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jeudi 4 décembre 2014

Journal du 4 décembre 1908

Chez Boylesve. Et je ne reconnaissais pas sa femme aux jeudis de l'Odéon! Elle avait l'air d'une fillette avec son papa. Avec son mari, elle a à peine l'air d'une femme.
Hôtel, domestique qui se foutent de nous. Les dames dînent en chapeau. Jet d'eau dans une cour, mais Boylesve n'ose plus le faire marcher. Il le cache même derrière des rideaux.
Boylesve, un homme qui souffre physiquement, je crois, et dans son coeur littéraire.  On a dû le traiter d'amateur. Il souffre peut-être aussi du succès (?) d'un Henry Bordeaux.

lundi 1 octobre 2012

Jules Renard dans le Journal de René Boylesve

4 février 1910
Je suis allé voir chez lui Jules Renard. Il a été malade. Il a peur de mourir. A deux reprises, au cours de la causerie, il a dit: "Dieu".
22 mai 1910
J'ai été prendre des nouvelles de Jules Renard. Comme j'arrivais, en montant le rue du Rocher, j'ai vu Robert G. sortir de la maison, les yeux rouges. Je suis rentré chez le concierge où j'ai vu un papier sur la table, où une demi-douzaine de noms étaient déjà inscrits. Renard était mort dans la nuit, à une heure et demie du matin.
(René Boylesve, Feuilles tombées, Dumas, 1947.) (Feuilles tombées est le titre du journal tenu par René Boylesve de 1884 à 1926).

jeudi 27 septembre 2012

Jules Renard vu par René Boylesve 3/3

L'art de Jules Renard
Suite d'hier.
L'originalité de sa poésie, je crois qu'elle vient de ce que cet homme a gardé vis-à-vis des gens et des choses, et par un rare privilège, la sensibilité et la tournure d'esprit des enfants. Il a leurs mots étonnants et leurs épithètes géniales. C'est ce qui fait qu'on sourit souvent en l'admirant, et ce sourire empêche certains de voir Renard aussi grand qu'il est. Il est grand non à la manière de ceux qui s’essoufflent pour atteindre le surhumain, il est grand par le don qu'il a de ressembler aux touts petits.
Tous les propos de Pierre, de Berthe, qui sont bien authentiques, qui n'ont pas été inventés par l'auteur des Bucoliques, et qui sont des propos typiques d'enfants, ne diffèrent pas essentiellement d'une page de Jules Renard prise au hasard. Quand il dit que le faux "a brusquement le hoquet sur un caillou", ou d'un canard "qu'il portait son bec comme une large barbe, au milieu du visage", ou de la pie: "en habit du matin au soir", ou du fruit du rosier sauvage qu'il se défend contre l'hiver et mourra le dernier " parce qu'il a un nom rébarbatif et du poil plein le cœur", est-ce que ce n'est pas  exactement la même langue savoureuse que celle de la petite Berthe, disant à sa maman: "Veux-tu que je prenne avec mes doigts, par la peau du cou, un pruneau cuit?", ou répondant au reproche de laisser tomber par terre les petits pois qu'elle écosse:
- Ce n'est pas ma faute. Quand j'ouvre leur petite cabine, ils sautent de joie.
Et lorsqu'il rend sensible, jusqu'à nous faire frissonner et sans recourir à aucune des joliesses ordinaires, la conversation qui s’éteint avec la lumière du jour: "La nuit, profitant de ce qu'on bavardait, s'est glissée, entre nous comme une chatte, et nos voix, comme des rats peureux, restent dans leur cachette de silence", ceci n'est-il pas presque d'un enfant, et n'est-ce pas d'un grand poète?
Fin.
(René Boylesve, Les Annales politiques et littéraires, 29 mai 1910)

mercredi 26 septembre 2012

Jules Renard vu par René Boylesve 2/3

 L'art de Jules Renard
Suite d'hier.
C'est d'un poète du village et de son peuple rugueux qu'il s'agit, ne l'oublions pas, et n'allons pas demander au maître de la dure Ragotte les enjolivements, les parfums, les guirlandes que le mot "poésie" évoque à l'esprit des jeunes filles. Ce dernier livre n'est pas fait pour elles. - La prose de Jules Renard, scandée  et martelée à l'égal de nos vers les plus parfaits, n'a pas ce bercement, cette suavité ni ces tours ingénieux qui nous charment chez d'autres écrivains très lettrés; c'est une prose nerveuse, dépouillée de souvenirs littéraires, jaillissant du sol comme une source fraîche; elle grince comme la pomme verte sous la dent des écolières, ou rebondit sous la main comme la branche d'où l'on a arraché le fruit. 
Cette écriture si travaillée ne sent pas l'écriture; si elle en offre parfois l'apparence, c'est qu'elle est elle-même un modèle, et qu'elle a déjà été imitée, - car l'influence de Jules Renard est féconde - mais que rappelle-t-elle de convenu? Aucun de nos plus jolis écrivains formés par l'antiquité grecque ne me rappelle les beaux fragments de L'Anthologie, autant que Jules Renard; mais, Jules Renard, ce n'est pas par la docilité à l'influence littéraire de l'antiquité qu'il rappelle L'Anthologie, c'est parce qu'il nous oblige à comparer une perfection, sa perfection à lui, qui est toute empirique, toute personnelle, toute de terroir.
Suite demain.
(René Boylesve, Les Annales politiques et littéraires, 29 mai 1910)

mardi 25 septembre 2012

Jules Renard vu par René Boylesve 1/3

 L'art de jules Renard
Il faut, pour bien goûter Jules Renard, consentir à admettre une littérature qui est l’antipode de notre romantisme, une littérature sans geste, sans "drapés" et sans cris, où tout se passe à l'intérieur. Jules Renard dans ses plus fortes pages, est l'auteur le moins propre à piquer la curiosité superficielle  et le plus sûrement destiné à retenir l'intérêt profond et durable. Ce n'est que moelle. On peut dire aussi que c'est de la littérature "d'homme"; avant tout, point de mensonges et point de mollesse. Il a écrit lui-même dès ses débuts: "Et, surtout, il ne faut jamais tricher." C'est de la littérature de témoin, sous la foi du serment.
Jules Renard est surtout connu par Poil de Carotte, sorte de tragi-comédie où l'amertume et le rire sont si étroitement mêlés qu'elle étonne, comme une œuvre sans pareille; et par ses Histoires Naturelles qui, si je suis bien informé, sont apprises par cœur dans les écoles, avec les fables de La Fontaine. La profusion d'images d'éclatantes couleur - à mon gré, parfois trop satisfaites d'elles-mêmes - dont le style de ce dernier livre est tout entier composé a procuré un si vif agrément chez les lecteurs de tout âge et de toute condition qu'une renommée quasi populaire a salué Jules Renard comme un de nos plus brillants humoristes. Quoique ce titre n'ait rien qui dépare, il ne semble pas juste dans le cas présent, et il offre le danger d’exalter les paillettes d'un très riche talent au détriment de l'âpre génie du poète qui a écrit le Vigneron dans sa vigne, les Bucoliques et Ragotte.
Suite demain.
(René Boylesve, Les Annales politiques et littéraires, 29 mai 1910)