mardi 31 juillet 2012

Journal du 31 juillet 1894

Arromanches. La grande horloge était couchée par terre, comme si on avait mis le temps dans un cercueil.

A qui appartient une oeuvre?

La question s'est posée en 2001, lorsque l'écrivain François Cérésa publia une suite aux Misérables intitulée Cosette ou le Temps des illusions. Représentant l'ensemble de la famille, Pierre Hugo arrière-arrière-petit-fils de Victor saisit la justice en même temps que la SGDL. Les plaignants perdirent leur procès, la défense s'étant appuyée paradoxalement sur un texte de Victor Hugo lui-même:
Dans un discours prononcé en 1878 devant le congrès littéraire international Hugo affirmait:
"Dès que l’œuvre est publiée, l'auteur n'en est plus le maître. C'est alors l'autre personnage qui s'en empare, appelez-le du nom que vous voudrez: esprit humain, domaine public, société (...) Une fois l'auteur mort, je déclare que s'il me fallait choisir entre le droit de l'écrivain et le droit du domaine public, je choisirais le droit du domaine public (...) Nous devons travailler pour tous avant de travailler pour nous."
En deuxième appel, la cour d'appel  de Paris débouta Pierre Hugo et la SGDL les condamnant à verser 10.000 € à l'éditeur et à l'auteur vivant.
(Le Figaro, mardi 24 juillet, p. 20).

lundi 30 juillet 2012

Journal du 30 juillet 1891

La guerre n'est peut-être que la revanche des bêtes que nous avons tuées.

En politique, par Léon Daudet, juillet 1898

En politique
Je méprise le métier de politicien, tel que je le vois pratiquer en France, par la plupart des parlementaires. Hypocrisie, mensonge, tel est le programme de ces niais. Ils ne croient qu'à une chose: la patience populaire. Et ils l'exploitent de mille façons.
J'estime chaque régime à peu près supportable s'il est sincère. Graver sur les monuments: Liberté, Égalité, Fraternité, et conserver, en les faussant, des cadres autoritaires, me parait une affreuse duperie. Une immense partie de la nation, le prolétariat, n'a pas le bien-être, c'est certain. Personne ne s'occupe vraiment de l'éclairer, d’améliorer son sort, de libérer son âme robuste, simple et généreuse.
Je souhaite à mon pays le minimum de gouvernement possible. Je suis persuadé que les hommes pourraient vivre heureux sans maîtres ni contraintes, dans une société  puissante et souple, où chacun trouverait l'emploi de ses facultés. Si l'éducation, qui est la lumière, consumait l'égoïsme, illuminait la vertu et la sincérité, montrait la beauté du dévouement et du sacrifice, les petits Français deviendraient de vrais hommes, au lieu d'être une foule avide, tiraillée en divers sens par les besoins et les intérêts.
Ceci n'est pas une utopie. Un effort réel, un désir soutenu de justice aboutiraient, j'en suis sûr, à d'étonnants résultat.
(Léon Daudet, Interviews de littérature et d'art, par Jules Huret, Éditions Thot, 1984)

dimanche 29 juillet 2012

Journal du 29 juillet 1891

L’Écornifleur, c'est l'histoire d'un jeune homme insupportable qui parle tout le temps et ne prouve rien.

L'homme ligoté

Suite du 20 juillet.
On s'étonnera peut-être que Renard n'eût rien à dire. On demandera pourquoi certaine époques, certains hommes n'ont aucun message à délivrer, alors qu'il suffit de se peindre pour être neuf. Mais peut-être la question est-elle mal posée. Il semblerait, à l'entendre, que la nature de l'homme soit fixe, comme aussi bien l’œil intérieur qui la regarde, et qu'il suffirait en somme que cet œil s'accoutumât à nos ténèbres pour y distinguer quelque vérités nouvelles. En fait, l’œil préfigure, trie ce qu'il voit; et cet œil n'est pas donné d'abord. Il faut inventer sa manière de voir; par là on détermine a priori et par un libre choix ce que l'on voit. Les époques vides sont celles qui choisissent de se regarder avec des yeux déjà inventés. elles ne peuvent rien faire que raffiner sur les découvertes des autres; car celui qui apporte l'oeil apporte en même temps la chose vue. Pendant toute la seconde moitié du XIXe siècle français, on s'est vu avec les yeux des empiristes de Londres, avec les yeux de S. Mill, avec les lunettes de Spencer. L'écrivain n'avait qu'un procédé: l'observation; qu'un instrument: l'analyse. Après Flaubert et les Goncourt, déjà, on pouvait enregistrer un certain malaise. Goncourt note dans son journal, au 27 août 1870:
"Zola vient déjeuner chez moi. Il m'entretient d'une série de roman qu'il veut faire, d'une épopée en dix volumes, de l'histoire naturelle et sociale d'une famille... Il me dit: après les analystes des infiniments petits du sentiments, comme cette analyse a été tentée par Flaubert dans Madame Bovary, après l'analyse des choses artistiques, plastiques et nerveuses, ainsi que vous l'avez faite, après ces oeuvres-bijoux, ces volumes ciselés, il n'y a plus de place pour les jeunes; plus rien à faire; plus à constituer, à construire un personnage, une figure: ce n'est que par la quantité des volumes, la puissance de la création qu'on peut parler au public.
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947) 

samedi 28 juillet 2012

Journal du 28 juillet 1899

Le style, c'est l'habitude, la seconde nature de la pensée.

