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jeudi 14 mars 2013

Journal du 14 mars 1901

Chez Léon Blum.
- Dois-je signer, dit-il, les Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann, c'est-à-dire mettre mon nom sur une couverture où il y aura celui de Goethe?
- Pourquoi pas? dis-je. L'audace n'est pas de signer ce livre: c'est d'avoir eu l'idée de le faire.
- Oui, et ce que vous me dites est plus troublant.
Dans les carafes, de l'eau bouillie qui achève de se refroidir.
- Aujourd'hui, dit Boulanger, les écrivains n'écrivent qu'avec des synonymes.
- Il ne peut y avoir de critique sincère, dit Blum, que la critique anonyme. C'est tout le journalisme anglais.

jeudi 22 novembre 2012

Jules Renard vu par Franc-Nohain 2/3

Suite d'hier.
Le journaliste - Cette dernière proposition  est troublante. C'est tout le problème de la technique qu'elle pose, et résout en un sens déterminé. Mon ami J.C. Goulinata a doté peintres et amateurs d'un précieux ouvrage: La technique des peintres. Hélas! La technique des écrivains est un livre plus difficile à écrire. Il faudrait braver le ridicule, ne pas craindre d'affirmer un certain dogmatisme. Et puis les règles ne sont peut-être pas aussi "matériellement évidentes"; la matière n'a pas comme dans la peinture, une existence séparée. En littérature, l'âme et le corps vivent d'une vie confondue. N'importe, je crois qu'aujourd'hui certains écrivains se privent d'une joie bien grande en ne considérant pas le "métier littéraire" dans toute sa complexité, comme un jeu mathématique et précis. Sans doute, il n'y a pas là de chimistes pour déterminer les mélanges dangereux ou interdits, mais les lois, pour être inexprimées, n'en sont pas moins réelles. Chaque écrivain doit seulement les trouver pour son propre compte. Les retrouver fut la seule passion de Jules Renard; sa passion et sa joie quand il les retrouve toutes.
Franc-Nohain -Renard eut sur nous tous une grosse influence: Marcel Boulenger lui doit beaucoup et aussi Tristan Bernard. Jules Renard avait conscience de la valeur de son œuvre et souffrait quand elle n'était pas assez reconnue. Il aimait à nous raconter une histoire de régiment que je vais vous dire. Il riait en nous la racontant mais je crois bien qu'il riait un peu jaune. A une certaine époque de sa vie, il était allé faire une période d'instruction - ses vingt-huit jours - à Bourges. Sergent, il prenait pension à la popote des sous-officiers. le premier soir, ses camarades l'interrogèrent amicalement sur ce qu'il faisait. Sa réponse (qu'il était "homme de lettres") tomba - sans susciter aucun mouvement - au milieu de l'indifférence générale. Quelques instants après, il eut l'occasion de dire qu'il était l'ami d'Alphonse Allais... Tous alors le félicitèrent bruyamment et décrétèrent d'enthousiasme un punche d'honneur pour l'ami Alphonse Allais.
Suite demain.
(Franc-Nohain, Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925.)

mardi 20 novembre 2012

Jules Renard envoie ses témoins

Je dois à Mme M. Renard, belle-fille de l'écrivain, la communication du procès-verbal suivant:
"M. Jules Renard, s'étant cru visé personnellement par un mot détaché dans un article de M. Franc-Nohain, a prié MM. Marcel Boulenger et André Picard de se mettre en rapport avec les témoins de M. Franc-Nohain: Celui-ci a désigné, pour le représenter, MM. Abel Hermant et Marcel l'Heureux.
Les témoins de M. Jules Renard ayant acquis, par leur entretien avec les témoins de M. Franc-Nohain, l'assurance que l'interprétation donnée par M. Jules Renard au mot en question n'était nullement fondée, les quatre témoins ont reconnu que cette affaire ne comportait pas d'autre suite."
Fait en double à Paris, le 2 novembre 1909.
(Léon Guichard, Dans la vigne de Jules Renard, p. 296.)
Léon Guichard suggère deux articles pouvant avoir chatouillé la susceptibilité de Jules Renard. Le second est le bon. Il s'agit d'un article sur la Bigote publié dans La Vie Parisienne du 30 octobre 1909, comme le raconte Franc-Nohain dans une interview accordée à Frédéric Lefevre dans les Nouvelles littéraires du 10 janvier 1925.
A suivre demain.

lundi 5 novembre 2012

Jules Renard vu par...

