jeudi 28 février 2013

Journal du 28 février 1901

Alceste n'est qu'un homme qui n'a pas réussi dans le monde. Indifférent, il serait plus beau, mais moins intéressant que misanthrope.
Si le roi disait: "Nous deux!"  si Célimène l'embrassait tout d'abord, si Oronte lui disait: "Je sais que vous faîtes des vers délicieux..."
Nos vertus, nous les devons à l'impuissance où nous sommes d'avoir des vices.

Jules Renard vu par Gabriel Reuillard 4/4

Suite d'hier.
Et moi je déclare:
Que je suis écœuré à plein cœur, à cœur débordant par la condamnation de Zola;
Que je n'écrirai plus jamais une ligne à l'Écho e Paris;
Que M. Fernand Nau est, physiquement, un des plus petits hommes que je connaisse, mais que à force de platitude dans ses déclarations à ses abonnés, il arrive à paraître encore plus petit;
Qu'ironiste par métier, je deviens tout à coup sérieux pour cracher à la face de notre vieux pantin national, M. Henri Rochefort;
Que le professeur d'énergie Maurice Barrès n'est qu'un Rochefort de peu de littérature et de moindre aplomb, et qu'il fera tant que les électeurs ne voudront plus de lui pour conseillé municipal enfariné;
Que M. Drumont n'a aucun talent, aucun, et qu'on s'apercevra que le joujou antisémite se cassera dans sa main;
Que si le Figaro ne se hâte pas de s'appeler le Bartholo, l'ombre de Beaumarchais ne peut manquer de venir lui tirer les oreilles;
Que fier de lire dans leur texte les Français: Racine, La Bruyère, La Fontaine, Michelet et Victor Hugo, j'ai honte d'être un sujet de Méline.
Et je jure que Zola est innocent.
Et je déclare:
Que je n'ai pas de respect pour nos chefs d'armée qu'une longue paix a rendus fiers d'être soldats;
[...] Je déclare que je me sens un goût subit et passionné pour les barricades, et je voudrais être un ours afin de manier aisément les pavés les plus gros que, puisque nos ministres s'en fichent, à partir de ce soir je tiens à la République qui m'inspire un respect, une tendresse que je ne me connaissais pas. Je déclare que le mot justice est le plus beau de la langue des hommes, et qu'il faut pleurer si les hommes ne le comprennent plus..."
Tout le morceau est sur ce ton. L'homme de cœur, qui se dérobait par pudeur derrière l'humoriste délicat, sort, poitrine en avant, crie sa haine, sa foi. Renard pouvait se payer le luxe, le grand luxe de l'indépendance. Il pouvait aussi se le refuser. Il n'a pas hésité. C'est un luxe qui coûte cher, ou plus exactement qui ne rapporte qu'à longue, longue échéance - après la mort - encore à condition d'avoir un grand, grand, grand talent.
Dieu Merci, c'est le cas pour Renard. Justice - le plus beau des mots de la langue des hommes, comme il dit - lui est enfin rendue.
Son nom, son œuvre - et son exemple - sont imposés.
(Gabriel Reuillard, Les Maîtres de la plume, avril 1929.)

mercredi 27 février 2013

Journal du 27 février 1905

Mort de Schwob. Éclosion de souvenirs.

Jules Renard vu par Gabriel Reuillard 3/4

Suite d'hier.
À force de quintessencier et de tourner par goût - peut-on dire par excès de goût - le dos aux lieux communs, Renard a frisé parfois la préciosité, avec certaines de ses Histoires naturelles. C'est, bien souvent de la bimbeloterie, très jolie, parce que Renard reste, malgré tout, un grand artiste, mais c'est souvent faux et guindé. Quelques-unes de ses descriptions et de ses images sont à la nature ce qu'une bergerie de bazar est au paysage montagnard: du bibelot d'étagère, élégant, chantourné, souvent amusant de formes et de contours, mais aussi loin de la vie que tous les poncifs littéraires si soigneusement évité par l'écrivain.
Erreur momentanée, d'ailleurs, car bientôt, Renard, revenu à des thèmes plus larges, plus humains, surtout avec Nos frères farouches, a retrouvé la large et saine voie de la poésie éternelle, à base d'observation directe, prolongeant, par la douce harmonie des mots, l'émotion profonde du poète: "Qui a éprouvé comme lui, à la lecture des Feuilles d'automne, le frisson brusque et sans cause connue, que les arbres se transmettent en une courte agitation, passe au cœur de l'homme soudain grave et le laisse longtemps troublé." 
Un classique, certes, mais un classique poète bien qu'il y ait aussi du moraliste en lui.  Ce qu'il disait de son compatriote Claude Tillier peut lui être largement appliqué aussi: "Les poètes lui ont donné le goût de la rêverie, de l'image qui peint, du rythme nécessaire à la phrase, si prosaïque qu'elle soit, du mot rare qui frappe, du trait brillant qui éclaire l'idée comme un rayon de soleil presse l'ombre des feuilles."
Poète et moraliste, ai-je dit. comme dans toutes les grandes figures, il y avait, en effet, du moraliste en lui, du redresseur de torts: un Caton dans la république des lettres.
À l'extérieur, c'était un bourgeois janséniste, boutonné dans sa redingote, qui croyait fermement que la vertu finit toujours par triompher par la seule force: "Ma moralité disait-il à peu près - je cite de mémoire - c'est mon squelette."
Cet être d'apparence froid, réfléchi, concentré, passionné qui serrait les dents, avait des explosions soudaines, d'autant plus violentes qu'elles libéraient toutes sortes de forces longtemps accumulées.
Le jour de la condamnation de Zola (23 février 1898), on trouve, dans son Journal, une des pages les plus fortes inspirées à un homme par une écœurante injustice. On pense, en la lisant, à son ancêtre littéraire, Paul-Louis Courier, Nivernais comme lui:
"Zola est condamné à un an de prison et mille francs d'amende.
Suite demain.
(Gabriel Reuillard, Les Maîtres de la plume, avril 1929.)

mardi 26 février 2013

Journal du 26 février 1906

Fumée bleue, et peut-être qu'au foyer on brûle des choses immondes.

Jules Renard vu par Gabriel Reuillard 2/4

Courteline, cet autre classique, ne doit, comme Renard, la solidité de sa phrase qu'au plus dur en même temps qu'au plus délicat des labeurs, "pauvre bûcheur, comme il dit lui-même, en proie au mal d'un éternel mécontentement, qui fait une phrase comme on fait un train, des mots cherchés au bout des voies, amenés lentement derrière mon dos et accrochés les uns aux autres tant bien que mal".
Et comme ce naturel, comme ce prétendu naturel est artificiel. Le naturel, dit à peu près Anatole France - encore un classique! - c'est ce qui se met en dernier. Comme cette simplicité, cette apparente simplicité du style, est compliquée, fruit d'un labeur jamais achevé, d'une lente et continuelle filtration intérieure pour éliminer peu à peu les impuretés, les inutilités, les impropriétés. La construction doit être dessous, puissante et invisible, comme l'ossature d'un corps, comme le dessin derrière la peinture: "Savoir, en style, et ne jamais le laisser paraître" dit Renard. Il a une sainte horreur du faux, du convenu, de ce qui ronronne et s'étale avec du faux luxe, de la beauté incontrôlée, incontrôlable: "Ces toits débondés, écrit-il, font aimer ceux qui se retiennent, les régulateurs. N'importe quelle idée bien, ils la mettent imprudemment en cinq actes. d'une minute, ils extraient trois heures d'horloge.
"Nous ne nous sentons d'affinités qu'avec la vie. Elle est un peu médiocre et avare. Et si nous n'aimons qu'elle, nous ne la provoquons pas: nous la laissons venir à nous, et, bien des jours de suite, elle ne vient pas. Tant pis! Nous sommes trop bien pour aller au devant d'elle. Pour être des hommes de génie il ne nous manque que de regarder de près, intimement, vivre César ou Napoléon. La qualité de nos enthousiasmes, c'est d'être multipliés et brefs. "Et il écrit encore, en se déclarant" réaliste gêné par la réalité": "Des phrases courtes et claires, et un peu plates, avec ça et là, une autre phrase qui se dresse comme une fleur éclatante au milieu d'herbes d'une pâle verdure. Et surtout, pas de cette poésie qui paraît poétique comme certains nous paraissent Russes. Qu'ils soient Russes, l’œil le voit, mais il ne les lit pas, mais la bouche ne les prononce pas, c'est là surtout qu'il faut mettre un point, même sur l'i grec du mystère."
Suite demain.
(Gabriel Reuillard, Les Maîtres de la plume, avril 1929.)