Pâques

Voici la semaine de Pâques et, comme à un opéra aimé aux douces influences musicales de qui on brûle d'aller se soumettre, chacun décide d'aller au plus vite à la campagne. La représentation est d'ailleurs particulièrement brillante, il faut se hâter d'en profiter. Car ce n'est que pour quelques jours que les cerisiers, les pommiers et les poiriers se montreront dans toute la splendeur de leur légère robe blanche ou rose. Et les frêles lilas qui prolongent leur séjour tous les ans de quelques semaines pour paraitre à côté de ces cerisiers devant la beauté presque féerique de qui ils s'effacent en souriant, comme les femmes souvent admirent une autre femme - les frêles lilas sont encore là, inclinant gracieusement leur tête violette ou blanche de cygne. Et quoique leur beauté soit certes moins éclatante, peut-être la préférerez-vous à celle des cerisiers, et trouverez-vous à leur parfum un charme unique.
A chaque étage des vieux marronniers, les feuilles - hôtes joyeux du printemps qui restent assez tard à jouir de la belle saison et dont quelques-unes, plus résistantes que les autres aux vents redoutés de Septembre prolongent leur séjour, s'exposant vaillamment seules sur la branche désertée aux intempéries de l'automne - les feuilles déjà sont au complet.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, p. 414.)

vendredi 27 juillet 2012

Journal du 27 juillet 1903

Mme Lepic. Sa vertu d’honnête femme est une vertu piquée, âcre. Elle garderait un sérail. Elle gardait la petite bonne et lui décachetait ses lettres. Elle en conserve une qu'elle lui a arrachée, et dont elle met les trois morceaux dans une boite: 
- Mon bien-aimé, disait la petite,  je vous attend ce soir. Je serai seule. Nous pourrons causser. Celle qui vous aime. Votre petite amie.
Mme Lepic dit:
-Elle fait de ma maison une maison publique. D'ailleurs le maire me l'a bien dit: "Ce n'est pas une petite fille: c'est une chienne." Comme je le lui disais à elle: "Moi, ma fille, j'ai eu mes torts, je le reconnais. Oui, j'ai des défauts, mais, sous ce rapport-là, on n'a rien à me reprocher, rien, rien, pas ça!"
Et, la main écartée sur la poitrine, elle pleure...de regret.

jeudi 26 juillet 2012

Journal du 26 juillet 1900

A Chaumot. En accouchant, elle a été prise d'une crise d'estomac. On a cru qu'elle passait. On est allé le chercher. Il arrive, et n'est pas étonné.
- Quoi? Qu'est-ce qu'elle a? Je l'ai déjà vu comme ça.
Outrée de son indifférence, elle lui crie:
- Carne! C'est toi qui m'a mise dans cet état! C'est toi qui a tout fait!
Et ils s'engueulent. 
Une bouteille de champagne, offerte par Marinette l'a remise.
Quand elle a de ces crises d'estomac, elle boit de grands verres d'eau-de-vie qu'elle envoie prendre chez ses voisins, ou qu'elle achète.
Il est inscrit sur la liste d'Assistance, elle, pas. On l'a inscrite d'office. Elle croyait que c'était impossible, parce que l'accouchement n'est pas une maladie.

mercredi 25 juillet 2012

Journal du 25 juillet 1903

Mendès, ce Déroulède de la littérature.

Marguerite Renard parle de Marinette

Document  inédit. La belle-fille de Jules Renard écrit à Maurice Toesca après la publication de sa biographie de Jules Renard:
Hellerup, 3 février 1977
Cher Monsieur, 
J'ai lu avec beaucoup d'attention et souvent d'émotion cette histoire que je connais si bien, approuvant ou discutant mais finalement toujours de votre avis. 
C'était amusant cette conversation à une voix, je suis sûre qu'ils ont été parfaitement heureux tous les quatre, lui un peu déçu de voir Fantec abandonner ses études littéraires.
Mais je ne suis pas sûre que le contraire, s'il avait vécu, l'aurait contenté, "La joie d'un grand homme qui devine que ses enfants ne seront rien".
Je n'ai connu Marinette qu'en 1923. Dès la mort de Jules Renard elle avait vieilli rapidement et j'avais peine à reconnaître, d'après ses anciennes photos, la grand-maman maigre à cheveux blancs un peu austère qui ne retrouvait vie qu'à travers sa fille. Donc, mariage de raison, sûrement au début: une femme utile, oui, mais nécessaire... pourquoi faire? Jules Renard n'aurait jamais supporté un autre type de femme que la sienne vraiment faite sur mesure.
Je pense souvent à la polémique soulevée au moment de la parution du Journal.
Fantec aurait souhaité qu'il paraisse 50 ans après la mort de Jules Renard pour épargner, connaissant son père, les inévitables coups de griffe. Il n'a pas eu droit au chapitre.
Bref, s'il y a eu des coupures, qu'elles qu'en soit les raisons, le Journal n'en reste pas moins le grand livre qui a servi d'ébauche à l’œuvre de Jules Renard. Et moi qui lit comme on respire j'ai envie de retrouver au fil de ces 23 années ces mélancoliques souvenirs.
Je regrette d'être depuis cinq ans, à peu près privée de l'usage de mes jambes, et de n'avoir pas eu la chance de vous rencontrer à Montfort au cours de vos travaux. J'ai réussi à passer quelques jours à Paris en novembre, ce qui m'a permis d'apporter l'album de famille rue St-Jacques où je résidais.
Un chaleureux merci de la part de la mère et de la fille pour les deux exemplaires et pour l'auteur mon bien amical souvenir.
M. J.-F. Renard   (M. = Marguerite, belle-fille de Jules Renard)
(Fonds Maurice Toesca, IMEC)

mardi 24 juillet 2012

Journal du 24 juillet 1899

Je crois être dans une mine d'or, et je ne gratte que de la terre.

