jeudi 25 octobre 2012

Jules Renard vu par René Benjamin 1/10

Henry Becque et Jules Renard ou la comédie vingt siècles après J.-C.
Conférence de M. René Benjamin (extrait)
Jules Renard venant tout de suite après Becque a été fort impressionné par lui, il n'y a aucun doute. Il avait un autre tempérament, mais il avait aussi le même vice, qui était d'être homme de lettres d'abord et avant tout. Bien mieux, il voulait l'être et, de ce fait, il l'a été plus magnifiquement encore que Becque; il l'a été au point de ne vivre que par rapport à la littérature, de ne jamais s'abandonner, de n'avoir en vue que le livre à faire, de le préparer toujours, de ne cesser de prendre des notes. Il notait tout ce qu'on disait autour de lui. C'était le notateur type. Il a écrit avec amertume, un jour de tristesse:
"Au fond, je n'aurai été qu'un croque-notes littéraire."
Nous allons voir tout à l'heure qu'il a été mieux que cela, mais, enfin, c'est lui qui s'est jugé. Et le fait est qu'il notait d’une façon presque puérile.
Je ne sais si,  dans notre vie, hélas, trop pressée, vous avez eu le temps de lire des articles de M. de Pawlowski. Cet homme est pour moi une joie des plus sûres. Remarquez que je ne le connais pas. Mes paroles ne sont pas au service de l'amitié. Je n'ai pas à l'aduler.  Or, il a publié récemment un article dans le journal Les Annales, un article sur Jules Renard, qui est un chef d’œuvre. Et il y raconte que Jules Renard, un jour, étant à la campagne avec Lucien Guitry, voit s"envoler devant lui d'un sillon des papillons blancs.
Lucien Guitry, qui ne manquait pas d'à-propos, compare les papillons qui s'envolent à de petits morceaux d'une lettre d'amour qui partirait dans le ciel. Renard le regarde de son œil de côté... (Vous connaissez la tête de Renard, ce grand front têtu, cet œil rond de gallinacé) il le regarde et dit, rongé tout de suite par l'envie: "Quel malheur que je n'aie pas trouvé ça!" Il passe une fort mauvaise journée. La campagne n'a plus pour lui ni odeur, ni attrait. Et le soir, brusquement, au dîner, n'en pouvant plus, il dit à Guitry: "Est-ce que vous me le donneriez?"
Lucien Guitry qui ne sait plus du tout de quoi il s'agit, demande des explications. Alors Renard fait des aveux, Renard est humble:
-J'en aurai besoin pour...
-Mais prenez, mon cher, prenez, dit Lucien Guitry, en riant.
Suite Demain
(Conférencia, journal de l'université des annales, n°10, 1er mai 1926.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

En publiant un commentaire sur JulesRenard.fr, vous vous engagez à rester courtois. Tout le monde peut commenter (Les commentaires sont publiés après modération).