lundi 25 février 2013

Journal du 25 février 1895

Aux paysans qui lui demandent si tel endroit de Paris est loin de tel ou tel autre, papa répond: "Peuh! il n'y a que la rivière à traverser.

Jules Renard vu par Gabriel Reuillard 1/4

J'ai eu l'honneur de connaître Jules Renard.
C'est le seul écrivain que j'ai osé aller voir à mon arrivée à Paris.
Pourquoi?
Dans ma province, je m'étais nourri de son œuvre. je me sentais des affinités avec lui.
Je m'armai un jour de tout mon courage et, ayant grimpé l'escalier de la petite maison de la rue du Rocher qu'il habitait, une maison d'aspect campagnarde et bourgeoise, en plein Paris, je sonnai à la porte.
Le cœur me battait fort quand on m'introduisit auprès de lui.
Je le revois, dans sa robe de chambre, assis à un bureau modeste, sa longue figure au front immense encore allongée par sa barbe en pointe, aux poils roux et blancs, clairsemés, me fixant de son petit oeil au regard aigu bridé par les paupières qui clignotaient au soleil.
- Eh bien, Monsieur.
Il vit tout de suite mon air plus que modeste, mon linge douteux, mes pauvres vêtements, mes chaussures fatiguées. C'est ce qui me sauva. Je lui racontais ma petite histoire. Je venais, dévoré de rêves littéraires, quelques nouvelles manuscrites sous le bras pour tout bagage, à la conquête de Paris.
Ce qu'elles valaient, ces nouvelles? En vérité, je ne saurais le dire exactement. Elles ont disparu, avec pas mal de choses dans les remous d'une jeunesse agitée d'autodidacte.
Jules Renard les prit et les lut avec bienveillance. Il me donna quelques conseils: trop d'adjectifs, de mots - de verbalisme. Il me dit à peu près:
- Serrez! Serrez! Un mot, un adjectif et un verbe suffisent à la phrase classique.
Il avait raison. Je ne le savais pas encore. Lui, le savait déjà, depuis longtemps. J'aurais du m'en apercevoir quand je lisais et relisais ses œuvres pour prendre, à leur contact, la dure leçon que je cherchais.
Le style classique, c'est-à-dire le style éternel, le style tout court, qu'est-ce donc?
Des phrases comme les autres avec des mots comme les autres, sans doute.
Mais qui leur donne la durée.
Je répond hardiment: la solide matière au grain dur, dans laquelle elles sont burinées.
De Ronsard à Renard: la phrase en grès et en bronze, où tout est en ordre, échauffée, assouplie par le travail: des mots qui font image, mis à leur place selon la musique du rythme intérieur déclanché par la sensation et l'émotion.
Suite demain.
(Gabriel Reuillard, Les Maîtres de la plume, avril 1929.)

dimanche 24 février 2013

Journal du 24 février 1905

Elle vient s'accouder aux fauteuils, devant moi.
- Puisque vous ne venez pas me voir, dit-elle, c'est moi qui vous fais une visite.
- Votre mari n'est pas là.
- Non.
- Vous lui raconterez la pièce?
- Un peu. Oh! Je ne suis même pas son inspiratrice. Non, ce n'est pas moi qui l'inspire.
- Vous voulez dire que c'en est une autre?
- Je le crains.
- Oh! dis-je, je ne le saluerais plus. 
- Pourquoi?
- Parce que, moi, qui me suis donné pendant dix-sept ans la peine de rester fidèle à ma femme, j'ai le droit d'être plein de mépris pour un homme qui ne resterait pas fidèle à la sienne... combien?
- Pas trois ans.
- Vous le calomniez. Il travaille.
- Oh! En tout cas, il maigrit.
Je la regarde. Comment lui reviendrait-il? Elle a l'air d'un pauvre parapluie. C'est très joli, une compagne intelligente, mais il faut que ce soit une femme, avec tout de même, que diable! un peu de ce qui est nécessaire pour faire l'amour.

samedi 23 février 2013

Journal du 23 février 1894

Si vous pensez du bien de moi, il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça passera.

Jules Renard, poème de jeunesse

Morvandelle
Je rêve d'être sous ton corps
Une barque fragile et neuve.
Tu ne vivras qu'entre mes bords
Plus solitaire qu'une veuve.

Tu tiendras tout entière en moi;
Car ma poitrine t'a saisie
Comme une prison; j'ai pour loi
De couler à ta fantaisie.

Ma rame bat avec langueur
Sur la mesure de ton coeur.
Puis, las d'amour, j'aurais la joie

Avec un simple tour de reins
De faire voir aux riverains
Comme une maîtresse se noie!

(Jules Renard, Le Décadent, n°31, 15-31 mars 1889.)

vendredi 22 février 2013

Journal du 22 février 1898

C'est un homme de haute taille qui paraît petit, tant il est plat.

Actualité littéraire

 La cartographie littéraire de la France

Un site internet consacré aux régions de France vues par les écrivains vient d'ouvrir. C'est la librairie strasbourgeoise Ivres de Livres qui est à l'origine du projet. Une carte de France est proposée sur laquelle il suffit de cliquer pour lire l'extrait d'un roman ou d'un poème qui évoque une province, une ville, un paysage. 
La carte offre ainsi une promenade dans l'Hexagone au rythme des lettres. Car les écrivains sont attachés à leur terroir qui leur inspire souvent de très belles pages. 
En quelques clics, on flâne sur les grands boulevards de Paris avec Zola et Huysmans, et on déambule sous les pins du Midi de Pagnol et Daudet.  On apprend par exemple que l'auteur des Lettres de mon moulin a décrit les côtes bretonnes. 
La carte de France est interactive et s'enrichit chaque jour de nouveaux extraits. Les internautes sont invités à étoffer la cartographie littéraire en envoyant les textes de grands auteurs sur leur ville.
Pour la balade, rendez-vous sur www.cartographie-littéraire.net.
(Pierre Adrian, Le Figaro littéraire, jeudi 21 février 2013.)