Jules Renard dans la Grande encyclopédie (1897)

RENARD (Jules), littérateur français, à Châlons-sur-Mayenne le 22 févr. 1864. Il a débuté par un petit volume de vers les Roses, puis a publié successivement des volumes de nouvelles et des romans d'un tour très original qui a été remarqué aussitôt par les lettrés.
On le range parmi les humoristes, bien que le pessimisme secret et l'ironie amère qui se cachent au fond de ses brefs récits, sans emphase d'aucune sorte, l'élèvent bien au-dessus du simple humour [...]
Jules Renard est un auteur classique, de la bonne lignée française tout ce qu'il a publié est soigné et d'une haute tenue littéraire d'une sincérité et d'un naturel parfait, il témoigne en toutes ses œuvres d'un sentiment profondément humain, qu'il parle des hommes ou de la campagne qu'il aime; sa tendresse discrète s'exerce sur les animaux dont il est un observateur aussi minutieux que spirituel.  
L'extrême pudeur de sa sensibilité, qui fait parfois croire à un peu de sécheresse, en même temps que le réalisme auquel elle s'allie, composent le talent le plus.
(Signé Ph. B. La Grande encyclopédie en 31 volumes, 1897)

lundi 23 juillet 2012

Journal du 23 juillet 1894

Devant la stupidité des peintres, on a envie d'apprendre à dessiner avant de mourir.

Que ce soit dimanche ou lundi

Que ce doit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble

C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien quand il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble

Mon amour ce qui fut sera/ Le ciel est sur nous comme un drap/J'ai refermé sur toi mes bras/ Et tant que je t'aime que j'en tremble/ Aussi longtemps que tu voudras/ Nous dormirons ensemble.
(Louis Aragon, extrait de Le fou d'Elsa, cité par  Variété: Littérature et chanson, NRF,  n° 601, juin 2012.)

dimanche 22 juillet 2012

Journal du 22 juillet 1893

Une belle fille avec des membres considérables.

Réponse au quizz d'hier

"Il a les jambes du paon mais il n'en a pas la queue." Barbey d'Aurevilly à propos de Prosper Mérimée.
"C'est le Michel-Ange de la crotte!" Barbey d'Aurevilly à propos d’Émile Zola.
"Une intelligence échouée dans un tonneau de matière, une lassitude d'hippopotame." Les Goncourt à propos de Théophile Gautier.
"Une tête de veau qui a les rougeurs, les callosités d'une fesse de singe." Les Goncourt à propos d'Ernest Renan.
"Matamore de tragédie." Lamartine à propos de Chateaubriand.
"Une éructatrice de discours". Barbey d'Aurevilly à propos de l'Académie française.
"Que quelques hommes aient pu  s'amouracher de cette latrine, c'est la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle". Baudelaire à propos de George Sand.
Source: Anne Boquel et Etienne Kern, Une histoire des haines d'écrivains, Flammarion, 2009.

samedi 21 juillet 2012

Journal du 21 juillet 1897

Oh! pas maintenant! Mais je sens bien que, plus tard, dans un moment de dégoût absolu, ce que Baudelaire appelle "la morne incuriosité", je ferai comme lui. Petite cartouche vide qui me regarde comme un œil crevé! 
Que jamais on ne dise: " Son père fut plus brave que lui!"

Un quizz

Jules Renard qualifiait George Sand de "vache bretonne de la littérature".(J.26/02/1891)
Ses collègues n'étaient pas, non plus, avares de compliments.
Qui a dit? - à propos de qui? :
"Il a les jambes du paon mais il n'en a pas la queue."
"C'est le Michel-Ange  la crotte!"
"Une intelligence échouée dans un tonneau de matière, une lassitude d'hippopotame."
"Une tête de veau qui a les rougeurs, les callosités d'une fesse de singe."
"Matamore de tragédie."
"Une éructatrice de discours"
"Que quelques hommes aient pu  s'amouracher de cette latrine, c'est la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle".
Réponse demain.

vendredi 20 juillet 2012

Journal du 20 juillet 1893

Quand la mer monte et couvre la plage, Pierre dit:
- La mer m'a chipé ma place.

