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dimanche 15 mai 2016

Journal du 15 mai 1906

Je suis devenu paresseux parce que Marinette a eu peur de me dire que je ne travaillais plus.

samedi 16 avril 2016

Journal du 16 avril 1906

Maman; non, non, je ne mentirai pas. Jusqu'au bout, je dirai que ça m'est égal.
Elle vient. Marinette la fait entrer en disant:
- C'est grand-mère.
Elle m'embrasse (moi, je ne peux pas),  s'assied tout de suite avant d'en être priée. J'ai dit:
- Bonjour, maman. Ça va bien?
Pas une syllabe de plus.
Mais il n'en fallait pas plus. Elle parle toute seule. Elle dit:
- Je viens de voir Honorine pour la dernière fois. Elle s'en va. Elle ne reconnaît plus. Elle doit avoir beaucoup de fièvre. Ses petites-filles lui donnaient à boire dans une tasse sale, sale!...Ah! s'il me fallait boire dans une tasse pareille!... Ah! mes enfants, quand je serai vieille, plus bonne à rien, à votre charge, donnez-moi une pilule.
- C'est promis, dit Marinette. vous l'aurez. Allons un peu causer dans ma chambre.
Et il faut que maman se lève et la suive. Tout était réglé comme pour une froide cérémonie.
- Et toi, tu vas bien , mon Jules?
- Pas mal.
Tant mieux!
Dehors, elle embrasse Marinette et la remercie. Je suis troublé. Je ne suis pas touché. C'est la situation qui m'émeut: ce n'est pas ma mère. Ah! c'est la vieille femme à qui je ressemblerai plus tard. Cheveux gris encore ondulés, la chair s'en va. La peau se plaque, comme elle peut, sur les os qui prennent une importance!... Et il y a des croûtes sur la peau comme sur le bois qu'on ne repeint jamais.

mardi 5 janvier 2016

Journal du 5 janvier 1904

Philippe. Sa toilette: un de mes paletots, un vieux chapeau de Maurice, des souliers de Fantec.
Son obstination à marcher derrière Marinette.
- Vous êtes fatigué?
- Non.
- Vos souliers vous font mal?
- Oh! non.

vendredi 19 juin 2015

Journal du 19 juin 1897

Une heure et demie. Mort de mon père.
On peut dire de lui: "Ce n'est qu'un homme, un simple maire d'un pauvre village",et cependant parler de sa mort comme celle de Socrate. Je ne me reproche pas de ne pas l'avoir assez aimé: je me reproche de ne pas l'avoir compris.
Après déjeuner j’écrivais quelques lettres. Le timbre de la porte cochère sonne. C'est Marie, la petite bonne de papa qui vient me dire qu'il me demande.. Pourquoi, elle l'ignore.  Je me lève, seulement étonné. Peut-être plus inquiète, Marinette me dit: "J'y vais." Sans me presser je mets mes souliers et gonfle mes pneumatiques.
Arrivé à la maison, je vois maman dans la rue. Elle crie: "Jules! Oh! Jules!" J'entends: "Pourquoi s'est-il fermé à clef ?" Elle a l'air d'une folle. A peine plus agité qu'avant, je veux ouvrir la porte. Impossible. J'appelle: il ne répond pas. Je ne devine rien. Je suppose qu'il s'est trouvé mal, ou qu'il est au jardin.
Je donne des coups d'épaule, et la porte cède.
De la fumée et une odeur de poudre. Et je pousse de petits cris: "Oh! papa, papa! " Qu'est-ce que tu as fait là? Ah! ben, voilà! Oh! Oh! Et pourtant, je ne crois pas encore: il a voulu plaisanter. Et je ne crois pas à son visage blanc, à sa bouche ouverte, à ce qui est noir, là, près du coeur.
Borneau, qui revenait de Corbigny, et qui est entré le second dans la chambre, me dit:
- Il faut lui pardonner. Il souffrait trop, cet homme-là.
Pardonnez quoi? Quelle idée! Je comprends à présent, mais je ne sens rien. Je vais dans la cour, et je dis à Marinette qui a ramassé maman par terre:
-C'est fini. Viens!
Elle rentre, droite, toute pâle, et regarde de travers, du côté du lit. Elle étouffe. Elle défait son corsage. Elle peut pleurer. Elle dit, pensant à ma mère:
- Empêchez-l d'entrer. Elle est folle.
Nous restons tous deux. Il est là, couché sur le dos, jambes étendues, buste incliné, tête renversée bouche, yeux ouverts. Entre ses jambes, son fusil, sa canne du côté de la ruelle. Ses mains, libres, avaient lâché la canne et le fusil. Elles étaient encore chaudes sur le drap, pas crispées. Un peu plus haut que la ceinture, une place noire, quelque chose comme un petit feu éteint.

