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jeudi 9 avril 2015

Le fils de Philippe

Le petit Joseph n’ira plus à l’école, parce qu’il en sait assez long, et il a profité hier de la grande louée de Lormes pour se louer. Il gardera les moutons du fermier Corneille. Il est nourri et blanchi. On lui donne cent francs par an et les sabots. Il couchera dans la paille, près de ses moutons, et il sera debout avec eux, dès trois heures du matin. 
— Je me suis loué du premier coup, dit-il avec fierté. Il portait un flocon de laine à sa casquette, ce qui signifiait : « Je me loue comme berger ». Ceux qui veulent se louer comme moissonneurs ont un épi de blé à la bouche. Les charretiers mettent un fouet à leur cou. Les autres domestiques se recommandent par une feuille de chêne, une plume de volaille ou une fleur. Joseph arrivait à peine sur le champ de foire que le fermier Corneille l’attrapa :
— Combien, petit ? Joseph ne dit pas deux prix. Il dit : « Cent francs », et le fermier le retint. Et comme Joseph oubliait de jeter par terre la laine de sa casquette, on l’arrêtait encore. Il se serait loué vingt fois pour une et chacun voulait l’avoir parce qu’il était doux de figure. Il s’amusait bien en se promenant. Au retour, il eut de la tristesse, mais son père Philippe le consola :
 — Écoute donc, bête, tu seras heureux comme un prince ; tu auras un chien ; tu partageras avec lui ton pain et ton fromage, et il ne voudra suivre que toi.
 — Oui, dit Joseph, et je l’appellerai Papillon ! 
(Jules Renard, Bucoliques, les Philippe, § 13.)

mercredi 19 novembre 2014

Jules Renard aux enchères

Jeudi 11 décembre 2014, 14 h.
SVV Odent, 20 rue Michel- Colombe, 37000 Tours

Lot 224 Renard (Jules) Histoires Naturelles. Paris, Éditions de l'Odéon, 1955, in-4° en feuilles sous jaquette et étui. illustré de 24 burins originaux de Tavy Notton dont 1 hors-texte . et un à double page.
Tiré à 240 exemplaires, un des 120 sur Rives (n° 167). 80/100

Lot 238 RENARD (Jules) [COLIN] Les Philippe, précédés de Patrie ! Paris. Éditions d'art Edouard Pelletan, 1907, in 8°, reliure moderne pleine basane orange, dos à nerfs ornés de fleurons mosaïqués, encadrement à froid sur les plats, couvertures conservées (signée Christiane Pecqué) Décoré de cent un bois originaux dont huit camaïeux de Paul Colin. Tiré à 1200 exemplaires numérotés, un des ex. sur papier du Marais (685). A la fin de l'ouvrage a été relié le Spécimen. Ex-libris de P. Guillaume-Louis, chirurgien à Tours.

lundi 11 février 2013

Les Philippe

Et Joseph connait maintenant le plaisir d'avoir de l'argent à soi, dans sa poche. Il ne dépense jamais rien. Un sou de gagné, c'est un sou économisé. Il connait le plaisir d'avoir un chien docile qui ramène les moutons lambins et les serre de près, sans les mordre, et le plaisir d'avoir un fouet. Il fouaille de bons coups qui cassent les oreilles et retentissent par le village. La mèche usée, il s'assied au bord du fossé, quitte un sabot, une chaussette, noue le fouet à son orteil, et, la jambe raide, il se tresse, les doigts fréquemment mouillés, une longue mèche de chanvre neuf.

dimanche 10 février 2013

Les Philippe

"Qu'avez-vous mangé hier, madame Philippe?
- Notre reste reste de lapin maigre.
- Pourquoi maigre?
- Parce que nous ne l'engraissons pas avant de le tuer. Il reviendrait trop cher. Depuis trois jours, nous vivons dessus à six personnes. Je l'avais coupé en dix-huit morceaux. J'en ai fait cuire six dimanche avec des oignons, six lundi avec des carottes et six hier avec des pommes de terre. 
- Et plus on allait, meilleur c'était, dit Philippe.
- Mais vous en aviez chacun gros comme une noix?
- Regardez ce goulu-là, dit Mme Philippe; il s'en donnait mal au ventre."
Philippe rit selon son habitude. C'est-à-dire qu'il ouvre la bouche comme s'il riait et que sa peau cuite fait des plis serrés autour de ses yeux. On n'est pas sûr qu'il rit. Les yeux clairs tranquillisent par leur gaieté puérile, mais la bouche, qui baille inutilement, trouble un peu. . Et quand cette bouche se ferme, la figure de Philippe cesse de vivre. Elle ressemble à une motte de terre dont sa barbe serait l'herbe sèche.