L'homme ligoté

Suite du 19 juillet.
L'idée chez Renard, c'est une formule affirmative condensant une certaine somme d'expériences,  de même que la phrase - qui, chez tant d'autres écrivains, est jointure, passage, glissement, torsion, plaque tournante, pont ou rempart dans ce microcosme, le paragraphe, - n'est pour lui que la condensation de certaines sommes d'idées. Idée ou phrase, corps et âme se présentent à lui sous la forme de la maxime ou du paradoxe; par exemple: "Cela me ferait tant de plaisir d'être bon." C'est qu'il n'a pas d'idées.  Son silence voulu, étudié, artiste, masque un silence naturel et désarmé: il n'a rien à dire. Il pense pour mieux se taire, cela signifie qu'il "parle pour ne rien dire." 
Car, finalement, ce goût du mutisme le ramène au bavardage. On peut bavarder en cinq mots comme en cent lignes. Il suffit de préférer la phrase aux idées. Car alors le lecteur rencontre la phrase et l'idée se dérobe. Le Journal de Renard est un bavardage laconique, son œuvre tout entière un pointillisme - et il y a une rhétorique de ce pointillisme, tout autant que de la grande phrase concertée de Louis Guez de Balzac.
À suivre.
(Jean-Paul Sartre, l'homme ligoté, Situations I, Gallimard, 1947)

jeudi 19 juillet 2012

Journal du 19 juillet 1893

Elle disait: "Il ne faut pas être grand clerc de notaire pour comprendre."

L'homme ligoté

Suite du 11 juillet.
Mais il arrive alors que Renard inverse curieusement l'ordre de l'expression: sa fin première étant le silence, c'est pour se taire qu'il recherche la phrase, goutte instantanée de silence, et c'est pour la phrase qu'il recherche l'idée:
"Comme c'est vain, une idée: sans la phrase, j'irais me coucher."
C'est qu'il croit naïvement que l'idée se circonscrit dans une phrase qui l'exprime. La phrase, entre les deux points qui la bornent,  lui semble le corps naturel de l'idée. Il ne lui est jamais venu à l'esprit qu'une idée peut prendre corps dans un chapitre, dans un volume, qu'elle peut aussi - au sens ou Brunschvicg parle de "l'idée critique" - être inexprimable et représenter seulement une méthode pour envisager certains problèmes, c'est-à-dire une règle du discours.
À suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947)

mercredi 18 juillet 2012

Journal du 18 juillet 1890

Trézenik, qui ne mangerait pas en chemin de fer par fausse honte, se promène avec une ombrelle blanche au milieu des marins qui ricanent. Il dit: "Ce ne serait pas la peine d'être un homme de lettres indépendant si je ne pouvais pas porter une ombrelle sans m'occuper du qu'en-dira-t-on."
Ainsi, audace en deça, lâcheté au-delà.

Le Journal de Jules Renard en 33 tours 2/2


mardi 17 juillet 2012

Journal du 17 juillet 1893

Et M. Vernet expliquait la mer:
- Non, mes enfants. Quand cette plage-ci se découvre, l'autre ne se couvre pas ainsi que vous pourriez le croire. La mer se gonfle comme votre petit ventre si vous respirez fort, comme vos deux joues si vous imitez le phoque. Elle se soulève comme une soupe au lait. Elle monte vers la lune qui est au ciel, et vous avez la mer haute. Puis elle s'affaisse, s'accomplit, fait le chien couchant, se met en caboulot comme vous, dans vos draps, les nuits d'hiver. Et vous avez la mer basse.

Le Journal de Jules Renard en 33 tours 1/2


lundi 16 juillet 2012

Journal du 16 juillet 1897

Mallarmé écrit avec intelligence comme un fou.

Mélanges

Sans doute le snobisme, qui fait paraître raisonnable tout ce qu'il touche, n'a pas encore atteint (pour les Français du moins), et par là  préservé du ridicule, ces promenades esthétiques. Dites que vous allez à Bayreuth entendre un opéra de Wagner, à Amsterdam visiter une exposition de primitifs flamands, on regrettera de ne pouvoir vous accompagner. Mais si vous avouez que vous allez voir, à la pointe du Raz, une tempête, en Normandie, les pommiers en fleurs, à Amiens, une statue aimée de Ruskin, on ne pourra s'empêcher de sourire. Je n'en espère pas moins que vous irez à Amiens après m'avoir lu.
(Marcel Proust, Pastiches et mélanges, Mélanges, Pléiade, p. 71.)

dimanche 15 juillet 2012

Journal du 15 juillet 1893

Fier d'avoir remarquer que, quand une femme pète, tout de suite après elle tousse.

Quand Poil de Carotte "rebondit"

