, impossible de l'attraper. Le mouchoir. Mouvement des bras. Le vert des dents. Le corps blanc de cette vieille femme.
Elle va s'en tirer.
Le curé arrive, met sa blouse blanche, lit ses prières et débouche sa fiole d'huile pour l'extrême-onction. Je ne me découvre pas, mais je sors.
Tandis que nous la ranimons, il l'enterre.
Honorine dit que le feu du ciel l'a jetée sous son arche.
Le paysan veut être éloquent dans la douleur. Mougneau  poussait des cris comme une pleureuse classique.
De son poulailler, des poules se sauvaient, en feu.

jeudi 30 juillet 2015

Journal du 30 juillet 1897

Mon père. Le lendemain, je me lève de table pour aller pleurer. C'est la première fois, depuis vingt heures que je le veille. Des flots de larmes me montaient aux yeux: pas un n'avait pu sortir. 
Quelle belle mort! Je crois que, s'il s'était tué devant moi, je l'aurais laissé faire. Il ne faut pas diminuer son mérite. Il s'est tué, non parce qu'il souffrait trop, mais parce qu'il ne voulait vivre qu'en bonne santé.
Il aurait dû me le dire. Nous nous serions entretenus de sa mort comme faisaient Socrate et ses amis. Peut-être en a-t-il eu l'idée. Mais je sais bien que j'aurai été stupide. Je lui aurais dit: "Tu es fou! Laisse-moi tranquille, et parlons d'autre chose."
Je crains moins la mort. Je crains déjà moins l'orage. (Ce n'est pas vrai.)
Magnifique exemple! et plus de duel: je me tuerai moi-même quand je voudrai. Il y a du plomb dans ma vie: les chevrotines de sa mort.

mercredi 29 juillet 2015

Journal du 29 juillet 1898

Moi qui ne recherche que le rare et qui, pour y atteindre, renonce aux gros tirages et à la grosse presse, je lis, ce matin, dans la dernière des petites revues, qu'un anonyme trouve que j'excelle dans ce que je fais, mais que je fais toujours la même chose.
Et me voilà déconfit pour longtemps.

lundi 27 juillet 2015

Journal du 27 juillet 1897

Promenade à Asnan. Des clochers, des croix, des cimetières. Une croix noire avec un christ doré qui fait mal aux yeux. Petits champs soigneusement clos.
Et toujours cette stupéfaction de voir qu'il y a des êtres qui vivent là! Une vieille dame très bien, sur le seuil d'une maison très propre tricote, et nous accorde à peine un coup d’œil. C'est la première fois que nous voyons ces pays, qui nous attendrissent. Nous ne sommes pas des coureurs.
Tous ces pays où mon père a chassé! A chaque instant, je m'y croyais égaré. Là, il a tué un lièvre. Dans cette haie, nous avons perdu une perdrix rouge. 
Montenoison, un des points culminants du Nivernais.
Le feu d'une forge. Un cavalier en gants blancs. Tout de suite: vie de château, images de richesse et de bonheur, châtelaine charmante.

samedi 25 juillet 2015

vendredi 24 juillet 2015

Journal du 24 juillet 190arché

Guitry raconte:
- Pasteur  se présente chez madame veuve Boucicaut, la propriétaire du Bon Marché. On hésite à le recevoir. "C'est un vieux monsieur", dit la bonne. "Est-ce le Pasteur pour la rage des chiens?" La bonne va demander. "Oui", dit Pasteur. Il entre. Il explique qu’il va fonder un Institut. Peu à peu, il s'anime, devient clair, éloquent. "Voilà pourquoi je me suis imposé le devoir d'ennuyer les personnes charitables comme vous. La moindre obole... - Mais comment donc!" dit Mme Boucicaut avec la même gêne que Pasteur. Et des paroles insignifiantes. Elle prend un carnet, signe un chèque et l'offre, plié, à Pasteur. "Merci, madame! dit-il, trop aimable!" Il jette un coup d’œil sur le chèque et se met à sangloter. Elle sanglote avec lui. Le chèque était d'un million. 
Guitry a les yeux rouges, moi, la boule de gorge. 
Et nous voilà parlant bonté, pleins d'une bonté qui fond en nous et nous fait du bien, avant, hélas! que nous n'en fassions aux autres.

jeudi 23 juillet 2015

Journal du 23 juillet 1894

Explication de Marcel Schwob sur l'impossibilité de fonder un journal du matin à Nantes: à cause de l'exiguïté des trottoirs, les Nantais ne peuvent lire en allant à leurs affaires.

mercredi 22 juillet 2015

Journal du 22 juillet 1894

Quant on le priait à dîner, Schwob apportait toujours quelque chose. C'était son plat à lui: un volume de Rabelais ou de Pascal. Il lisait admirablement, je ne dis pas: sans prétention à bien lire. Après chaque phrase il levait les yeux sur ses auditeurs comme pour s'assurer qu'ils se tenaient là, immobiles, captivés et reconnaissants. Il pouvait manquer de goût. Je me rappelle qu'un soir, chez Mme Léon Daudet, où on l'écoutait avec une complaisance charmante, il faillit confondre Oscar Wilde avec Shakespeare. On dut l'arrêter.
Il avait des manies enfantines. Il semblait alors, sa belle intelligence mise de côté, jouer avec les petites sœurs de Monelle. Il prenait son petit dé, son petit coton, ses petites aiguilles, et il cousait de plaisantes bavettes sous le nez des directeurs de journaux.  Il les avait tous en horreur. Il contait bien et y prenait plaisir. Il s'exerçait peut-être à domicile, car, au bout de trois ou quatre ans, il nous parut que quelques-unes de ses histoire restaient le mêmes.
Il ne faut pas sournoisement respecter les morts. Il faut traiter leurs images en amies et aimer tous les souvenirs qui nous viennent d'eux. Il faut les aimer pour eux-mêmes et pour nous, dût-on déplaire aux autres.
Ses taquineries. Ses calembours sur des noms haïs, des titres de livres écœurants.