lundi 1 juin 2015

Journal du 1er juin 1905

Marinette a peur que je perde le goût de la vie. Je lui dis qu'il ne faut pas confondre l'ambition vulgaire avec la joie de vivre.
- Avec toi, dit-elle, tout s’arrange. Le taureau ne me fait pas peur. D'un geste tu l'écartes loin de nous.
- Marinette, lui dis-je, j'ai eu peu peur de la mort, et, aujourd'hui, je me vois très bien, en souriant, allongé dans un cercueil. J'ai eu peur de l'orage: je n'y pense plus. J'ai peur encore de souffrir, non de mourir, d'un coup d'épée, et non d'être tué en duel. L'essentiel, c'est que je ne te perde pas; le reste!... J'ai renoncé à tout ce que recherche un Hervieu: je n'ai pas renoncé au principal. J'avais peur de certaines idées: je n'ai plus peur d'aucune. J'admets tout, sauf qu'on fasse souffrir l'être qu'on aime, et même, simplement, qu'on fasse souffrir. Tu m'as empêché d'être un poète satirique. Je suis un poète élégiaque. Je garde en moi un fond de naïveté qui est une éternelle jeunesse. Je défie tout ce qui est beau, vivant et simple, de ne pas m'impressionner.

samedi 2 mai 2015

Journal du 2 mai 1897

Seul, je pense à Marinette comme à une petite femme toute neuve à qui je ferais la cour. Et je pense aussi à toutes les autres.
Hier, en  la quittant, j'ai fait quelques pas à pied avec l'espoir de quelques frôlements. Aucune femme ne m'a raccroché. Quelques-unes m'ont seulement regardé avec des yeux qui faisaient baissé les miens. On dit que la sensibilité s'use. La mienne est plus que jamais à vif. Et puis, on ne naît pas avec une sensibilité toute faite. On la fait. On lui donne une perfection extraordinaire
Si, pourtant, toutes les femmes qui m'admirent, si ces quelques femmes savaient que je suis seul, ne viendraient-elles pas me voir? j'aurais du faire une annonce.
Il fait un dimanche ensoleillé qui me rappelle les dimanches du lycée où j'étais privé de sortie. D'ailleurs, sorti, je m'ennuyais davantage.
Et voilà! moi qui appelle du fond du coeur les aventures, je me demande où je vais aller dîner.

lundi 2 février 2015

Marinette et Jules Renard vus par Thadée Natanson

Le bal des Alexandre N. est une petite date de la toute petite histoire. La soirée, qui devait devenir céleste, avait été organisée par Lautrec dans une maison à Paris où ce petit tyran régnait. [...]
A une petite table je vois installés bien sagement Jules Renard et sa femme. Ils buvaient non sans précaution. Renard toujours uniquement soucieux de bien voir, et que rien ne le gênât pour noter le plus de traits possibles, qu'il organiserait. Marinette, l'air toujours aussi candide, mais jamais étonnée, regardait son époux travailler; pour s'occuper, souriait à ceux qui passaient et sur lesquels l'écrivain, chaque fois, ne pouvait s'empêcher de s'essayer.
( Thadée Natanson, Peints à leur tour, pp. 253-254, Albin Michel, 1948.)

vendredi 14 mars 2014

Journal du 14 mars 1891

Il va peut-être se passer ici quelque chose de terrible. Aujourd’hui le mot de croup a été prononcé par une célébrité à lorgnon et à 40 francs la visite. Après, nous ne savons plus ce qu'il a dit. Marinette pleure, et moi je suis sorti avec une boule dans la gorge.  Nous sommes grisés de peur.
Nous écoutons le souffle, tantôt rauque, tantôt sifflant, de bébé. Les vomissements lui font du bien, et je voudrais le voir toujours vomir.
Le plus terrible, c'est qu'il est gai. Il rit, et la mort peut-être se prépare. Moi, je fais de la littérature.
Nous nous embrouillons dans le pharynx et le larynx.