Un ami de Jules Renard, par ailleurs Secrétaire général de la Société des amis de Paul-Louis Courier et linguiste émérite, communique:
(Après un coup dur, on pense à rebondir, pourtant la vie n’est pas une balle de mousse, rappelle J.-P. Lautman, de Saint-Avertin (Indre-et-Loire). Qu'on échoue à un examen et il faut… « rebondir ».
"De plus en plus souvent, on entend sur les ondes ou on lit dans la presse qu'après un moment difficile, telle ou telle personne a « rebondi » ou va « rebondir ». Dernièrement, ce verbe a été appliqué à Ségolène Royal après son échec électoral. Une langue évolue, raison pour laquelle je ne suis pas crispé sur l'usage de tel ou tel de nos mots ; toutefois, je regrette que certains soient employés de manière contestable. Qu'une balle de mousse, une pierre, une carriole… rebondissent, quoi de plus naturel ? Mais une personne ?
Quand Jules Renard, maître de la syntaxe, écrit « Poil de Carotte se cogne au mur et rebondit. » il n'y a rien à redire, on comprend qu'il s'agit d'une action matérielle. Mais, me rétorquera-t-on, il s'agit d'une utilisation métaphorique ou plutôt figurée. On exprimera alors avec ce verbe une idée comme « reprendre de la vigueur, réagir, remonter ». Réponse peu convaincante. On passerait du temps à épingler semblables tropes (*) ou expressions discutables qui envahissent notre langue, la langue qui, ne l'oublions pas, fut celle de l'Europe au  XVIIIe siècle et même une bonne partie du XIXe siècle.
Aujourd'hui, elle se nourrit d'approximations comme le papillon du nectar des fleurs à ceci près que ce nectar est plutôt empoisonné. Puis-je conclure en disant que je bondis et rebondis chaque fois que je lis ou entends pareille utilisation répétée à l'infini sans que le locuteur ne se pose la question de savoir s'il a ou non raison de le faire ?"
 Jean-Pierre Lautman, La Nouvelle République, lundi 9 juillet 2012)
 (*) NDLR : figure de rhétorique par laquelle un mot est détourné de son sens propre.

samedi 14 juillet 2012

Journal du 14 juillet 1893

Location.
- Mais votre maison n'est pas au bord de la mer!
- Pas au bord de la mer! Mais on la boirait d'ici!

-Votre dernier prix, ma brave femme?
-Tenez, monsieur, regardez donc ces plats au bord de l'armoire.

vendredi 13 juillet 2012

Journal du 13 juillet 1899

Ce Journal ne pourra être lu que par Fantec, et, encore, que s'il a l'âme trouble de l'homme de lettres; et il faudra que j'écrive une "lettre-préface" pour lui expliquer le mot et la lettre.

Le pouvoir du romancier

Nous sommes tous devant le romancier comme les esclaves devant l'empereur: d'un mot, il peut nous affranchir. Par lui, nous perdons notre ancienne condition pour connaître celle du général, du tisseur, de la chanteuse, du gentilhomme campagnard, la vie des champs, le jeu, la chasse, la haine, l'amour, la vie des camps. Par lui, nous sommes Napoléon, Savonarole, un paysan, bien plus - existence que nous aurions pu ne jamais connaître - nous sommes nous-même. Il prête une voix à la foule, à la solitude, au vieil ecclésiastique, au sculpteur, à l'enfant, au cheval, à notre âme. 
Par lui nous sommes le véritable Protée qui revêt successivement toutes les formes de la vie. À les échanger ainsi les unes contre les autres, nous sentons que pour notre être, devenu si agile et si fort, elles ne sont qu'un jeu, un masque lamentable ou plaisant, mais qui n'a rien de bien réel. Notre infortune ou notre fortune cesse pour un instant de nous tyranniser, nous jouons avec elle et avec celle des autres. C'est pourquoi en fermant un beau roman, même triste, nous nous sentons si heureux.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, La Pléiade, Gallimard, p. 413.)

jeudi 12 juillet 2012

Journal du 12 juillet 1898

Mettre à l'air mon "moi" qui sent le renfermé.

Le boulevard au temps de Jules Renard

Le livre annoncé dans le blog du 2 mars est paru :
Jean-Paul Caracalla, En remontant le boulevard, Éditions de la Table ronde, 7 €10.
Les boulevards sont aujourd'hui pour Paris ce que fut le Grand Canal à Venise", écrivait déjà Balzac. Mais c'est surtout à la Belle Époque, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, que chaque "chenal de bitume" s'épanouira au cœur de la capitale : boulevard des Italiens, "le nombril du monde", boulevards des Capucines, de la Madeleine, Beaumarchais, etc. De l'Opéra à la Bastille, de théâtres en cafés à la mode, de cinémas en restaurants, Jean-Paul Caracalla nous propose l'un de ces vagabondages littéraires dont il a le secret. Se défendant de faire œuvre d'historien, notre guide nous ramène néanmoins, avec force détails érudits et anecdotes savoureuses, dans un passé passionnant où l'on croise Guitry, Feydeau, Courteline, Jules Renard, mais aussi des comédiens, des badauds, des courtisanes, des journalistes.  

mercredi 11 juillet 2012

Journal du 11 juillet 1894

Que fait l'oiseau dans la tempête? Il ne se cramponne pas à la branche: il suit la tempête.