jeudi 21 février 2013

Journal du 21 février 1901

M. Lepic. Sur ce, je résolus de me marier. Son attitude. Il se chauffe. Au morceau de musique, il dit: "Oui!" On n'entendit pas le mot "Assez!" mais on entendit qu'il le pensait.
- Puisque vous avez tout arrangé sans moi...
En 70, on l'accusait d'avoir correspondu avec Bismarck.
Je le vois avec les yeux de l'enfant, puis du jeune homme, puis de l'homme. Sa mort.
Ça m'amuserait, d'apprendre qu'il est cocu, que je ne suis pas son fils. Ça m'expliquerait bien des choses, mais il n'y a qu'à moi que ces choses n'arrivent pas. 
Pour faire prospérer ma famille je n'aurai qu'à faire le contraire de tout ce que je vois.
Sa haine pour les curés.
Je tâche de les faire divorcer. Dialogue entre lui et moi dans l'écurie, mais Mme Lepic avait écouté à la porte.
Parfois, j'ai peur qu'il me donne une calotte ou me décharge son fusil en pleine figure.

mercredi 20 février 2013

Journal du 20 février 1901

M. Lepic. Parfois, aussi, j'éprouve le besoin qu'il me donne sa malédiction. Mais à propos de quoi?

Le pouvoir du romancier

Nous sommes tous devant le romancier comme les esclaves devant l'empereur: d'un mot, il peut nous affranchir. Par lui, nous perdons notre ancienne condition pour connaître celle du général, du tisseur, de la chanteuse, du gentilhomme campagnard, la vie des champs, le jeu, la chasse, la haine, l'amour, la vie des camps. Par lui, nous sommes Napoléon, Savonarole, un paysan, bien plus - existence que nous aurions pu ne jamais connaître - nous sommes nous-même. Il prête une voix à la foule, à la solitude, au vieil ecclésiastique, au sculpteur, à l'enfant, au cheval, à notre âme. 
Par lui nous sommes le véritable Protée qui revêt successivement toutes les formes de la vie. À les échanger ainsi les unes contre les autres, nous sentons que pour notre être, devenu si agile et si fort, elles ne sont qu'un jeu, un masque lamentable ou plaisant, , mais qui n'a rien de bien réel. Notre infortune  ou notre fortune cesse pour un instant de nous tyranniser, nous jouons avec elle et avec celle des autres. C'est pourquoi en fermant un beau roman, même triste, nous nous sentons si heureux.
(Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Folio classique.)

mardi 19 février 2013

Journal du 19 février 1895

On n'est rien avant trente ans, trente-cinq ans, et je m'aperçois qu'il faut toujours reculer la date.

Actualité littéraire

Un crime
Paul Dumery a des problèmes d'argent. Il décide d'assassiner un huissier pour le voler.  Un mois durant, il parcourt la France d'une ville à l'autre. Il lit les journaux du soir, ceux du matin, suivant l'affaire avec détachement. D'abord insoupçonnable, il finit par devenir le suspect numéro un jusqu'à son arrestation et son procès. Aux Abois est le journal de bord d'un assassin, un homme ordinaire qui décide, en tuant, de jouer avec sa vie.
Tristan Bernard, reconnu pour son théâtre et ses mots d’esprit, dépeint à la première personne un héros flegmatique et décalé: "C'est curieux. Il y a des moments où j'oublie complètement que j'ai tué un homme." Il analyse ses moindres gestes, revient sans cesse sur "l'acte important de (sa) vie".
Le ton est neutre, l'atmosphère sombre. Tristan Bernard intègre parfaitement le lecteur  dans l'intelligence du tueur. Publié en 1933, Aux Abois rappelle d'autres grands héros de roman tels Lafcadio, Raskolnikov ou Meursault. Duméry, c'est le grand frère de  L’Étranger.
(Pierre Adrian,  Le Figaro littéraire, jeudi 14 février 2013, p. 7.)

Aux Abois, de Tristan Bernard, Le Livre de poche/Biblio. 190 p. 6,10€.

[...] "Ennemi fidèle des bonnes mœurs, le bon Tristan n'était décidément pas par hasard, en littérature comme dans la vie, le frère de  l’Écornifleur. "
(Olivier Barrot, 4ème page de couverture.)

lundi 18 février 2013

Journal du 18 février 1901

Les mots rappellent comme des perdrix.

Actualité littéraire

 Au pays des lettres de Juliette
Correspondance. Comédienne à succès, égérie des romantiques, maîtresse de Victor Hugo pendant un demi-siècle, Juliette Drouet fut également un inlassable épistolière. On a recensé plus de 20.000 lettres adressées au poète (1802-1885), jusqu'à sa mort en 1883. Une équipe d'une cinquantaine de chercheurs de l'université de Rouen, dirigée par Florence Naugrette, a crée un site où toutes les lettres  seront bientôt consultables: juliette-drouet.org.
Déjà quelques 800 lettres sont disponibles. Ce véritable portail épistolaire permet d'effectuer des recherches par année, par nom de personne citée, par lieu. Il est complété par des repaires chronologiques bien détaillés. la maison de Victor Hugo à Paris s'est associée à ce vaste projet. 
"Le compte-rendu des travaux et des jours y côtoie les saillies les plus spirituelles et de sublimes morceaux de prose poétique." Le 14 février 1836 (jour de la Saint-Valentin), elle lui écrit: "Mon cher petit Toto adoré, tu peux être bien sûr que je ferais tout mon possible pour solidifier notre avenir."
(Thierry Clermont, Le Figaro littéraire, jeudi 14 février 2013, p. 5.)

dimanche 17 février 2013

Journal du 17 février 1904

Mon père prétendait s'être brouillé avec les Corneille, sous un prétexte futile afin d'échapper aux tentations de Rose. Il a fini par y croire.
Il y a, là, matière a un petit acte.
Le vieillard et la jeune fille devenue femme se rencontrent.
- Hein! C'est joli, dit-il, ce que j'ai fait là!
- C'était bien inutile: je n'ai pas été heureuse.
- Vous ne l'auriez pas été avec moi.
- Mais vous, dit-elle, vous l'auriez été, du moins un instant, avec moi.
État d'esprit. M. Lepic, qui a mauvais caractère, se brouille avec les Corneille pour un motif futile.  De toute la famille il ne regrette que Rose. Il oublie le prétexte. Il finit par croire qu'il s'est brouillé avec le père pour n'être pas tenté de déshonorer la fille, mais elle lui dira:
- C'était bien inutile!

samedi 16 février 2013

Journal du 16 février 1895

Il faut être honnête et modeste, mais il faut dire qu'on l'est.

Jules Renard vu par Han Ryner 3/3

Sur Jules Renard et sur Vigny
Suite d'hier.
Il a été de son vivant, mis en musique par Maurice Ravel, été illustré par Pierre Bonnard, Henri de Toulouse-Lautrec et quelques autres, et son théâtre a été joué par Antoine, Marthe Brandès, Jeanne Chéreil, Suzanne Desprès (Mme Lugné-Poe), Firmin Gémier, Jeanne Granier, Lucien Guitry, Marthe Mellot,  Henry Meyer, Cécile Sorel, et autres Signoret. De son vivant! Et cet ex-Carolingien (Ernest Raynaud était son condisciple au lycée Charlemagne où Renard, externe libre, a suivi les cours de réthorique) a connu aussi bien Jean Jaurès que Sarah Bernhardt. Le nom de tous ses interprètes, et celui de Danièle Davyle (Mme de Saint-Hilaire), la première a avoir lu des textes du futur auteur du Plaisir de rompre, ne sont assurément pas tous passés à la postérité, mais tout de même, Antoine, Desprès, Gémier, Guitry ou Sorel, cela n'en constitue pas moins une belle carte de visite.
Mais Jules Renard était né pour être aigri et il semble dans la logique des choses que son Journal soit, en bien des passages, aussi grinçant que Mes poisons de Sainte-Beuve. À ce sujet, Maurice Toesca, qui après les biographies de Jean Paulhan, George Sand, Alphonse de Lamartine, Alfred de Musset, et Alfred de Vigny, a publié chez Albin Michel un Jules Renard en 1977, écrit justement: "Dommage que Jules Renard n'ait pu prendre connaissance des Carnets de Sainte-Beuve! Il y aurait lu cette réflexion qui s'applique à tous les hommes de lettres de tous les temps: les littérateurs français font aujourd'hui avec leur esprit ce qu'autrefois les gentilshommes français faisaient avec dans les duels avec leur épée: il s'entre-tuent". Cependant ajoute Toesca, "Jules Renard n'est pas Sainte-Beuve, et c'est à son éloge: il ne blesse pas pour le plaisir de blesser; il n'y a pas de parti une fois pour toutes pris, comme Sainte-Beuve à l'endroit de Vigny par exemple". Que Maurice Toesca ne tienne pas Sainte-Beuve en très haute estime, nous le savions depuis quelques lustres déjà. Il a raison lorsqu'il déplore que Renard n'ait pas pu prendre connaissance des Poissons beuviens. Il s'en serait assurément délectés, en disciple qui s'ignorait. Je suis moins sûr que Toesca que son modèle ne blesse jamais pour le plaisir de blesser. Quitte à s'en repentir. Sainte-Beuve il est vrai ne se repentait pas du fiel qu'il dispensait[...]
(L'article se poursuit sur Vigny.)
(Han Ryner, Les Messages de Psychodore, n°53, novembre 1992)