Maurice Rostand: son dur visage, taillé à coups de serpe, avait quelque chose d'un peu terrifiant.
Lui-même: Je suis carrément laid, parait-il... Il est certain que je marche sûrement vers une irrémédiable laideur.
Régis Gignoux: Le grand front convexe.
Henri Bataille: La tête en forme de haricot, et le double menton des oies vexées.
Léon-Paul Fargue: Son œil de rouge-gorge, son oreille de chasseur, et son nez de poil à gratter.
Marcel Boulenger: Mais son oeil rond et noir vous eût en même temps percé comme une balle de fusil.
Rachilde: Ce grand et robuste garçon, haut en couleur, avait des yeux en trous d'épingle dans un abat-jour; on devinait qu'un lampe brûlait derrière!
Lucien Descaves: ... Froid, boutonné, l’œil aigu, la barbe rissolée.
Edmond de Goncourt: ... Un garçon encore jeune, mais froid, sérieux, flegmatique, n'ayant pas aux bêtises qui se disent le rire de la jeunesse.
Camille Mauclair: Jules Renard... ne parlait guère, mais était toujours aux écoutes, pointilleux, susceptible, attentif et méfiant comme un lapin roux, dont il avait le continuel frémissement de bouche et d'oreille.
(In Léon Guichard, Renard, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961, P. 9 et 10.)

jeudi 18 octobre 2012

Jules Renard vu par Jules Claretie 3/4

C'est enfin - admirable profil de paysan de France - le laboureur Jean Morin, qui sa journée finie, la vache rentrée à l'étable, allume sa lampe et (mieux que la chèvre errante) lit, - oui, chose incroyable, lit Lamartine, lit Hugo, et à son tour, rimaille et exprime sa pensée en des vers naïfs qui en valent bien d'autres. "Il reste de la terre à ses doigts qui tiennent le porte-plume." Certes, mais cette âme de paysan a son idéal, et Jules Renard en est touché.
"Si tu veux labourer droit et profond, pousser allègrement ton sillon jusqu'au bout accroche ta charrue à une étoile!" a dit un poète d'Amérique. Et l'auteur des Mots d'écrit ajoute: " Honneur au paysan Jean Morin! Il vit pauvre de fortune et riche d'idéal. Il accroche sa charrue à une étoile!"
Les autres œuvres de Jules Renard sont célèbres. Je signale celle-ci à ceux qui ne connaissent point les Cahiers nivernais. Ces pages sont des modèles de polémique supérieure.
(Jules Claretie, La vie à Paris, G. Charpentier, 1911)

mercredi 17 octobre 2012

Jules Renard vu par Jules Claretie 2/4

Suite d'hier.
L'auteur des Mots d'écrit - dont on doit publier dans les Cahiers nivernais un volume de discours, discours d'un maire de village à ses administrés, sortes de causeries de plein air au seuil de quelques fermes - se plait à tracer des silhouettes de paysans et de paysannes, d'humbles et curieuses scènes et croquis d'élection à Chaumot ou à Chitry, et l'observateur pénétrant qu'est Jules Renard nous trace là une série de tableaux quasi intimes qui donneront à l'avenir de précieux renseignements sur l'état d'âme des ruraux de notre temps. C'est le brave homme d'électeur qui, sur la route qui mène au scrutin, crie avec "une colère amusante contre lui-même":
- Je ne veux plus voter comme une bête! Je ne veux plus voter comme une bête!
C'est la pauvre femme abandonnée qui, mère de quatre enfants, est forcée de quitter le village nivernais où elle est réfugiée et d'aller ailleurs, par les chemins, pourquoi? Parce qu'on dit d'elle, en ce petit pays: "C'est une étrangère!"
C'est une distribution de prix dans une école communale, où les prix sont trop peu nombreux parce qu'on n'a pas assez d'argent, et où les livrets de caisse d'épargne manquent parce que personne n'en offre. Et on distribue des paroles et du vent à ces petits (ô Poil de Carotte!) qui attendent vainement de beaux livres, des images et des couronnes.
C'est la constatation de la pénurie de lecteurs que rencontre le Journal officiel, édition des communes affichée au mur des mairies. Seules les chèvres en font leur profit. "L'une d'elles n'en rate pas un numéro. Elle se dresse sur ses pattes de derrière, appuie celles de devant sur l'affiche, remue ses cornes et sa barbe, agite la tête de droite à gauche, comme une vieille dame qui lit, et rien ne nous autorise à croire qu'elle ne sait pas lire. Sa lecture finie, comme cette feuille officielle sent la colle fraiche, notre chèvre la mange. Après la nourriture de l'esprit, celle du corps. ainsi rien ne se perd dans la commune."
Et Jules Renard, admirable pince-sans-rire, regrette que cette chèvre, unique lectrice de l'Officiel et nourrie des séances de la chambre, ne vote pas.
Suite demain.
(Jules Claretie, La vie à Paris, G. Charpentier, 1911)