L'homme ligoté

Suite du 29 juin.
Ainsi la phrase est un silence sursaturé. Elle ne renvoie jamais à un autre: pourquoi dire en deux phrases ce qui peut s'exprimer en une seule? nous touchons à l'essentiel: celui qui écrit par paragraphe ou par livre, lorsqu'il lorsqu'il trace une phrase sur son papier, est renvoyé par celle-ci au langage tout entier. Il ne le domine pas, il est en train de le faire; ces mots que j'écris impliquent tous ceux qui sont venus avant eux et tous ceux que j'écrirai ensuite et, de proche en proche, tous les mots; j'ai besoin de tout le langage pour comprendre ce qui n'est qu'un moment incomplet du langage. 
Dès lors, le silence n'existe plus que comme un mot à l'intérieur du langage et, moi-même, je me situe dans le langage, dans ce chassé-croisé de significations dont aucune n'est achevée, dont chacune exige toutes les autres. Mais si, comme Renard, je pense par phrases abruptes qui enserrent l'idée totale entre deux bornes, chaque phrases ne renvoyant à aucune autre, est à elle seule tout le langage.
Et, moi qui la lis, moi qui l'écris, je la condense d'une vue; avant elle, après elle, il y a le vide; je la déchiffre et la comprend du point de vue du silence. Et la phrase elle-même, en suspens dans le silence, devient silence, comme le savoir, contemplé par Blanchot, par Bataille du point de vue du non-savoir, c'est-à-dire de l'au-delà du savoir, devient non-savoir. Car le langage n'est pas ce bruit délié qui crépite un instant au sommet du silence, c'est une entreprise totale de l'humanité.
A suivre.
(Jean-Paul Sartre, Situations I, Gallimard, 1947)

mardi 10 juillet 2012

Journal du 10 juillet 1900

Philippe a apporté une énorme caisse pleine de groseilles, et un tout petit baluchon qui se compose d'une chemise dans un mouchoir.

La famille Renard vu par Maurice Bonnotte 3/3

Lettre de Maurice Bonnotte, secrétaire de la mairie de Chitry, à Maurice Toesca, auteur d'une biographie de Jules Renard:
Suite d'hier
Jane MILLAND, que j’ai interrogée sur le premier point, ne s’en étonnait nullement.  Bien qu’il ne fut pas  homme à raconter sa vie, son grand-père lui apparaît fort capable de quitter tout jeune sa famille, de très modestes cultivateurs, et d’affronter Paris. « Il y serait arrivé avec une pièce de 5 f. dans sa poche, d’après la ̋ rumeur familiale ̏ il a sans doute fréquenté les cours du soir, car son instruction lui paraissait ̋ assez poussée ̏…il parlait un français assez châtié et me reprenait lorsque je faisais des fautes. » Ni Jane Milland, ni sa sœur n’ont pu me dire avec précision comment François Renard a fait son chemin dans le métier.
Dans son livre « Dans la vigne de Jules Renard » aux P.U.F. 1966 à la page 214, Léon Guichard fournit une explication dont il n’était pas entièrement satisfait puisque, quelques temps après, il m’a demandé certaines précisions que je n’ai pu lui fournir, si ce n’est le lieu exact de la naissance de Madame Renard, Anne-Rosa Colin, c’est-à-dire NOGENT en BASSIGNY (Hte-Marne).
Il reste enfin que la carrière de François RENARD, sans doute favorisée par ce mariage, a été brève. F. Renard figurait encore sur la liste de recensement de la population de Chitry-les-Mines pour l’année 1841 comme journalier. Il s’y retirait 25 ans plus tard, rentier. Il faut croire que la construction des chemins de fer était une bonne affaire pour des entrepreneurs intelligents et sages comme F. Renard.
Je reste bien entendu à votre entière disposition et je vous prie de croire, monsieur, à mes sentiments dévoués.
Maurice Bonnotte
(Fonds Maurice Toesca, IMEC)

lundi 9 juillet 2012

Journal du 9 juillet 1900

Exposition. Guitry. Nous parlons de nos ministres. Nous aimons ce sujet. Il me dit que Waldeck-Rousseau est un timide, timide jusqu'à l'impassibilité, et que, quand il prononce d'un ton calme un de ses discours, il tremble en dedans, et qu'il sue à changer de tout dès que son ordre du jour est voté. C'est le plus intelligent de tous. Leur excuse, c'est de n'avoir pas le temps de s'occuper de nous.

La famille Renard vu par Maurice Bonnotte 2/3

Lettre de Maurice Bonnotte, secrétaire de la mairie de Chitry, à Maurice Toesca, auteur d'une biographie de Jules Renard:
Suite d'hier.
3° Aucun document, aucune relation écrite ou orale ne font état des activités exercées à ce titre par François Renard dans la région. Jane MILLAND, nièce de l’écrivain, nous dit que son grand-père a travaillé à la construction des voies ferrées du Puy de Dôme, sa sœur, Mme CAPPONI,  ajoute qu’il a participé à la construction du tunnel de TAVANNES, le ménage Renard résidant alors à Verdun.
Nous savons enfin que la construction du chemin de fer  de Laval à Caen avait amené la famille Renard à Chalons. Ensuite c’est le retour au pays, et F. Renard y vit de ses rentes.
4°  Vous souhaitez, me dites-vous, des détails qui puissent vous être utiles. Je ne sais pas sur quel point précis se porterait votre curiosité. Cependant deux faits retiennent l’attention : d’une part l’extraordinaire promotion sociale réalisée par F. Renard et d’autre part la retraite qui nous semble prématurée. 
Suite demain.

dimanche 8 juillet 2012

Journal du 8 juillet 1893

De l'utilité des marées. La mer va d'un rivage à l'autre pour boucher les trous de sable que font les enfants sur la plage.