mardi 27 août 2013

Journal du 27 août 1904

- Je n'ai jamais vu un homme plus laid, me dit Marinette.
Il me demande pardon de se présenter dans cet état.
- Je suis couvert de mouches, dit-il.
Comme deux ou trois volent autour de lui, je crois qu'il a une maladie qui les attire; à la fin, j'ai compris qu'il s'agit de vésicatoires. Il m'expose son cas, et tout à coup, baisse la tête avec une affreuse grimace. Va t-il se trouver mal?
Mais il a des douleurs, la moitié du visage paralysée, et il faut que ça passe. Quand c'est passé, il reprend la parole. Il parle correctement. On voit qu'il n'a pas toujours été comme il est.
Il me raconte une histoire de bureau de tabac.
Blessé en 70 à la jambe gauche. Dans une petite boîte en carton, il a l'éclat d'obus et les drains de caoutchouc qu'on lui a mis à sa blessure. Demeure à Saint-Martin. Vient quelquefois à Chitry, chez sa sœur Marie-Louise, ancienne servante de curé, naturellement, qui lui fait bien sentir sa férule.
Il avait une recette de buraliste. Il a dû donner sa démission, victime d'un banquier qui s'amusait avec une demoiselle des Postes, jolie fille. Les yeux du bonhomme clignent de gloutonnerie.

vendredi 9 août 2013

Journal du 9 août 1902

Cousine Nanette, toujours en ébullition. Nous affectons de ne pas nous saluer, et de nous parler sèchement. 
Elle m'appelle "monsieur".
- Faut-il qu'il vous dise "madame"? demande Marinette.
- Mais je suis une dame! dit-elle.
- Elle a raison, dis-je, de m'appeler "monsieur". Elle devrait même m’appeler "monsieur le Président" comme elle a fait l'autre jour, à cause de ma décoration, disait-elle, qu'elle trouve jolie. Et il faut qu'elle en prenne l'habitude et qu'elle la garde.
Mon ton de voix l'inquiète.
- Comme on se parle! dit-elle à une femme qui est là. On croirait que nous sommes fâchés.
- Nous n'en sommes pas si loin, dis-je en m'éloignant;
Mais elle bout: c'est peut-être moi qui ai dit à M. Combes de chasser les deux sœurs de Chitry.

mercredi 31 juillet 2013

Journal du 31 juillet 1906

Je suis devenu court, tendu, rétréci, à  cause des compliments, du succès. Ma vraie nature, c'est peut-être d'être abondant, léger, spirituel. Je n'écris bien que des lettres à Marinette.

lundi 10 juin 2013

Journal du 10 juin 1905

Marinette s'accoude à la rampe du petit pont..
- Oh! le joli balcon! dit-elle.
Par le ruisseau, un flot de soleil couchant semble venir à nous. Il y a, de chaque côté de mystérieuse grottes faites de racines et de branches. Le ruisseau passe entre ces vertes demeures comme une rue dans un village.

dimanche 12 mai 2013

Journal du 12 mai 1904

Devant Marinette le curé passe, hautain, énorme, longs cheveux gris, cheveux de cheval, sous sa barrette. Soutane relevée à cause du ventre.  Le pauvre Paul, qui est avec lui, veut la saluer.  Il reste un peu en arrière, mais le curé aussi. Il lève la main jusqu'à son estomac. D'un regard terrible, la curé arrête la main.

vendredi 15 mars 2013

Jules Renard vu par sa nièce 1/2

À la suite de sa Vie littéraire consacrée à la Correspondance de Jules Renard, notre collaborateur et ami Émile Henriot a reçu de la nièce de l'auteur de Poil de Carotte, Mme Capponi, le lettre suivante:
Monsieur,
J'ai lu dans le Monde du 21 avril votre article sur la correspondance de Jules Renard. Mon attention a été particulièrement sollicitée par l'intérêt habituel de vos chroniques, mais aussi parce que le sujet me touche de près. Je suis en effet la nièce de Jules Renard (la fille de sa sœur); ma sœur et moi-même sommes les seules personnes vivantes de sa famille qui l'ont connu, ainsi que son père et sa mère.
Il y a une sorte de légende affreuse qui s'est formée sur Jules Renard, l'enfant martyr et sur sa mère. On a transformé en histoire vécue ce qui était une exagération de la réalité. Cette transformation est évidemment le fait du littérateur, qui raconte non pas l'Histoire mais une simple histoire. Voici d'ailleurs ce qu'il écrivait à mes parents (sa sœur et son beau-frère) dans une lettre inédite du 2 novembre 1890:
" Un détail: mettez-vous bien, dans vos chères boules, une fois pour toutes,  que je ne fais jamais de personnalités dans ce que je pense écrire. Si sous chaque mot vous vous ingéniez à trouver quelque épigramme, vous ne tarderez pas à devenir des ennemis mortels. Non, je ne fais pas d'allusions à votre bourgeoisisme. Je prend mes mots où je les trouve et je les dénature comme il me plait. J'ai dûment prévenu Marinette, je vous préviens à votre tour. Si je suis bon mari, bon frère et même bon beau-frère, tenez-moi quitte du reste. Le littérateur ne vous regarde pas. 
Si je le prends un peu de haut, c'est que je sais combien un coup de plume peut faire de mal quand on l’interprète tortueusement. C'est entendu, n'est-ce pas, vous avez bien saisi et nous ne reviendrons pas là-dessus. Je me f... un peu de moraliser mes semblables et ne tiens à faire que de la pure littérature. Voilà. Embrassades multiples.
Suite demain. 
(Mme Capponi, Le Monde, 13-14 juin 1954.)