vendredi 15 février 2013

Journal du 15 février 1906

On ne souffrirait pas d'être incompris si l'homme médiocre ne vous disait jamais: "Nous autres, vous et moi, les hommes comme nous..."

Jules Renard vu par Han Ryner 2/3

  Sur Jules Renard et sur Vigny
Suite d'hier.
Il n'est pas question de prendre pour argent comptant tout ce que peux écrire Jules Renard. Ni ce que peut, dans l'occasion, écrire Jules Renard révisionniste de Jules Renard, si l'on peut dire.  Mais que de souffrance se cache derrière l'aigreur ou le dépit. "Un auteur dont le livre vient de paraître est un pauvre con stupide" écrit-il le 19 novembre 1908 à Edmond Sée. Et, au même, le 4 février 1909, il donnera ce conseil: "N'oubliez pas que vous ne serez jugé que par des cons." Il y a une sacrée part de vérité tant dans l'observation que dans le conseil, si dans un cas comme dans l'autre il faut se garder de généraliser. Un des plus méchants coup de patte de Renard est celui-ci, du 7 juin 1902: "Il me ferait regretter de ne pas avoir été antisémite." Il, c'est son ex-ami Marcel Schwob. Lorsque Schwob mourra, en 1905, il n'assistera à ses obsèques que pour rencontrer des confrères. C'est poussé par le même conformisme étudié qu’en 1909 il se rendra à l'enterrement de Catulle Mendès, autre juif qu'en fait Jules Renard a toujours méprisé. À la mort de Mendès, écrasé par un train, il ne lui ménage aucune petite méchanceté. "Pourquoi sa mort m'attristerait-elle, confesse-t-il sans détour: je lui fus toujours indifférent."
Humaniste à l'ironie grinçante, voire perfide, Jules Renard ne voyait dans les foules qui iront au cinématographe qu'un public vulgaire. C'était bien vu, cette fois encore.
Mais avec son caractère tout renardien, trop de ses bons et grands amis (Tristan Bernard, Léon Blum, Alfred Capus, Léon Daudet, Lucien Descaves, Marguerite Moreno, Maurice Pottecher, Rachilde, Ernest Raynaud, Marcel Schwob...) se trouveront un jour ou l'autre reléguée à une place beaucoup moins intime. Car le rouquin est tout susceptibilité. Aux noms que nous venons de citer, il faudrait en ajouter quelques-uns, ainsi que ceux de Romain Coolus, Louis Dumur, Léo d'Orfer, et aussi les Rostand, Edmond, Rosemonde et Maurice. Le nivernais Jules Renard a bel et bien appartenu au Tout Paris littéraire.
(Han Ryner, Les Messages de Psychodore, n°53, novembre 1992)

jeudi 14 février 2013

Journal du 14 février 1900

Près d'une femme, j'éprouve tout de suite ce plaisir un peu mélancolique qu'on a sur un pont à regarder l'eau couler.

Jules Renard vu par Han Ryner 1/3

 Sur Jules Renard et sur Vigny
Le premier livre important de Jules Renard, le premier de ceux dont les titres sont venus jusqu'à nous, est assurément l'Écornifleur. Il sera suivi du Vigneron dans sa vigne, des Histoires naturelles, du Plaisir de rompre, du Pain de ménage et, surtout, bien évidemment, de Poil de Carotte, publié respectivement en 1894, 1896, 1898, 1900 et 1894 pour Poil de Carotte roman et 1900 pour Poil de Carotte comédie. Mais c'est en février 1892 que paraît chez Ollendorf l'Écornifleur. Un centenaire donc. Et apparaissent pratiquement en même temps l'Écornifleur et le second enfant de Jules et de Marie Renard, la petite Julie Marie, dite Baïe, née le 22 mars 1892, et qui décèdera en 1945.
Tout le monde connait Jules Renard, et on peut avancer sans risque de se tromper que nul ne le connait vraiment tant sa personnalité est, plus que tout autre peut-être, bicéphale.
Tout d'abord, et je crois qu'on l'oublie trop souvent, Renard est mort jeune. À 46 ans (né le 22 février 1864, décédé le 22 mai 1910). comme Claude Tillier, 1801-1844, et on a souvent amorcé un parallèle Tillier-Renard. Comme Paul-Louis Courier, 1772-1825, ou encore Paul Verlaine, 1844-1896.
Très brièvement, les grandes dates de la vie de Renard sont le 28 avril 1888, son mariage avec Marie, dite Marinette, Morneau, 1871-1938; le 2 février 1889, naissance de leur fils Pierre-François, dit Fantec, qui décèdera en 1934; 22 mars 1892, naissance de Baie; 19 juin 1897, suicide de son père François Renard; 5 août 1909, noyade (suicide?) de sa mère, née Anne-Marie Colin (Mme Lepic).
On connaît bien les mots, parfois très durs, acides, de cet aigri et de ce déçu, et parfois, si tendrement bucoliques. Il définissait le papillon, ce petit châle pour les fleurs, "ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur".  Voici quelques-uns de ses aphorismes, quelques-unes de ses sublimes notations parmi tant d'autres: Il faut admirer une cérémonie religieuse si elle est belle, et non pas l'aimer ou la détester parce qu'elle est religieuse" (25 septembre 1908). "On ne s'habitue pas vite à la mort des autres. Comme ce sera long, quand il faudra nous habituer à la nôtre!" À propos de son Journal: "Des amis s'y reconnaîtront. Je pense avoir dit assez de mal d'eux pour les flatter". Et, qui n'est pas sans parenté avec la fraternelle poésie d’un Marcel Martinet ou d'une Sabine Sicaud: " Je sais déjà regarder les nuages qui passent. Je sais rester sur place. Et je sais presque me taire". Savoir regarder les nuages qui passent et savoir presque se taire, c'est déjà beaucoup plus que le commencement de la sagesse, mais cette sagesse là, combien de paysans l'ont acquise à leur naissance?
Suite demain.
(Han Ryner, Les Messages de Psychodore, n°53, novembre 1992)

mercredi 13 février 2013

Journal du 13 février 1895

Hier, Rod me racontait la lamentable odyssée de Duchosal à Paris. Comment ce cul-de-jatte manchot a-t-il pu y arriver et y circuler? En se trainant. Il est allé voir Rod à Auteuil, et, dit Rod, il n'a fait que tousser, cracher et se moucher dans sa serviette. Et, comme un autre sourd était venu de Genève à Paris (ils ont tous la manie de quitter Genève, dit le Genevois Rod), Duchosal a eu un mot sublime, dit encore Rod: "Comment peut-il venir à Paris, lui, infirme!" Et le pauvre Duchosal comptait sur des arcs de triomphe, lançait de tous côtés des télégrammes: "Je suis à Paris. Je vous attends à l'hôtel de..." Mais ses amis le fuyaient comme la peste.

mardi 12 février 2013

Journal du 12 février 1895

Il y a les bons écrivains, et les grands. Soyons les bons.

