lundi 29 octobre 2012

Jules Renard vu par René Benjamin 5/10

Suite d'hier.
Puis, Messieurs, en 1914, la guerre est venue, et je vous jure qu'il m'a suffit, le 8 août, de voir l'Allemand entrer dans la Lorraine et y brûler systématiquement, délibérément les villages, avant même d'avoir tiré un coup de fusil, pour jeter par-dessus moi, comme un sac de soldat trop lourd, toute la littérature de Renard, de Becque et de tous ceux qui avant tout aimaient la forme et les attitudes.
Je dis: "La littérature de Becque, la littérature de Renard..." Et je sens bien que je suis injuste. Je sens bien que s'ils étaient encore vivants ils souffriraient de cette violence comme ils n'ont cessé de souffrir toute leur vie de ce qu'ils entendaient...ou de ce qu'ils pressentaient, et je tiens loyalement à me rattraper sur un point qui me semble aussi indiscutable que les autres.
Quand Jules Renard a fait, messieurs, un acte comme  Le Plaisir de rompre, il n'a écrit qu'une chose amère et légère où un homme et une femme, en face l'un de l'autre, se regardent, se guettent et vont se séparer parce qu'ils se marient chacun de leur côté, essayant, avec un égoïsme forcené, d'avoir l'un sur l'autre un dernier avantage. On se juge, et c’est à qui sera le plus spirituel. Acte charmant si on ne cherche pas plus loin, et ma foi, demi-heure délicieuse à passer. Mais ce n'est, encore une fois, qu’œuvre d'homme de lettres et d'homme de lettres amer qui se dit:
- Je vais être profond. Pour être profond, il faut que j'étonne. Pour étonner, il faut que je détonne. Pour détonner, il faut bien que je soit un peu cynique.
Toujours la même histoire! Il l'a été aussi dans Le Pain de ménage, qui semble être d'une qualité supérieure, mais qui le semble seulement. C'est bien entendu une très jolie chose. Mais..."la jolie chose" ne suffit pas aux gens de bien, complètement bien. Ecoutez-moi ces deux êtres, encore un homme et une femme, en présence. Marthe est venue causer avec son ami Pierre, un soir, à la campagne, tandis que son mari dormait, revenant de la chasse. Et lui, de son côté, il a laissé sa femme avec les enfants; elle les veille. Ils parlent donc entre eux. On sent s'établir cette sentimentalité si facile entre une jolie femme et un homme d'esprit.
Suit un court extrait de la pièce.
Toujours la méfiance de l'intelligence! Homme de lettres! Homme de lettres!
Suite demain.
(René Benjamin, Conférencia, n°10, 1er mai 1926)

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