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mardi 23 juin 2015

Journal du 23 juin 1890

La nuit d'orgie dans une pension: il ne reste plus qu'une odeur, une odeur bizarre d’œufs de Pâques écrasés. L'ange du mal, perché sur les rideaux du maitre d'étude, chante victoire et, d'une voix fêlée, s'écrie: "Je tiens ces âmes! - Mais non! Tu ne tiens rien du tout!" dit l'ange du bien, tranquille, assis au chevet d'un amant et sur une table de nuit. "Mais non. Comme dans les contes de la mère l'Oye et les poésies de Charles Baudelaire, pour ma part, je n’y vois aucun mal Cela les calme, les chers petits, et cela ne tire pas à conséquence."
L'ange du mal pleurant de dépit dans un vase...
- Moi, je dors, mes amis, je dors, allez!
Aussitôt ils vont, c'est-à-dire ils s'aiment.
Le premier frottement d'une peau de femme enlèvera ce vice comme un papier de verre efface une moisissure.

jeudi 8 mai 2014

Journal du 8 mai1895

Mallarmé. Il est tellement clair dans la conversation qu'après l'avoir lu on le trouve causeur banal. Il parle de Baudelaire et de ce que je fais.  Malgré moi, je suis en glace. Impossible de dire un mot gentil. Si, encore, il était velu comme un faune, je pourrais le caresser.

mercredi 24 octobre 2012

À propos de Baudelaire

Mon cher Rivière,
Une grave maladie m'empêche malheureusement de vous donner, je ne dis même pas une étude, mais un simple article sur Baudelaire. Tenons-nous en faute de mieux à quelques petites remarques. Je le regrette d'autant plus que je tiens Baudelaire - avec Alfred de Vigny - pour le plus grand poète du XIXe siècle. 
Je ne veux pas dire par là que s'il fallait choisir le plus beau poème du XIXe siècle, c'est dans Baudelaire qu'on devrait le chercher. Je ne crois pas que dans toutes Les Fleurs du mal, dans ce livre sublime mais grimaçant, où la pitié ricane, où la débauche fait le signe de la croix, où le soin d'enseigner la plus profonde théologie est confié à Satan, on puisse trouver une pièce égale à Booz endormi. Un âge entier de l'histoire et de la géologie s'y développe avec une ampleur que rien ne contracte et n'arrête, depuis. 
La Terre encor mouillée et molle du Déluge
Jusqu'à Jésus-Christ:
En bas un roi chantait, en haut mourait un Dieu.
Ce grand poème biblique (comme eût dit Lucien de Rubempré: "Biblique, dit Fifine étonnée?") n'a rien de sèchement historique. Il est perpétuellement vivifié par la personnalité de Victor Hugo qui s'objective en Booz...
(Marcel Proust, Essais et articles, Après la guerre, La Pléiade, p. 619.)

samedi 21 juillet 2012

Journal du 21 juillet 1897

Oh! pas maintenant! Mais je sens bien que, plus tard, dans un moment de dégoût absolu, ce que Baudelaire appelle "la morne incuriosité", je ferai comme lui. Petite cartouche vide qui me regarde comme un œil crevé! 
Que jamais on ne dise: " Son père fut plus brave que lui!"

mercredi 13 juin 2012

Qu'en aurait pensé Jules Renard ?

