lundi 25 février 2013

Jules Renard vu par Gabriel Reuillard 1/4

J'ai eu l'honneur de connaître Jules Renard.
C'est le seul écrivain que j'ai osé aller voir à mon arrivée à Paris.
Pourquoi?
Dans ma province, je m'étais nourri de son œuvre. je me sentais des affinités avec lui.
Je m'armai un jour de tout mon courage et, ayant grimpé l'escalier de la petite maison de la rue du Rocher qu'il habitait, une maison d'aspect campagnarde et bourgeoise, en plein Paris, je sonnai à la porte.
Le cœur me battait fort quand on m'introduisit auprès de lui.
Je le revois, dans sa robe de chambre, assis à un bureau modeste, sa longue figure au front immense encore allongée par sa barbe en pointe, aux poils roux et blancs, clairsemés, me fixant de son petit oeil au regard aigu bridé par les paupières qui clignotaient au soleil.
- Eh bien, Monsieur.
Il vit tout de suite mon air plus que modeste, mon linge douteux, mes pauvres vêtements, mes chaussures fatiguées. C'est ce qui me sauva. Je lui racontais ma petite histoire. Je venais, dévoré de rêves littéraires, quelques nouvelles manuscrites sous le bras pour tout bagage, à la conquête de Paris.
Ce qu'elles valaient, ces nouvelles? En vérité, je ne saurais le dire exactement. Elles ont disparu, avec pas mal de choses dans les remous d'une jeunesse agitée d'autodidacte.
Jules Renard les prit et les lut avec bienveillance. Il me donna quelques conseils: trop d'adjectifs, de mots - de verbalisme. Il me dit à peu près:
- Serrez! Serrez! Un mot, un adjectif et un verbe suffisent à la phrase classique.
Il avait raison. Je ne le savais pas encore. Lui, le savait déjà, depuis longtemps. J'aurais du m'en apercevoir quand je lisais et relisais ses œuvres pour prendre, à leur contact, la dure leçon que je cherchais.
Le style classique, c'est-à-dire le style éternel, le style tout court, qu'est-ce donc?
Des phrases comme les autres avec des mots comme les autres, sans doute.
Mais qui leur donne la durée.
Je répond hardiment: la solide matière au grain dur, dans laquelle elles sont burinées.
De Ronsard à Renard: la phrase en grès et en bronze, où tout est en ordre, échauffée, assouplie par le travail: des mots qui font image, mis à leur place selon la musique du rythme intérieur déclanché par la sensation et l'émotion.
Suite demain.
(Gabriel Reuillard, Les Maîtres de la plume, avril 1929.)

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