jeudi 14 février 2013

Jules Renard vu par Han Ryner 1/3

 Sur Jules Renard et sur Vigny
Le premier livre important de Jules Renard, le premier de ceux dont les titres sont venus jusqu'à nous, est assurément l'Écornifleur. Il sera suivi du Vigneron dans sa vigne, des Histoires naturelles, du Plaisir de rompre, du Pain de ménage et, surtout, bien évidemment, de Poil de Carotte, publié respectivement en 1894, 1896, 1898, 1900 et 1894 pour Poil de Carotte roman et 1900 pour Poil de Carotte comédie. Mais c'est en février 1892 que paraît chez Ollendorf l'Écornifleur. Un centenaire donc. Et apparaissent pratiquement en même temps l'Écornifleur et le second enfant de Jules et de Marie Renard, la petite Julie Marie, dite Baïe, née le 22 mars 1892, et qui décèdera en 1945.
Tout le monde connait Jules Renard, et on peut avancer sans risque de se tromper que nul ne le connait vraiment tant sa personnalité est, plus que tout autre peut-être, bicéphale.
Tout d'abord, et je crois qu'on l'oublie trop souvent, Renard est mort jeune. À 46 ans (né le 22 février 1864, décédé le 22 mai 1910). comme Claude Tillier, 1801-1844, et on a souvent amorcé un parallèle Tillier-Renard. Comme Paul-Louis Courier, 1772-1825, ou encore Paul Verlaine, 1844-1896.
Très brièvement, les grandes dates de la vie de Renard sont le 28 avril 1888, son mariage avec Marie, dite Marinette, Morneau, 1871-1938; le 2 février 1889, naissance de leur fils Pierre-François, dit Fantec, qui décèdera en 1934; 22 mars 1892, naissance de Baie; 19 juin 1897, suicide de son père François Renard; 5 août 1909, noyade (suicide?) de sa mère, née Anne-Marie Colin (Mme Lepic).
On connaît bien les mots, parfois très durs, acides, de cet aigri et de ce déçu, et parfois, si tendrement bucoliques. Il définissait le papillon, ce petit châle pour les fleurs, "ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur".  Voici quelques-uns de ses aphorismes, quelques-unes de ses sublimes notations parmi tant d'autres: Il faut admirer une cérémonie religieuse si elle est belle, et non pas l'aimer ou la détester parce qu'elle est religieuse" (25 septembre 1908). "On ne s'habitue pas vite à la mort des autres. Comme ce sera long, quand il faudra nous habituer à la nôtre!" À propos de son Journal: "Des amis s'y reconnaîtront. Je pense avoir dit assez de mal d'eux pour les flatter". Et, qui n'est pas sans parenté avec la fraternelle poésie d’un Marcel Martinet ou d'une Sabine Sicaud: " Je sais déjà regarder les nuages qui passent. Je sais rester sur place. Et je sais presque me taire". Savoir regarder les nuages qui passent et savoir presque se taire, c'est déjà beaucoup plus que le commencement de la sagesse, mais cette sagesse là, combien de paysans l'ont acquise à leur naissance?
Suite demain.
(Han Ryner, Les Messages de Psychodore, n°53, novembre 1992)

