mardi 30 octobre 2012

Jules Renard vu par René Benjamin 6/10

Suite d'hier.
Comparez, s'il vous plaît, un instant , ces pièces délicieuses entre un homme et une femme, à ce que l'adorable Musset nous a légué! Retournez à Un Caprice, ce soir. Ah! Je me doute bien de ce qu'un Jules Renard devait penser d'Un Caprice! Il devait dire: "M. de Chavigny et Mme de Lérys, des nobles, des heureux..., des poseurs!" Mais je suis sûr qu'il pensait qu'un cheval de sang était un poseur! Il aimait mieux, sûrement, un bon percheron entre les brancards d'un tombereau, car alors là, lui, Jules Renard, se sentait un peu supérieur, il pouvait le blaguer, n'est-ce pas...en faisant une "histoire naturelle"! Donc allez voir comment M. de Chavigny parle à Mme de Lérys; en effet, c'est peut-être un peu mondain et Jules Renard, évidemment, a fait le sien plus prosaïque, exprès, parce qu'il s'est dit: "Moi, j'ai les pieds en terre, moi, je suis de la bonne province, moi, je n'ai pas un salon, je ne suis pas un parisien (on le voit avec son front têtu) moi, je ne suis pas un malin!"  Et il a l'air d'avoir un avantage de sincérité sur le charmant Musset.
Seulement, tout à coup, au milieu du papillotement mondain et printanier de ce grand poète, tout à coup, comme une flèche, il y a l'éclat du coeur. Tout à coup, dans l'âme du spectateur il y a l'éveil de la douleur humaine. Tout à coup, sur la scène, il y a Mme de Chavigny aux pieds de son mari, et elle le supplie. Ah: là, nous sommes revenus à la vie, telle que nous la côtoyons tous les jours: celle qui fait souffrir le coeur des hommes.
Eh bien! c'est là où je voulais en arriver - en analysant le Plaisir de rompre et le Pain de ménage, pour... n'y plus revenir, pour les classer, pour atteindre, enfin, à ce qu'il y a de mieux - cette souffrance sans amertume, cette souffrance tout court, Jules Renard, une fois dans sa vie l'a eue; et alors, une fois dans sa vie, il a été grand: c'est quand il a écrit Poil de Carotte. Avec cette pièce-là, nous nous dégageons pendant une grande scène au moins, de la funeste amertume. Et, - cas bien curieux, - s'il eut jamais une occasion d'être amer ce fut là, puisqu'il traitait précisément le sujet d'où était née l'amertume même de sa vie: son enfance!
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926)

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