mardi 16 octobre 2012

Jules Renard vu par Jules Claretie 1/4

Un Jules Renard, avec l'acuité de son esprit et la précision de son style, eût fort bien analysé la différence qui existe entre un cœur simple par exemple et un cœur échauffé. Et il eût apporté dans son œuvre cette pitié qui nous émeut aux accents si poignants de Poil de Carotte. Une confession douloureuse et de la douleur sans phrases. Quelle vérité dans l'étude de cette âme d'enfant! Jacques Vingtras restait romantique en son ironique tristesse. Poil de Carotte est émouvant par sa résignation et son réalisme.
Jules Renard, fut un Parisien qui aimait d'amour la campagne, les champs, ou plutôt un campagnard qui aimait de Paris cette atmosphère électrique, cet air subtil, ce je ne sais quoi d'échauffant dont ne se peuvent passer ceux qui l'ont une fois respiré. Sa joie pourtant était de retrouver son coin de terre natale, son village, le logis nivernais qui, modeste, portait le même nom qu'un palais impérial: la "Gloriette". Il était maire de son village, comme l'avait été Sardou, mais ce n'est pas lui qui eût raillé "nos bons villageois".
Il aimait les paysans, et il en a parlé comme Michelet, avec moins de lyrisme et autant de sympathie profonde. Certaines de ces pages me font penser aussi à de telles confidences de P.-J. Proudhon, autre paysan parisiané. Jules Renard donnait volontiers à L'Écho de Clamecy de courts articles qui paraissaient le dimanche et n'étaient lus que par les Nivernais. Il les a réunis, voici deux ans, sous ce simple titre: Mots d'écrits, et je crois bien que le Berrichon Claude Tillier s'en fût enthousiasmé, et que Victor Lefebvre, laboureur, et Paul-Louis, la canonnier vigneron de la Chavonnière, les eussent trouver impeccable.
Suite demain.
(Jules Claretie, La vie à Paris, G. Charpentier, 1911)

lundi 8 octobre 2012

Marcel Boulenger vu par Jules Renard

Il a pris, comme Cyrano, le parti le plus simple, il a décidé d'être admirable en tout. Ce tout jeune homme qui ne saurait vieillir n'est pas élégant comme un autre; il monte à cheval comme lui-même; il fait des armes, sinon mieux que personne, du moins avec des grâces personnelles; et il vient d'écrire un livre, la femme baroque, que les lettrés qui comptent se félicitent d'avoir reçu.
il ne suffirait pas de dire que Marcel Boulenger est charmant. Il déplait d'abord et il faut presque le détester avant de l'aimer. Il produit à la foule l'effet d'un prince lointain, trop peu français pour que le ridicule le tue. Il arriva au régiment, fleuri et paré comme s'il n'allait que dîner en ville. Ce fut un succès dont il n'eut pas la faiblesse d'être gêné. A la cantine, il demanda un verre propre.
- Oh! oh! tu veux faire fantaisie! lui dit le cantinier.
Il fit fantaisie toute son année. Chaque jour il avait l'air déguisé en soldat pour un jour. Au mépris des odeurs de chambrée, il s’obstina à sentir bon. Et bientôt, las d'être ahuris, sous-officiers, caporaux et soldats, s'avouèrent domptés par ce jeune homme libre, énergique, délicat et mince qui, sans pose, sans manquer un appel, sans se faire punir, se débarbouillait quotidiennement à lui seul plus que toute la caserne. On ne protesta qu'aux manœuvres où Boulanger failli user à sa toilette le peu d'eau qu'on avait à boire.
Ce goût de propreté, il le gardera comme écrivain. Son programme, c’est de n'écrire que pour la joie d'écrire, de ne jamais faire un faux pas au-devant du succès, et de n'envoyer ses livres qu'aux écrivains de talent:
- Et vos critiques, lui dis-je, les choisirez-vous?
- L'épée à la main, s'écrie Marcel Boulenger, je défendrai aux sots de parler de mes livres.
(Jules Renard, Le Cri de Paris, 22 janvier 1899).