La famille Renard vu par Maurice Bonnotte 1/3

Lettre inédite
Lettre de Maurice Bonnotte, secrétaire de la mairie de Chitry, à Maurice Toesca, auteur d'une biographie de Jules Renard:
Le 12 novembre 1973
Monsieur,
Je me sens très honoré par votre lettre du 5 novembre. Je ne saurais trop vous mettre en garde contre l'opinion élogieuse à mon égard de Madame Reyre. Très simplement, je réponds aux questions que vous posez en consultant les documents à ma disposition: 
- Régistre des délibérations du conseil municipal.
- Actes de l'Etat-civil.
- Copie de l'acte notarié Parny.
- Tableaux de recensement de la population.
- Lettres de Mesdames Jane Milland et Madeleine Capponi.
- Correspondance Léon Guichard.
1° François Renard a été conseiller municipal à Chitry et maire de Chitry pendant cinq ans. Élu conseiller municipal au renouvellement des 1er et 8 mai 1892, il a été élu maire le 15 mai de la même année avec 6 voix sur 10. Il a tenu ce mandat jusqu'à sa mort, le 19 juin 1897.
2° L'acte de naissance de Pierre Jules Renard enregistré à Chalons (Mayenne) le 23 février 1864, la naissance est du 22 février, indique: " François Renard âgé de 39 ans, entrepreneur, demeurant au bourg".
L'acte de vente de la maison de Chitry, établi le 17 juin 1866, par Me Parny notaire à Corbigny, dit: "...ont vendu à M. François Renard, entrepreneur de travaux publics."
Suite demain.

samedi 7 juillet 2012

Journal du 7 juillet 1906

Nietzsche. Ce que j'en pense? C'est qu'il y a bien des lettres inutiles dans son nom.

Poil de Carotte statufié

Document inédit. 
Lettre à Maurice Toesca, auteur d'une biographie de Jules Renard:
Clamecy le 24 février 1977
Je ne sais pas si vous avez appris que M. Robert Pouyaud excellent sculpteur de la région de Clamecy a sculpté une statue en pied de "Poil de Carotte" laquelle occupe une niche dans la cour de l'école maternelle au centre de cette ville. D'autre part la faïencerie artistique de Clamecy a conçu une statuette en biscuit, hauteur environ 0,23 cm, de Poil de Carotte, production limitée à environ 300 exemplaires.
M. Girault
(Fonds Maurice Toesca, IMEC)

vendredi 6 juillet 2012

Journal du 6 juillet 1887

Comme résultat, j'ai aujourd'hui 100 francs par mois pour aller tous les deux jours au bureau demander quelque chose à faire, et il n' y a jamais rien à faire.

À propos des bas-bleus

Connaissez-vous le bas-bleuisme ? Le terme provient de l'expression anglophone bluestockings, qui servait en premier lieu à désigner ces femmes ayant des aspirations littéraires au XVIIIème siècle. L'expression tire son origine d'un salon littéraire fondé par Mrs Elizabeth Montagu et ses amis, où les participants avaient le droit de porter des vêtements plus détendus, les bas bleus en étaient un exemple. Bien que ce club fût fondé en Angleterre, les membres de celui-ci préféraient se désigner en tant que "Bas-bleus", afin de démontrer leurs connaissances de la langue française.
Le terme a pris une connotation péjorative au fil du temps, alors que certains auteurs de l'époque ont souvent caractérisé ces femmes de lettres comme étant des personnes ennuyantes, sans humour, peu féminines ou même tout simplement comme des hommes ratés. Fort heureusement, ces démonstrations misogynes n'ont pas été suffisantes pour arrêter ces femmes écrivaines de rédiger leurs documents importants.
(Source : site Internet AbeBook)

jeudi 5 juillet 2012

Journal du 5 juillet 1903

Chaumot. - La tortue ne voyage qu'en petite vitesse.

La création poétique

La vie du poète a ses petits évènements comme celle des autres hommes. Il va à la campagne, il voyage. Mais le nom de la ville où il a passé un été, inscrit avec la date au bas de la dernière page d'une œuvre, nous montre que la vie qu'il partage avec les autres hommes lui sert à un tout autre usage, et parfois si ce nom de ville, datant à la fin du volume le moment et le lieu où le livre a été écrit, est justement celui de la ville où se passe le roman, nous sentons tout le roman  comme une sorte de prolongement  immense qui s’adapte à la réalité, et nous comprenons que la réalité fut pour le poète quelque chose de tout autre que pour les autres, quelque chose qui contient la chose précieuse qu'il cherchait et qu'il n'est pas facile d'en faire sortir.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, Bibliothèque de la Pléiade, p. 412.)

mercredi 4 juillet 2012

Journal du 4 juillet 1894

Il gardait ce calme qui convenait à une grande nation.

Une autre lettre inédite de Jules Renard

Lettre inédite.
République Française - Département de la Nièvre - Arrdt de Clamecy- Mairie de Chitry-les-Mines -
44 rue du Rocher, VIIIe
(Sans date, probablement décembre 1905)
Á Edouard Herriot
Monsieur et cher collègue,
Voulez-vous me permettre de recommander M. Montcharmont qui pose sa candidature à la direction du Théâtre des Célestins. 
Par ses qualités d'administrateur et d'homme de théâtre, M. Montcharmont est tout-à-fait digne de confiance. Son passé répond pour lui, mais je serais heureux que ce mot, lui fût, auprès de vous, de quelque utilité.
Je vous remercie et vous prie, Monsieur et cher collègue, de croire à mes sentiments les plus distingués.
Jules Renard, auteur dramatique, mairie de Chitry (Nièvre)
(Nota: 1) Le 10 décembre 1905, Georges Courteline adressait une requête identique à Edouard Herriot. 2) Lyonnais d'origine, Charles Montcharmont dirigea le Théâtre des Célestins de 1906 à 1941.)

mardi 3 juillet 2012

Journal du 3 juillet 1893

Contre la douceur, pas de méfiance.