Jules Renard vu par Tristan Bernard

C'est toujours un peu malgré lui que l'ironiste Jules Renard, dont on vient de jouer aux Escholiers un petit chef d-œuvre, le Plaisir de rompre, figure dans la collection des auteurs gais. Il rit de beaucoup de choses. Mais il vous dira que ce n'est pas sa faute, et que c'est les choses qui ont commencé. Il ne rit pas en tout cas pour faire rire, il rit parce qu'il voit des choses ridicules, autour de lui et en lui. Les petites vanités, les petites hypocrisies qu'il trouve en lui-même, il s'en châtie impitoyablement. Il se prend par le bout de l'oreille et s'attire au grand jour pour se donner la correction devant tout le monde. Voyez cet homme terrible, au front menaçant, aux yeux aigus, c'est le père Fouettard de lui-même.
Et l'étant de lui-même, il l'est de l'humanité. Nos petits neveux, qui n'auront pas de peine à le retrouver parmi la foule de leurs grands-oncles, lui seront reconnaissants d'avoir mis de côté pour eux, dans la cassette de sa phrase durable, toutes les trouvailles précieuses qu'il a faites dans son âme.
(Tristan Bernard, Le Rire, n° 25, 27 mars 1897.)

lundi 11 février 2013

Journal du 11 février 1890

Chez Rachilde. M. Langlois le peintre, le fils d'Albert Wolf peut-être, si Albert Wolf a des fils. longueur de pieds, longueur de phrases, longueur de corps. Un pantalon un peu court, par exemple...
Charles Morice parle la tête dans son pantalon. Des guêtres sur ses souliers. Oh! ces guêtres! elles se soulèvent comme des visières, des visières à plis, de pauvres visières. un faux col sale, un gilet qui bâille par toutes ses boutonnières. Des cheveux pas coupés, une barbe rare, un monsieur mielleux et mauvais.
Il doit s'être brouillé avec Trézenick. Ils ne se sont pas vus depuis dix ans pour des raisons "inférieures à tous deux". Trouve Rod bête, Goncourt affamé de gloire et de considération, Méténier au-dessous de rien et les idées des autres mort-nées. A promis au Mercure des "Bouquets à Chloris" qui ne sont pas déjetés.

Les Philippe

Et Joseph connait maintenant le plaisir d'avoir de l'argent à soi, dans sa poche. Il ne dépense jamais rien. Un sou de gagné, c'est un sou économisé. Il connait le plaisir d'avoir un chien docile qui ramène les moutons lambins et les serre de près, sans les mordre, et le plaisir d'avoir un fouet. Il fouaille de bons coups qui cassent les oreilles et retentissent par le village. La mèche usée, il s'assied au bord du fossé, quitte un sabot, une chaussette, noue le fouet à son orteil, et, la jambe raide, il se tresse, les doigts fréquemment mouillés, une longue mèche de chanvre neuf.

dimanche 10 février 2013

Journal du 10 février 1896

Salomé, d'Oscar Wilde. C'est impressionnant, mais il faudrait supprimer encore, ça et là, quelques têtes d'Ionakan. Il y en a trop, il y en a trop! Et que de cris inutilement répétés, et que de richesses en toc!

Les Philippe

"Qu'avez-vous mangé hier, madame Philippe?
- Notre reste reste de lapin maigre.
- Pourquoi maigre?
- Parce que nous ne l'engraissons pas avant de le tuer. Il reviendrait trop cher. Depuis trois jours, nous vivons dessus à six personnes. Je l'avais coupé en dix-huit morceaux. J'en ai fait cuire six dimanche avec des oignons, six lundi avec des carottes et six hier avec des pommes de terre. 
- Et plus on allait, meilleur c'était, dit Philippe.
- Mais vous en aviez chacun gros comme une noix?
- Regardez ce goulu-là, dit Mme Philippe; il s'en donnait mal au ventre."
Philippe rit selon son habitude. C'est-à-dire qu'il ouvre la bouche comme s'il riait et que sa peau cuite fait des plis serrés autour de ses yeux. On n'est pas sûr qu'il rit. Les yeux clairs tranquillisent par leur gaieté puérile, mais la bouche, qui baille inutilement, trouble un peu. . Et quand cette bouche se ferme, la figure de Philippe cesse de vivre. Elle ressemble à une motte de terre dont sa barbe serait l'herbe sèche.

samedi 9 février 2013

Journal du 9 février 1890

- Avez-vous déjà donné quelque chose aux éditeurs?
- Oui, mais ils me l'ont bien rendu!

Intermède

Les Guermantes n'étaient pas moins spéciaux au point de vue intellectuel qu'au point de vue physique.  Sauf le prince Gilbert (l'époux aux idées surannées de "Marie-Gilbert" et qui faisait asseoir sa femme à gauche quand ils se promenaient en voiture, parce qu'elle était de moins bon sang, pourtant royal, que lui, mais il était une exception et faisait, absent, l'objet des railleries de la famille et d'anecdotes toujours nouvelles), les Guermantes, tout en vivant dans le pur "gratin" de l'aristocratie, affectaient de ne faire aucun cas de la noblesse. Les théories de la duchesse  de Guermantes, laquelle à vrai dire à force d'être Guermantes devenait dans une certaine mesure quelque chose d'autre et de plus agréable, mettaient tellement  au-dessus de tout l'intelligence et étaient en politique si socialistes qu'on se demandait où dans son hôtel se cachait le génie chargé d'assurer la maintien de la vie aristocratique, et qui, toujours invisible, mais évidemment tapi tantôt dans l'antichambre, tantôt dans le salon, tantôt dans le cabinet de toilette, rappelait aux domestiques de cette femme qui ne croyait pas aux titres de lui dire "Madame la duchesse", à cette personne qui n'aimait que la lecture et n'avait point de respect humain, d'aller dîner chez sa belle-sœur quand sonnaient huit heures et de se décolleter pour cela.
(Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, Folio classique, p. 426.)

vendredi 8 février 2013

Journal du 8 février 1901

Guitry est un destructeur; mais il détruit ce qui l'encombre. Il a un mépris sans pitié pour ce qu'il appelle la boue.
Comme il doit débuter dans le Misanthrope, je lui demande:
-Et après?
- Après, je m'en irai. Sauf L'École des femmes, que je ne peux pas jouer, aucune pièce ne me tente.
Il a terriblement raison, pour un acteur! Que n'est-il grand seigneur, très riche!
- Sans doute, dit Brandès, on vous discutera dans le rôle du Misanthrope.
- Me discuter! s'écrie Guitry. Qu'est-ce que ça peut me faire qu'il y ait, ça et là, trois imbéciles qui se réunissent pour me discuter! Ça vous fait quelque chose, à vous, Renard, l'idée qu'on va vous discuter?
Disant ce mot, il a les lèvres, le nez, les yeux, crépitants de mépris. Il bouillonne de dédain.

