mardi 13 novembre 2012

Jules Renard vu par Ernest La Jeunesse

Un oeil qui bouge à peine, qui ne se précipite pas sur les êtres et les objets, mais qui les attire à lui, lentement, et qui, comme l’œil d'un aveugle d'hier, nie la distance et le relief et fait des choses  ce qu'il veut, un oeil glacé, pénible, à peine ouvert et pas assez ouvert: oeil de crapaud, oeil de vautour. 
Des oreilles qui se dressent, pointues, et qui s'écartent des oreilles insidieuses, pointilleuses comme une balance de précision, qui ne négligent pas les lapsus et les intentions: oreilles de tyran que Denys oublia dans son mur et que La Fontaine cacha dans les oreilles de lièvre.
Quelque chose de glacé et de morne, une bouche qui abrite ses coins sous des poils qui remuent comme des moustaches de cochon d'Inde ou de sauterelle et, tout à coup, une ombre qui court sur les joues et s'y joue comme du soleil sur une feuille de vigne: c'est de la poésie qui vient;  une ligne qui se brise sur le front comme une ligne dans l'eau, c'est une pensée qui marche; un geste, et c'est du style; une paupière qui se ferme, et c'est de la bonté.
(Ernest La Jeunesse, cité par Léon Guichard, Jules Renard, La Bibliothèque idéale, Gallimard, 1961.)

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