vendredi 2 novembre 2012

Jules Renard vu par René Benjamin 9/10

Suite d'hier.
Mesdames, messieurs, il y a quelque chose de très simple dans le génie qui ne se trouve pas chez ces grands hommes de lettres. Ce n'est pas seulement la perfection, le génie, ce n'est pas l'art de la suprême habileté, parce que l'art de la suprême habileté...allons, je vais peut-être vous sembler d'un étrange orgueil, mais je me redis toujours en lisant Renard et en lisant Becque: "Mon ami, si toi ou tes contemporains vous aviez, un jour, une heureuse digestion, un esprit particulièrement bien équilibré, si vous atteigniez à une observation suffisamment parfaite et bien tenue, en même temps qu'à une suffisante maîtrise, qui sait si l'un de vous ne réaliserait pas très bien encore une fois des œuvres à peu près comme celles-là?" 
Oui, je sors d'une représentation des Corbeaux, ou de la Parisienne, ou du Pain de ménage, presque avec de la vanité pour tel ou tel de mes amis, car je pense que c'est parfaitement renouvelable. Tandis que, lorsque je suis devant le génie, j'ai non seulement de l'admiration mais de la stupeur: Je vois une chose qui, d'abord, est unique et qui, ensuite, n'est pas explicable, Becque et Renard, je sais très bien comment c'est fait, je les démonte, tandis que Molière, le Molière du Misanthrope - et encore plus du Bourgeois Gentilhomme: étonnante réussite heureuse et spontanée - je ne comprends plus. Je vois un homme qui s'abandonne avec générosité à sa merveilleuse nature, mais je ne m'explique rien. De même, quand je suis devant l'étourdissant Mariage de Figaro, où il y a d'avance le souffle révolutionnaire.
Je me résumerai en un mot qui fera bien comprendre ma pensée, du moins, je l'espère. Quand on sort d’œuvres comme celles de Becque ou de Renard, on a un contentement d'hommes;  on se dit, ma foi, que l'esprit a goûté des plénitudes de compréhension; et on croit au talent prodigieux des humains. Mais quand on sort d'une belle représentation de Molière, l'esprit satisfait et le coeur ému, quand on a vu le mystère qu'est le génie, messieurs, on croit en Dieu!
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926.)

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