samedi 2 février 2013

En suivant l'ombre de Jules Renard 1/2

"On me donne maintenant cinq sous de la ligne. C'est beaucoup. Mais j'écris des choses concentrées qui ne font pas beaucoup de lignes. D'autre part, c'est cette concision qui fait mon succès. comment sortir de là?"
Cher Jules Renard, le talent ne lui apportait point la richesse et la petite maison de Chitry en témoignait. Ce jour-là, après la mort de Marinette, sa femme, après la mort de Fantec, son fils, un certain jour de l'été 1939, on dispersait les livres de sa bibliothèque.
Ils étaient là, rassemblés comme dans ses livres, les contemporains de Jules Renard, ses modèles, ses héros simples, ses amis campagnards. Ils étaient venus de Chitry, de Corbigny, de Chaumot et de Clamecy, la grande ville.  Mais ils n'osaient point acheter des livres pour la crainte d'entendre leur voix et aussi parce qu'ils ne savaient pas bien lire. Et puis, on disait que l'auteur avait écrit des choses mauvaises. Et leurs enfants ignoraient ce Monsieur qui, disait-on, avait eu du succès à Paris. Et ils restaient là, leurs grosses mains posées devant eux, comme des outils. Ah! quand on vendrait les matelas...
Voilà le père Mignot, lui a connu le Jules. Ils allaient ensemble à l'école.
"Je me le rappelle, dit-il, émerveillé de sa mémoire. Avec sa tignasse rouge, on le voyait par-dessus les haies. Il avait son caractère. Le maire l'appelait Tête de bique. Un jour, il a boudé devant l'inspecteur, pensez..."
- Et sa mère, Mme Lepic...
- On dit qu'il l'appelait comme ça, pauvre Mme Renard. C'était une bien brave dame. Elle nous donnait pour goûter des tartines de pain et de fromages. Ma mère allait en journée chez elle. Elle était couturière et raccommodait Mlle Ernestine, une bien honnête jeune fille.  Mme Renard, elle, piquait peut-être un peu ma mère, avec les épingles, et puis, l'heure, qu'elle ramenait toujours. Mais elle payait pas plus mal que d'autres...
M. Boulé, instituteur retraité à Corbigny a connu Jules Renard, surtout quand il était maire. 
- Nous allions faire des conférences ensemble. Après, on lui a élevé un monument. Mais des gens ont jeté des seaux d'immondice le jour de l’inauguration sur la statue de Poil de Carotte, posée par suzanne Desprès. 
"Il n'y avait  aucun ouvrage de Jules Renard à la bibliothèque municipale de Chitry. Je les ai fait venir et aujourd'hui tout le monde - ceux qui savent lire, naturellement - peut lire les œuvres de notre premier  Chitryen." De l'autre côté de la rivière, a flanc de colline, M. Boulé me désigne la Gloriette, la villa que loua Jules Renard, tout près de ses parents. 
- Le fils de Ragotte habite encore - comme domestique s'entend - la Gloriette. C'est un nommé Chalumeau.
Suite demain. 
(Geneviève Dunais, Radio national, n°66, 23 août 1942)

mercredi 16 janvier 2013

Journal du 16 janvier 1908

Marinette, pas de mauvaise humeur! Tu dois être toujours sans nuage. Sur ta netteté une ombre ferait tache.
- Mais je suis fatiguée, d'abord, puis énervée.
Si tu es fatiguée, repose-toi. La fatigue te va, non l'énervement.
La moindre humeur de toi m'est intolérable. Si tu fais, un instant, ta petite prunelle de bois, ça gâte tout. Je ne peux te voir que gaie, douce et propre, en bonne santé. Efforce-toi de ne jamais cesser d'être tout cela.
Ainsi, à force d'égoïsme, j'arriverai à faire de toi une femme incomparable.

samedi 29 décembre 2012

Journal du 29 décembre 1903

Maman a fait le voyage avec un soldat qui venait de Nice et qu'elle a présenté à Marinette, à la gare.
J'avais préparé: "Bonjour, maman. Ça va bien? Bon voyage? Installe-toi." Je n'ai pu lui dire que bonjour et lui donner deux baisers avec des lèvres jointes, desséchées.
Dans son "Oh! ce Paris!" il y a quelque chose de familier et d'attendri que Poil de Carotte n'a jamais eu.

lundi 12 novembre 2012

Journal du 12 novembre 1904

Vexé par l'accueil des Nivernais hier soir, consolé par l'article de la Tribune de ce matin. Je dis à Marinette: 
- Je suis vaniteux, hein?
- Non, dit-elle en riant.
- Non, mais j'aime les éloges.
- C'est-à-dire, répond-elle, que, quand ils viennent, ils ne te troublent pas; mais s'ils ne viennent pas, tu...
- Oui, oui.
- Mais ils viennent toujours.
- Et puis, dis-je, je serais peut-être un vaniteux, et je ne serais que cela, si je n'étais poète. Poète, je vois la vanité de la vanité même. Je sais voir la beauté, et il y a tant de choses belles.