Le déficit et la dette au temps de Jules Renard 2/2

Le déficit
Chez M. de Molinari
Suite d'hier.
- Vous avez dû voir que M. Mesureur (Président de la commission du budget à l'assemblée) propose 21 millions d'économies; je ne parle pas des 43 millions provenant de la suppression du budget des cultes.
- Oh! les économies de M. Mesureur! D'abord, supprimer le budget des cultes, c'est impossible; cela ne se fera pas; ensuite il s'agit de savoir si les 21 millions d'économies dont vous me parlez ne seront pas largement compensés par des ouvertures de crédits nouveaux. Vous savez que chaque député, lors de la discussion du budget, veut son morceau et l'obtient; c'est la curée aux millions et les millions se transforment rapidement en milliards. 
En somme, nos finances sont mauvaises parce que nos hommes d’État ne sont imbus d'aucun principe d'économies; ils bâclent des lois; ils établissent des impôts; cela à tort et à travers; résultat, un déficit inévitable.
[...] La chambre nouvelle devra faire sérieusement des économies, non pas grappiller des centaines de mille francs par-ci par-là, mais arracher des millions, beaucoup de millions à la voracité des gouvernants, sans cela...
- Sans cela?
M. de Molinari s'est tu. Il m'a regardé, se demandant s'il pouvait, devant moi, achever sa pensée.
- Sans cela?
- Eh bien, sans cela, je ne sais pas ce qui arrivera; la France est riche, elle a bon dos, mais un jour vient où le contribuable se révolte...Ah!
M. de Molinari s'est encore tu; je sens qu'il a sur les lèvres un mot redoutable; mais ce mot, M. de Molinari n'ose pas le prononcer; simplement, il dit:
-Augmenter notre dette, mais c'est augmenter chaque année le budget; cent millions de déficit, cela fait cent millions de dettes de plus; et il faut, en surcroit, payer les intérêts de ces cent millions; le budget futur s'en accroît; le déficit futur devient plus considérable; et d'année en année, le mal grandit; et nul ne s'en épouvante. Il faudrait cependant crier casse-cou, il faudrait éviter la débâcle.
M. de Molinari a prononcé ce mot de débâcle d'une voix très faible, comme s'il avait peur d'être entendu, comme s'il craignait de s'entendre lui-même.
- Il faut espérer qu'on réagira, qu'on réagira rapidement. Il le faut.
M. de Molinari s'est levé; je prends congé, et comme je vais franchir le seuil, j'entends la voix de mon interlocuteur qui murmure:
- Des économies... des économies...
(Fernand Hauser, L’Écho de Paris, 20 octobre 1901.)

jeudi 7 février 2013

Journal du 7 février 1897

La joie d'avoir travaillé est mauvaise: elle empêche de continuer.

Le déficit et la dette au temps de Jules Renard 1/2

Le déficit
Chez M. de Molinari
Quelles sont les causes profondes du déficit? De quelle façon pourrait-on enrayer l'augmentation perpétuelle de la dette nationale, cette augmentation qui, tout à coup, s'accentue? Telles sont les questions que nous avons posées à un homme bien détaché des querelles journalières de nos politiciens, à un homme qui s'occupe, non de tel ou tel ministre, non de telle ou telle opinion, mais uniquement de Politique, et j'entends ce mot dans son sens le plus large, le plus élevé.
M. de Molinari, membre correspondant de l'Institut de France, directeur du Journal des Économistes, a passé sa vie, à écrire des ouvrages sur le Commerce, sur l'agriculture, sur les Finances; c'est un de nos économistes les plus distingués; c'est aussi le doyen des économistes, puisqu'il est âgé de quatre-vingt-deux ans.
M. de Molinari m'a reçu dans son cabinet de travail. Il m'a parlé.
[...] Voulez-vous que je vous dise? On gaspille l'argent des contribuables et cela ne date pas d'hier; cette année, le déficit étant plus gros que de coutume, on s'étonne, on pousse les hauts cris, on ouvre des enquêtes; le mal  cependant, existait depuis longtemps; on ne s'en était pas aperçu; maintenant on songe à appeler les médecins; il est bien temps. Voici plusieurs années qu'on dilapide les deniers publics; voici plusieurs années que le pays est malade. Vous n'ignorez pas que depuis un quart de siècle notre dette s'est accrue de plusieurs milliards. On a fait des emprunts ouverts; on en a fait d'autres déguisés. On a accru la dette flottante, de telle sorte qu'il a fallu la consolider; c'est déplorable. Et, chaque année le budget des dépenses s'augmente, et le budget des recettes est loin de suivre une progression identique. Chaque jour on crée des dépenses nouvelles; ce chapitre des pensions est formidable; on augmente le nombre des fonctionnaires; comme si nous n'en avions déjà pas trop.
Et notez qu'on a des tendances au gouvernement, à centraliser tout, à tout monopoliser; voilà t-il pas qu'on parle sérieusement, dans les journaux spécialisés, de monopoliser les pétroles; songe-t-on que la création de ce nouveau monopole nécessitera la création de nouveaux fonctionnaires? Et je n'envisage  ici cette question des pétroles que sous un seul de ses angles défectueux; il y en a d'autres... Voilà, il faut revenir à une politique d'économie sérieuse et pratique. Des économies! Des économies! Voilà ce qu'il nous faut.
Suite demain.
(Fernand Hauser, L’Écho de Paris, 20 octobre 1901)

mercredi 6 février 2013

Journal du 6 février 1907

Il y a trois semaines que je l'ai félicité de sa décoration. Ce soir, il m'envoie un télégramme pour me remercier: il a dû apprendre que je suis critique quelque part.

Jules Renard et la pêche 3/3

Suite d'hier.
►  "Un pêcheur jette son épervier et ne prend rien. 
À chaque coup, on devine qu'il ne ramènera rien. Il fait trop de vent pour que les poissons se promènent dehors dans les champs".
►  "Il marchait sans bruit comme un poisson".
►  " Bywanck. J'ai remarqué, Renard, dans vos manuscrits le fréquent désir que vous avez de vous noyer.
- Je n'en suis encore qu'à la pêche à la ligne". 
►  " "De grands gars, des hommes viennent pêcher sur la jetée. Ils lancent des lignes de plus de cent mètres alourdies par un plomb, et quand ils ramènent un petit poisson de rien, ils sont tout pâles".
►  "Le Maître d’École de Chitry. Il y est depuis quinze ans, il aura sa  retraite dans six ans. Le plus bavard des pêcheurs. Il a une histoire pour chaque poisson. Il y en a qu'il traite d'imbécile". 
►  "Inventeur de la ligne parasol qui permet de se mettre à l'abri du soleil tout en prenant du poisson".
►  "On raconte devant Alphonse Allais que certains poissons vivent à de telles profondeurs que la lumière ne pénètre pas jusqu'à eux".
►  "Et même dit Allais, il leur pousse des visières vertes, un bâton à une nageoire et ils sont conduits par de petits chiens de mer".
►  "Le père Joseph pêcheur... Il a deux roulottes. Autrefois, il prenait par jour douze livres de poissons qu'il vendait à Corbigny. Il n'y en a plus. Coureurs, saltimbanques, ont tout détruits avec des lignes de fond, on ne devrait pas pêcher ainsi, c'est défendu".
►  "La Fontaine. Individuellement ses animaux sont vrais, mais les rapports sont faux. La carpe a bien l'air d'une commère avec son dos rond de vieille femme. Mais elle ne fait pas mille tours avec le brochet son compère. elle le fuit comme son ennemi mortel".
Hélas, pour finir,  un mot de tristesse et de regrets émouvants:
►  "J'ai supprimé brusquement les choses que j'aimais beaucoup, les vers, l'escrime, la pêche, la chasse, la nage. Quand supprimerai-je la prose, la littérature? quand la vie?
Jules Renard a écrit ces mots dans son Journal, en 1905. Il commence déjà une inexorable maladie qui l'emporta à 46 ans, le 22 mai 1910
(Docteur L. Tixier, Plaisirs de la pêche, n°12, septembre 1957)

mardi 5 février 2013

Journal du 5 février 1899

Bernard m'emmène aux Folies-Bergère. On voudrait être quelque chose dans la vie de toutes ces petites femmes, celles qui se promènent, toute leur beauté dehors, et celles qui s'agitent sur la scène.  Sur le cinématographe, des régiments défilent au chant de la Marseillaise; les chevaux frappent du pied dans les coulisses, et l'on voudrait être quelque chose dans cette armée.