jeudi 31 janvier 2013

Les Philippe

Philippe habite la maison qu'habitait son père. Il a fait bâtir une grange près de la maison et la grange neuve est bien mieux que la vieille maison qui menace ruine.  D'abord, on ne voit pas clair à l'intérieur de cette maison. Il faudrait remplacer la porte pleine  par une porte-fenêtre; mais on en parlera une autre fois. Ce qui presse, c'est le toit de chaume: il s’affaisse et s'éboulera si on ne change la grosse poutre du milieu.
"Il n'y a plus à reculer", se dit Philippe.
Il achète une poutre et la charroie devant la porte de sa maison, et c'est tout ce qu'il peut faire pour le moment. Il la mettra sur le toit, plus tard, quand il aura de quoi payer une couverture de paille. La poutre reste par terre, à la pluie, au soleil, dans l'herbe, et les gamins s'amusent à courir dessus, quand ils sortent de la classe.
(Jules Renard, Les Philippe.)

samedi 12 janvier 2013

Les Philippe

"Je suis venu au monde avec mes deux bras", dit Philippe.
À leur mariage, ils avaient, sa femme et lui, quatre bras. Chaque nouvel enfant ajoute les deux siens. Si personne de la famille ne s'estropie, ils ne manqueront jamais de bras, et ils risquent seulement d'avoir trop de bouches.
(Jules Renard, Les Philippe)

mardi 8 janvier 2013

Les Philippe

Il n'a pas de métier spécial; il sait seulement tout faire. Il sait conduire un cheval, panser le bétail, tuer un cochon, faucher, moissonner, fagoter, mesurer et empiler du bois sur le petit port du canal, jeter l'épervier, cultiver un jardin. Il sait faire le serrurier, le menuisier, le tonnelier, le couvreur et le maçon. Mais, quelque travail qu'on lui commande, il ne l'accepte qu'après avoir réfléchi. Je crains toujours un refus.
"Philippe, pourriez-vous réparer cette cheminée qui finira par tomber sur la tête de quelqu'un?"
Philippe regarde longtemps la cheminée, calcule ce qu'il faudrait d'échelles, de briques, de mortier, et dit: 
"Oh! ma foi, monsieur, c'est possible.
-Philippe, voulez-vous planter une pointe?"
Il observe l'endroit du mur que je désigne, la pointe, le marteau.
"Par Dieu, dit-il, tout de même il y aurait moyen."
(Jules Renard, Les Philippe)

vendredi 12 octobre 2012

Les Philippe, extrait 2

-Et le supplice d’être enfermé, le connaissez-vous ? Libre, vous vivez sainement dehors. Vous prenez de l’exercice, vous faites de l’hygiène sans le savoir. S’il vous fallait demeurer immobile à la maison, trois, quatre, cinq heures de suite, les coudes sur un bureau chargé de livres, vous en auriez vite assez.
-je crois comme vous, dit Philippe, que cette vie ne me plairait guère.
-Et vous raisonnez juste, brave Philippe. Oh ! je ne demande à personne de me plaindre ! je veux dire que nous avons chacun nos misères, vous les vôtres et moi les miennes.
-Ce n’est pas la même chose.
-Pourquoi, Philippe, pourquoi ? Vous qui hochez la tête et qui avez le double de mon âge, voulez-vous compter nos cheveux blancs ?
-J’aimerais mieux compter nos billets de banque.
-Mais, mon pauvre Philippe, je me tue à vous expliquer que si j’étais riche comme la dame du château, je travaillerais quand même et qu’on ne travaille pas que pour gagner de l’argent.
-C’est ce que je dis, rien ne vous force à travailler ; votre travail vous désennuie.
-Vous êtes vraiment têtu aujourd’hui. Tout à l’heure, vous aviez l’air de me comprendre. Vous ne me comprenez donc plus ?
-Si, si, Monsieur, dit Philippe. Mais, c’est égal, je changerais bien.
(Jules Renard, Les Philippe

jeudi 11 octobre 2012

Les Philippe, extrait 1

Philippe! Philippe! il n'y a que le travail qui rende heureux. 
- Oui, monsieur, dit Philippe qui bêche le jardin. Comme on le crie parfois : Honneur aux travailleurs !    
- Certes, vous travaillez, Philippe, mais moi aussi je travaille.
- Vous travaillez, dit-il respectueux, en vous amusant.
- Détrompez-vous, Philippe, j’ai mes tracas, mes devoirs, comme tout le monde. Je travaille par nécessité. Quand il fait soleil, je préférerais me promener. Je fatigue beaucoup de tête.
- Sûrement, dit Philippe, vous fatiguez plus de tête que moi. Je ne fatigue que de corps.
- Pensez-vous, Philippe, que si la tête va mal, le reste du corps n’en souffre pas ? Le soir, dès que le feu de la lampe me brûle le front et les yeux, je me retiens d’aller me coucher.
- Vous n’y allez pas, dit Philippe, parce que vous ne voulez pas.
- Erreur, Philippe. Il faut que je veille, parce que je ne suis pas matinal, et je tâche de rattraper les heures perdues.
- Restez donc au lit, vous avez le temps de dormir.
- Du tout, du tout, et je donnerai gros pour avoir le courage de me lever matin. Je vous envie, vous êtes sur vos jambes au premier rayon de soleil et cela ne vous fait jamais de peine.
- Nous avons l’habitude, dit Philippe. L’hiver seulement, c’est moins agréable.
- C’est toujours dur pour moi. A midi, ce serait encore trop dur. Vous ne connaissez pas ce supplice ?
- Non, monsieur.
(Jules Renard, Les Philippe)