L'exemple à ne pas suivre
Un éditeur qui est aussi un libraire a eu l'idée, à tout le moins étrange, de demander à des amateurs de livres comment ils constituaient leur bibliothèque.
Et cela nous a valu, à côté de réponses "d'honnêtes hommes", comme on disait au grand siècle, des déclarations péremptoires - pour ne pas écrire prétentieuses - comme celle de cet agent forestier qui nous dit sans rire, avec un manque absolu d'humour:
"...Il y a dans ma bibliothèque des livres de toutes sortes, mais si vous alliez les ouvrir, vous seriez bien étonné. Ils sont tous incomplets; quelques uns ne contiennent plus dans leur reliure que deux ou trois feuilles. Je suis d'avis qu'il faut  faire commodément ce qu'on fait tous les jours: alors je lis avec des ciseaux, excusez-moi, et je coupe tout ce qui me déplaît. J'ai choisi des lectures qui ne m'offensent jamais. Des Loups j'ai gardé dix pages, un peu moins du Voyage au bout de la nuit. De Corneille j'ai gardé tout Polyeucte  et une partie du Cid. Dans mon Racine, je n'ai presque rien supprimé.  De Beaudelaire j'ai gardé dix-neuf vers et de Victor Hugo un peu moins. De La Bruyère, le chapitre des xxxxx. De Saint-Evremond, la conversation du père xxxxxx avec le secrétaire. De Mme de Sévigné, les lettres sur le procès de Fouquet. De Proust, le dîner avec la duchesse de Guermantes"
On conçoit fort bien qu'un intellectuel  ait des préférences marquées et fasse choix de certains écrivains parmi d'autres, se constitue même une anthologie pour son usage. Mais on a du mal à comprendre cet homme qui se fabrique une bibliothèque de débris. Et l'on s'imagine la tête de ses héritiers - qui n'auront, espérons le, ni ses goût, ni son amour du vandalisme - lorsqu'ils se trouveront en présence de ce bric à brac imbécile...
Comment!? Cet homme n'éprouve pas le besoin de connaître autre chose? Il n'évoluera donc plus - il le sait - et son esprit se satisfera désormais des mêmes nourritures, comme ces estomacs délabrés - parfaitement explicables d'ailleurs - soumis au même éternel menu parce qu'ils ne peuvent plus supporter que le bouillon d'herbes et une viande grillée sans sel?...
Mais la question est plus grave. Il y a suffisamment dans le monde de mauvais écrivains en mal de publication - encore ne sont-ils pas superflus puisqu'ils contribuent à créer ce que l'on nomme "le mouvement littéraire" - mais, par une démagogie dangereuse, pousser l'imprudence jusqu'à solliciter les textes des illettrés ou des sots qui se croient instruits... Ils nous administreront toujours trop tôt la preuve de la sècheresse de leur coeur et de la misère de leur esprit.
(Emile Zavie, l'Intransigeant, 4 mars 1933)

dimanche 15 avril 2012

Le Journal vu par Sacha Guitry 5/5

Donc, il reste encore à faire un livre avec ce livre. Et je suis convaincu que l'on pourrait, en une prochaine édition, établir certaines différences typographiques entre les réflexions personnelles de Renard et celles qu'il notait pour les avoir imaginées ou entendues.
Il se crée, dans l'esprit du lecteur non averti, de perpétuelles confusions qui sont détestables. Il attribue à Renard des observations dont celui-ci n'avait pris note que parce qu'il les trouvait risibles. Certains éclaircissements sont nécessaires, et ce que Renard n'eût point manqué de faire s'il avait publié lui-même son Journal, un ami très intime à lui - je ne vois que Tristan Bernard - pourrait en être chargé. Mais, tel quel, nous nous trouvons en présence d'un livre exceptionnel.
À ma connaissance, il n'en existe pas qui lui soit comparable - ni les Confessions de Jean-Jacques, ni les Cahiers intimes de Balzac, ni les Choses vues de Victor Hugo, ni les Aveux de Baudelaire, ni les Mémoires de celui-ci, ni les Souvenirs de celui-là. C'est autre chose que tout cela. Ça ne remplace rien, ça ne prend la place de personne - mais ça remet bien des personnes, bien des choses à leur place et ça trouve sa place inoccupée encore, et parmi les plus grands. On pouvait s'en passer, puisqu'on s'en passait bien - on ne pourra plus s'en passer maintenant.
(Sacha Guitry, Les Nouvelles littéraires, 26 octobre 1935)