mercredi 13 mars 2013

Jules Renard vu par Maurice pottecher 6/7

Suite d'hier.
L'esprit n'est pas seulement le masque du coeur pour les cœurs qui, tout ensemble se connaissent trop sensibles et répugnent à étioler leurs sentiments; il est aussi une défense contre les changements et les contradictions de leur propre sensibilité, toujours inquiète en même temps qu'il la défend contre l'indiscrétion et la moquerie d'autrui. Enfin, un bon mot soulage d'une mauvaise pensée: on ne peut guère haïr l'adversaire qui vous a fourni l'occasion d'un trait réussi.
Cet ami, si sûr pour ceux dont la fidélité lui était certaine, parut parfois sévère pour ses amis; il y était en partie autorisé par la sévérité qu'il montrait pour soi-même. Certaines boutades à l'égard de camarades qu'il estimait, lui furent soufflées par une révolte de sa probité inflexible, qu'un renseignement de mauvaise source et trop vite accueilli alarma, ou par un démon ombrageux qui abusait parfois de sa nervosité. Mais il savait reconnaître ses erreurs et réparer ses injustices. Les déceptions que l'amitié lui donna produisirent en lui plus de tristesse que de rancune. Et si l'on découvre quelque malice dans ses épigrammes, quelque partialité dans ses colères, j'atteste qu'on n'y saurait reprocher nulle méchanceté.
Les discours sont finis, la musique s'éloigne, la foule paysanne qui a, en silence, assisté à ce spectacle, s'en va au bal ou au cabaret  continuer ses plaisirs. Qu'est-ce que ces "frères farouches" ont retenu de la cérémonie qu'ils contemplaient avec des faces lentes et des yeux écarquillés? Qu'ont-ils compris à cette glorification d'un des leurs? Peu importe. Et peu importe que tout ceci finisse par des chants d'ivrogne ce soir, le long de la petite rue où des chevaux de bois tournent entre des lanternes vénitiennes. La gloire, cela? Eh oui: un petit tas d'or, pour quelques riches, qui s'éparpille en billion entre les grosses mains populaires. "Un auteur est glorieux me disait-il lui-même,non quand on lit ses œuvres, mais quand on reconnaît son nom". Le nom de Jules Renard a passé, des lèvres de quelques artistes qui le chuchotaient jadis, sur des lèvres officielles qui l'ont consacré; et le voilà entré dans les oreilles de la foule, qui le répète comme un nom familier.
Suite demain.
(Maurice Pottecher, Les Cahiers d'aujourd'hui, n°7, octobre 1913.)

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