Jules Renard vu par le docteur Tixier

Extrait d'une lettre du docteur L. Tixier, de Nevers
adressée à Léon Guichard:
"... J'ai la chance d'avoir parmi mes maîtres et amis un de ses camarades du Lycée de Nevers, un des rares Nivernais qu'il aimait bien. C'est le professeur Jules Renault - ancien médecin des hôpitaux de Paris - membre de l'Académie de Médecine. Il a actuellement 90 ans, mais si sa vue l'a lâché son cerveau et sa mémoire sont intacts et j'ai bien souvent parlé avec lui de son génial condisciple.
Il m'a appris sur Jules Renard des tas de petits tuyaux intéressants. Par exemple que Mme Jules Renard (sa mère) n'était pas du tout Mme Lepic. Il a déjeuné bien souvent avec elle, et si elle morigénait un peu son fils Jules...qui ne travaillait pas tellement bien, étant donné ses moyens, il n'a jamais remarqué chez elle une animosité spéciale.
 Il m'a appris aussi que le Pain de ménage avait été composé à la suite d'un week-end à la campagne où étaient réunis les deux ménages Rostand et Renard, et il faut voir en scène: Rosemonde G. (Rostand) et J.R... - du reste, Mme Rostand était pour J.R. la Parisienne idéale, dont il parle à chaque instant, à mots voilés, dans son Journal."
(Lettre à Léon Guichard, Dans la vigne de Jules Renard).

lundi 2 juillet 2012

Journal du 2 juillet 1893

Un jeune homme que je ne nommerai pas, parce qu'il s'appelle Roguenant, me disait hier:
- Je ne connais Virgile que par la traduction, mais, j'en suis sûr, vous lui ressemblez, et vous avez en vous quelque chose de grec.
Et il insistait de façon à me prouver qu'il ne se trompait pas.

Jules Renard vu par Marcel Proust 2/2

Suite d'hier.
Remarquer que la drôlerie y est toujours présente, c'est-à-dire image continue (exemple la pintade citée ci-dessus). Et que la préciosité y est quelquefois vérité.  Ainsi, dans le papillon, "cherche une adresse de fleur" n'est pas simplement de la préciosité, c'est-à-dire, quand on n'a plus de préciosité pour continuer, continuer l'image qui fait calembour et donne une fin qui n'est plus en rapport qu'avec son apparence verbale. Là, dans le papillon, "chercher une adresse de fleur" a sa vérité dans les tâtonnements du papillons qui va à chaque fleur, et demande, et a dû se tromper, puisqu'il va à une autre. Le "Chasseur d'images" est bien faible.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, la Pléiade, p. 397, 1898.)

dimanche 1 juillet 2012

Journal du 1er juillet 1906

Nevers. Émotion. Entrée au milieu des jardins. Le "tacot" devient tramway.
La musique le dimanche; un seul applaudissement. Le proviseur, souvenirs sous les grands arbres du parc. La pension Millet est encore là, sur ses pliants.
Cette cage et cet oiseau étaient là il y a vingt-cinq ans. Je vous jure que ce sont les mêmes. Mais comme la célébrité de Gresset est quelque chose d'injuste! son perroquet idiot.
Les élèves sont les mêmes; un peu moins de sournoiseries, peut-être.
La Loire admirable. S'asseoir comme un duc sur un escabeau et regarder du haut de la tour.
Souvenirs. Les cordes des bains dans le fleuve. Mes impressions d'eau froide.

Jules Renard vu par Marcel Proust 1/2

Jules Renard
(Toutes les allusions de cette note  se rapportent aux Histoires naturelles publiées en 1896.)
Il est admirable parce qu'il ne cherche pas d'échappatoires, au contraire de presque tous ceux qui  ne pouvant approfondir leur sensation, au lieu d'insister, de chercher ce qu'il y a dedans, ne s'obstinent pas, glissent ailleurs, ne peuvent y pénétrer davantage et, de ratages  en ratages, finissent par couvrir une immense circonférence, croient que cela finit par être plus beau que, d'un point quelconque, avoir su descendre au centre.
Lui approfondit, saisit la vérité cachée dans la sensation. La vérité tout entière? Non. Il a aussi, mais enfin à une certaine profondeur et après être déjà descendu, ses petites échappatoires, ou plutôt deux métaux différents avec lesquels il finit le corps de son petit poème, n'ayant de vérité que pour un membre. 
Et ces deux autres choses qui font que  ce n'est pas tout vérité et que, quand il sent la vérité manquer, il se jette sur elles pour pouvoir tout de même faire le morceau, garder la vérité qui sans cet alliage serait infime, ce sont la drôlerie et la préciosité. (La pintade: "Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse. Et par terre elle se roule comme une bossue." La poule: " Elle ne pond jamais d’œufs d'or, etc." Le papillon: "Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur.")
Suite demain.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, Bibliothèque de la  Pléiade, p. 396, 1978)