samedi 13 septembre 2014

Journal du 13 septembre 1895

M. Rigal est encore venu me voir ce matin, comme une leçon. Il a une chaîne de montre en or, une cravate blanche, une chemise moins blanche, et des accrocs à ses manches, à son pantalon d'un noir poli, poli. Il ne veut pas d'une situation qui l'humilierait aux yeux de ses anciens administrés, mais il leur tend volontiers la main. Il parle d'organiser une loterie à vingt francs le billet. A deux cents billets, il trouverait quatre mille francs, avec quoi il recommencerait sa vie. Dans une heure de conversation, il trouve quatre ou cinq idées qui le tirerait d'affaire.
- Qu'est-ce que vous en pensez, Renard? Il vaudrait mieux faire cela, peut-être?
Arrive l'instant où ses yeux s’emplissent d'eau. C'est une habitude qu'il a prise. Il réussit très bien.
Et il est toujours gras, de cette graisse des petits restaurants où l'on mange beaucoup de pain. Il a gardé son bon appétit  et ses petites dents d'Auvergnat rongeur; et il a une poignée de main en chair froide.
La misère ne le corrige pas. On voit qu'il se fait à mendier. Il se contente de traiter le siècle de "positif". Ses mains courent à toutes ses poches, disparaissent, ressortent, vont et viennent pour tirer des lettres: "Tenez, lisez ça!, " des lettres dédoublées pour que ça pèse moins, et sales. On reste les yeux dessus le temps nécessaire pour faire croire qu'on les lit. Et tout d'un coup:
- Si je retournais à Nevers fonder une nouvelle maison?
Je le regarde. Et sa grosse tête, bouffie, chauve et cuivrée, me fait l'effet d'une cloche dont le battant, soudain, devient fou.
Et, tout le temps, la peur du "tapage". mais ça ne tombe pas.

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