vendredi 21 septembre 2012

Jules Renard, mangeur de curés. 3/3

Suite d'hier.
Le mandement des évêques ne m'a point surpris. Car la loi de séparation a été trop douce et trop modérée. Aussi, les curés reparaissent-ils plus forts que jamais et aujourd'hui l'audace des évêques va jusqu'à dicter la volonté de ces derniers à ceux que le pays a désignés pour instruire des enfants et développer leur intelligence.
Il implore que le gouvernement fasse sentir d'une façon plus ferme encore son désir de demeurer maître chez lui, il faut qu'il le fasse sans hésitation, sans crainte, sans souci de froisser les responsabilités. Dans les villages, la volonté du curé pèse lourdement au sein des familles, et elle devient chaque jour plus exigeante, plus terrible, car les curés s'en prennent à la partie la plus ignorante et la moins forte de la population, aux femmes et aux enfants.
M. Marcel Boulenger, dans un article paru dans le Gil Blas, semblait douter de cette malfaisante influence dans la société riche. Mais qu'il aille voir dans nos villages ce que le clergé a fait des intelligences et des consciences qu'il a voulu diriger.
Fin
(Interview de Jules Renard par Marcel Imer, 1909. Bibliothèque de Nevers, cote ms. 174/5)

mercredi 14 mars 2012

Jules Renard par lui-même 6/6

Des jeunes de talent. – C’en est plein. Et ils vont avec une vitesse ! Je ne peux même plus vous citer Marcel Boulanger, c’est déjà un maître. M. Gaston Deschamps lui a fait trois ou quatre articles. Autrefois on pouvait arriver sans un article de M. Deschamps. Aujourd’hui, c’est impossible, et je trouve qu’on est injuste pour nos critiques. On ne les évite plus. Mais j’aime surtout les jeunes, tout-à-fait jeunes, qui m’écrivent une belle dédicace sur leur première plaquette, et qui viennent causer avec moi, enivrés de littérature, les jeunes qui découvrent Flaubert, et veulent fonder une revue !  S’ils sont de mon pays, comme Henri Bachelier (sic), l’auteur des horizons et coins du Morvan, nous passons des heures charmantes.
Votre mot sur Claude Tillier me rappelle  que je le connais, moi aussi, d’hier à peine. C’est un compatriote. C’est à Clamecy, mon chef-lieu de canton, qu’on va lui élever une statue. Ce Claude Tillier était un homme. Nous en sommes très fiers. Ça va coûter plus de huit mille francs ! Un électeur me disait l’autre jour : «  je ne comprends pas qu’on mette tout cet argent à des pierres. » Que répondre ? Me voilà inquiet pour mon buste.
… Je passe toute la saison ici, dans une vieille maison de curé, que j’ai baptisée la Gloriette, et qui est à deux pas de ma commune. J’ai une jolie vue sur la vallée de l’Yonne jusqu’au Morvan, et sur un château  qui se défie de moi comme d’une bombe. Un petit tour le matin à la mairie, de la lecture ; peu de travail ; beaucoup de rêvasserie. Vie de famille. Du Poil de Carotte retourné : c’est la logique. D’ailleurs, plus je vais, moins je comprends la vie, mais plus elle m’amuse. Je perds toute ambition littéraire. Mais je garde les nerfs et la sensiblerie de l’homme de lettres écorché : une attitude de paysan me bouleverse comme une critique. Le curé, le noble, et un tiers de mes administrés me détestent. (mes enfants ne sont pas baptisés !).  Je crois que le reste – le meilleur, naturellement – me regarde d’un bon œil. Mais que de piqûres ! Hier j’envoie demander des nouvelles d’un blessé ! On met presque mon délégué à la porte, en l’accusant d’espionnage ! Un instant je suis furieux, et puis je me dis : « Tout ça est très bien ». Car tout est très bien, c’est l’homme de  lettres qui finit par n’être qu’un pauvre bougre…
L’œuvre en train ? Aucune. Aujourd’hui on fait du théâtre pour être de l’Académie ou pour s’acheter une automobile. Et, à distance, l’Académie me fait l’effet d’un boui-boui. Alors, regardons. Par exemple, j’aurai bien regardé !
Au revoir, cher ami.
Jules Renard
(Fin de l'interview de Louis Vauxcelles,  Le Matin, 28 août 1904)