vendredi 8 février 2013

Le déficit et la dette au temps de Jules Renard 2/2

Le déficit
Chez M. de Molinari
Suite d'hier.
- Vous avez dû voir que M. Mesureur (Président de la commission du budget à l'assemblée) propose 21 millions d'économies; je ne parle pas des 43 millions provenant de la suppression du budget des cultes.
- Oh! les économies de M. Mesureur! D'abord, supprimer le budget des cultes, c'est impossible; cela ne se fera pas; ensuite il s'agit de savoir si les 21 millions d'économies dont vous me parlez ne seront pas largement compensés par des ouvertures de crédits nouveaux. Vous savez que chaque député, lors de la discussion du budget, veut son morceau et l'obtient; c'est la curée aux millions et les millions se transforment rapidement en milliards. 
En somme, nos finances sont mauvaises parce que nos hommes d’État ne sont imbus d'aucun principe d'économies; ils bâclent des lois; ils établissent des impôts; cela à tort et à travers; résultat, un déficit inévitable.
[...] La chambre nouvelle devra faire sérieusement des économies, non pas grappiller des centaines de mille francs par-ci par-là, mais arracher des millions, beaucoup de millions à la voracité des gouvernants, sans cela...
- Sans cela?
M. de Molinari s'est tu. Il m'a regardé, se demandant s'il pouvait, devant moi, achever sa pensée.
- Sans cela?
- Eh bien, sans cela, je ne sais pas ce qui arrivera; la France est riche, elle a bon dos, mais un jour vient où le contribuable se révolte...Ah!
M. de Molinari s'est encore tu; je sens qu'il a sur les lèvres un mot redoutable; mais ce mot, M. de Molinari n'ose pas le prononcer; simplement, il dit:
-Augmenter notre dette, mais c'est augmenter chaque année le budget; cent millions de déficit, cela fait cent millions de dettes de plus; et il faut, en surcroit, payer les intérêts de ces cent millions; le budget futur s'en accroît; le déficit futur devient plus considérable; et d'année en année, le mal grandit; et nul ne s'en épouvante. Il faudrait cependant crier casse-cou, il faudrait éviter la débâcle.
M. de Molinari a prononcé ce mot de débâcle d'une voix très faible, comme s'il avait peur d'être entendu, comme s'il craignait de s'entendre lui-même.
- Il faut espérer qu'on réagira, qu'on réagira rapidement. Il le faut.
M. de Molinari s'est levé; je prends congé, et comme je vais franchir le seuil, j'entends la voix de mon interlocuteur qui murmure:
- Des économies... des économies...
(Fernand Hauser, L’Écho de Paris, 20 octobre 1901.)

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