Jules Renard et la pêche 2/3

Suite d'hier.
Les notes qui vont suivre sont plus brèves et marquées du soin admirablement concis et subtil de son auteur. Elles sont presque toutes extraites de son magnifique journal.
►  "Pêcheurs.
- Mon bouchon remue.
- Vous avez de la veine répond l'autre, glacial".
►  Le pêcheur manque plusieurs fois un poisson.
- Est-il bête?"
►  "Le poisson tire le bouchon au fond des ténèbres. La première fois qu'il sort de l'eau, il meurt".
►  "Je suis assis sur des pierres entassées au bord de l'Yonne. Je pêche au pont de Marigny... La rivière ne disait rien tout à l'heure ou plutôt je ne l'entendais pas. Maintenant que je l'écoute bien, elle ronronne comme un chat flatté".
►  - Premier Prix au Concours Général...
- Oh!
- ... de pêche à la ligne.
►" Oui, oui, je pêche; c'est-à-dire que volontiers je m'assieds en face des poissons et que nous nous attendons". Lettre à Descaves (correspondance inédite, Léon Guichard- Gallimard)
►  " Il lui semblait que le bouchon de sa ligne était un monde".
►  " La Rivière. Reliée par un fil à la vie des poissons que l'on ne voit pas".
►  "Quand il fait  une belle phrase, c'est un pêcheur qui vient de prendre un poisson".
►  " J'ai appris à des jeunes l'art de pêcher à la ligne, mais ils ne savent pas choisir leurs poissons".
►  "Ma cigale est la sauterelle et ma sauterelle n'est pas symbolique. Je la prends dans les prés, au bout d'un brin d'herbe. Je lui ôte ses grandes cuisses et je m'en sers pour pêcher à la ligne.
►  "Le travail, c'est parfois comme de pêcher dans une eau où il n'y aurait jamais de poisson".
►  "Attendez, j'ai jeté ma ligne en moi. le bouchon remue !"
►  "Le poissonDécidément il ne veut pas mordreIl ne sait peut-être pas que c'est aujourd'hui l’ouverture de la pêche.
Suite demain.
(Docteur L. Tixier, Plaisirs de la pêche, n°12, septembre 1957)

lundi 4 février 2013

Journal du 4 février 1891

Oui! Je leur parlais, aux étoiles, en un langage choisi, peut-être en vers, et, les bras croisés, j'attendais leur réponse.
Mais ce furent des chiens en cercle, de maigres chiens, qui me répondirent en hurlements monotones.

Jules Renard et la pêche 1/3

Notre grand littérateur, qui sut décrire si finement nos paysans, nos arbres et nos animaux nivernais, adorait la pêche à la ligne au bord de l'Yonne - la Lionne des Morvandiaux - qui traversait son pays de Chitry.
Ce sont les seuls moments du reste où, tout en emmagasinant des images neuves, il se reposait de son surmenage parisien.
Ses livres sont pleins de remarques délicieuses sur le charme de sa rivière. On se souvient de sa description classique du Chasseur d'Images: "Elle blanchit aux coudes et dort sous la carcasse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le ventre, comme si on jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe une pluie fine, la rivière a la chair de poule."
On se rappelle aussi l'histoire triste du goujon obstiné qui veut à toutes forces se faire prendre.
Il y a aussi dans les Histoires Naturelles la scène dramatique du pêcheur et du taureau, que quelques uns de nous ont vécu et que je résume:
Le pêcheur à la ligne volante marche d'un pas léger au bord de l'Yonne et fait sautiller sa mouche verte.  Les mouches vertes, il les attrape aux troncs des peupliers polis par le frottement du bétail. Il jette sa ligne d'un coup sec et la tire avec autorité. Il s'imagine que chaque place nouvelle est la meilleure et bientôt il la quitte, enjambe un échalier et de ce pré passe dans l'autre... Mais le taureau vient de se lever pesamment... le pêcheur l'observe obliquement...mieux vaut feindre une indifférence trompeuse et lentement le pêcheur à la ligne volante, continue à pêcher et posément il gagne l'échalier d'où il pourra d'un dernier effort de ses membres rompus bondir hors du pré saint et sauf!
À côté de ces petits chefs-d’œuvre connus, il existe, dans son journal surtout, une foule de petites remarques aiguës sur le comportement des pêcheurs et des poissons, aussi j'ai pensé que leur lecture pourrait intéresser mes confrères en Saint Pierre, tant on a de plaisir à admirer son style impeccable, son ironie aiguisée et son amour pour nos belles rivières.
Suite demain.
(Docteur L. Tixier, Plaisirs de la pêche, n°12, septembre 1957)

dimanche 3 février 2013

Journal du 3 février 1896

Lautrec est si petit, dit Mme T. Bernard, qu'il me donne le vertige.

En suivant l'ombre de Jules Renard 2/2

Suite d'hier.
Jules Renard est partout ici, comme dans un jeu de glaces qui se renvoie l'image. Mais mieux encore dans la "vieille maison". Des fragments du Journal  laissé par Jules Renard se plaignent. Ils datent du moment où l'auteur se sait condamné: "Vivre en s'amusant avec la mort. Peut-être ne reverrais-je pas la Vielle Maison. Étrange punition"... Il n'est est pas revenu. Il est mort à Paris, qui l'épouvantait encore.
J'ai parcouru la vieille maison, en retenant mes pas, en craignant de faire saigner les planches. Tout conserve une vie insolite. aux fenêtres ouvertes,  on voit des pigeons "les coudes au bord du ciel", on entend l'âne braire avec ce cri rouillé "pareil à la noria d'un puits". Tout reste marqué par cet oeil impitoyable et Chitry n'est plus libre: il vit comme Jules Renard a dit qu'il vivait. L'art impose à ses sujets des certitudes définitives.
La vieille maison appuie. Les matelas roulés sur les lits ont leur drame. Le porte-manteau de bois courbé conserve un vieux canotier jauni, celui de l'Écornifleur. Ai-je vu, sur la carpette usée, une traînée de gouttes grises de sérosités anciennes? Et ce fusil suspendu au mur, n'est-ce pas celui que graissait M. Lepic, cerné par une maladie incurable, d'une balle à la tête, il se libéra? Les meubles craquent. Des reflets insolites palpitent aux glaces moisies des armoires. Intimité trouble. Il vaut mieux sortir.
Savais-je que je me trouvais soudain dans ce silence intolérable? Avec, devant moi, le puits?
Elle est tombée en arrière. Des jupes à fleur d'eau, des remous,  comme quand on a noyé un animal. Pas de figure humaine.
Ainsi le Journal commente la mort de Mme Renard.
Dans ce puits. Ici même.
Le fils veut descendre dans le seau au bout de la chaine. Mais la chaîne est enroulée.
- Mes bottines sont ridiculement trop longues et plient au fond du seau.
Des ouvriers descendent par une échelle et ramènent le corps.
"Figure un peu effrayante qui sort du puits", note Renard.
Puis, plus tard:
"Accident impénétrable. Jeu lent de la lune sur le drap.  Il a fallu qu'elle tombe comme un bois mort. Pas une égratignure. Un dégoût. Mais un dégoût de quoi? Je ne saurais le dire."
Le soir tombe sur Chitry où les morts fidèles reviennent, tels que Renard les avait pressentis au hasard des ronces qui retenaient son bras, de la main nocturne qui battait à la persienne. Ils reviennent comme le petit Joseph, le dernier né de Ragotte, valet de chambre à Paris, qui se promenait la nuit, parmi les choux, sous la forme d'une lanterne; comme la vieille Honorine qui mourut sous sa brouette et qui continue le soir, dans les ornières de pluie, à pousser sa charge de lessive.
Et l'on n'ose plus marcher sur l'herbe, et l'on n'ose plus interroger la nuit noire où Poil de Carotte tremblait d'aller fermer, au fond du jardin, la porte des poules...
"Si je recommençais ma vie, a dit Jules Renard, je la voudrais tel quel!" J'ouvrirais seulement un peu plus l’œil..."
(Geneviève Dunais, Radio national, n°66, 23 août 1942)

samedi 2 février 2013

Journal du 2 février 1902

Tâchons d'être pleins d’indulgence pour l'habileté des autres, et n'ayons pas l'air de nous vanter de notre maladresse.

En suivant l'ombre de Jules Renard 1/2

"On me donne maintenant cinq sous de la ligne. C'est beaucoup. Mais j'écris des choses concentrées qui ne font pas beaucoup de lignes. D'autre part, c'est cette concision qui fait mon succès. comment sortir de là?"
Cher Jules Renard, le talent ne lui apportait point la richesse et la petite maison de Chitry en témoignait. Ce jour-là, après la mort de Marinette, sa femme, après la mort de Fantec, son fils, un certain jour de l'été 1939, on dispersait les livres de sa bibliothèque.
Ils étaient là, rassemblés comme dans ses livres, les contemporains de Jules Renard, ses modèles, ses héros simples, ses amis campagnards. Ils étaient venus de Chitry, de Corbigny, de Chaumot et de Clamecy, la grande ville.  Mais ils n'osaient point acheter des livres pour la crainte d'entendre leur voix et aussi parce qu'ils ne savaient pas bien lire. Et puis, on disait que l'auteur avait écrit des choses mauvaises. Et leurs enfants ignoraient ce Monsieur qui, disait-on, avait eu du succès à Paris. Et ils restaient là, leurs grosses mains posées devant eux, comme des outils. Ah! quand on vendrait les matelas...
Voilà le père Mignot, lui a connu le Jules. Ils allaient ensemble à l'école.
"Je me le rappelle, dit-il, émerveillé de sa mémoire. Avec sa tignasse rouge, on le voyait par-dessus les haies. Il avait son caractère. Le maire l'appelait Tête de bique. Un jour, il a boudé devant l'inspecteur, pensez..."
- Et sa mère, Mme Lepic...
- On dit qu'il l'appelait comme ça, pauvre Mme Renard. C'était une bien brave dame. Elle nous donnait pour goûter des tartines de pain et de fromages. Ma mère allait en journée chez elle. Elle était couturière et raccommodait Mlle Ernestine, une bien honnête jeune fille.  Mme Renard, elle, piquait peut-être un peu ma mère, avec les épingles, et puis, l'heure, qu'elle ramenait toujours. Mais elle payait pas plus mal que d'autres...
M. Boulé, instituteur retraité à Corbigny a connu Jules Renard, surtout quand il était maire. 
- Nous allions faire des conférences ensemble. Après, on lui a élevé un monument. Mais des gens ont jeté des seaux d'immondice le jour de l’inauguration sur la statue de Poil de Carotte, posée par suzanne Desprès. 
"Il n'y avait  aucun ouvrage de Jules Renard à la bibliothèque municipale de Chitry. Je les ai fait venir et aujourd'hui tout le monde - ceux qui savent lire, naturellement - peut lire les œuvres de notre premier  Chitryen." De l'autre côté de la rivière, a flanc de colline, M. Boulé me désigne la Gloriette, la villa que loua Jules Renard, tout près de ses parents. 
- Le fils de Ragotte habite encore - comme domestique s'entend - la Gloriette. C'est un nommé Chalumeau.
Suite demain. 
(Geneviève Dunais, Radio national, n°66, 23 août 1942)

vendredi 1 février 2013

Journal du 1er février 1909

Augustine, frileuse, fait les chambres, fenêtres fermées, et secoue son torchon au-dessus du tapis.

Jules Renard et la Ligue des droits de l'homme.

Les entrefilets reproduits ci-dessous, publiés dans Le Temps du 18 janvier 1905, s'inscrivent dans le contexte de "l'Affaire des fiches" : Désireux de favoriser l'avancement des officiers républicains anticléricaux, le ministre de la Guerre, le général Louis André, lance une vaste enquête interne sur les opinions religieuses des gradés : vont-ils à la messe? Ont-ils envoyé leurs enfants dans des écoles catholiques?... Près de vingt mille fiches sont établies par les francs-maçons de la loge du Grand Orient de France, fer de lance de la lutte contre l'Église et confiées au bureau des fiches pour vérification. La campagne des fiches a pour effet de bloquer l'avancement de certains officiers, compétents mais jugés trop proches de l'Église.
Le révélation de ce scandale va occasionner la démission du général André. 
T.J.
-----------------
M. A. Alcaïs, pasteur de l’Église réformée à Nevers, adresse au président de la section de Nevers de la Ligue des droits de l'homme sa démission par la lettres suivante:
Monsieur le Président,
J'ai le regret de vous envoyer ma démission de membre de la section de la ligue des droits de l'homme. 
Dès les premiers jours de sa fondation, j'étais entré joyeusement dans les rangs de la ligue pour la défense du droit, en butte alors aux attaques dont vous vous souvenez, par des moyens obscurs que vous connaissez.
Aujourd'hui, les mêmes motifs qui m'y avaient fait entrer me font un devoir d'en sortir. Car la ligue ne saurait, à mes yeux, sans choir lamentablement de son haut idéal, trahir son programme, faillir à toutes ses raisons d'exister, se désolidariser, fût-ce tacitement, avec des procédés qui me semblent jurer avec son œuvre de lumière et de justice et qui ont porté gravement atteinte aux plus sacrés des droits, aux droits de l'homme, dans la personne des citoyens français. 
Veuillez agréer, etc. Signé A. Alcaïs
Le président de la section de Nevers est M. Guéneou, auteur de fiches récemment publiées.

Cet entrefilet est immédiatement suivi de cet autre. On y voit que l' anticlérical Jules Renard, chantre de la bien-pensance républicaine, ne s' embarrasse pas des mêmes scrupules:

Dans sa réunion d'hier, le comité central de la Ligue des droits de l'homme a désigné MM. Armand Dayot, vice-président des "Bleus de Bretagne", et Jules Renard, homme de lettres, pour remplacer MM. Paul Guleysse et Émile Bourgeois démissionnaire, en raison du refus du comité central de réprouver l’œuvre de délation.
(Le Temps, 18 janvier 1905, p. 2)