lundi 11 mars 2013

Jules Renard vu par Maurice Pottecher 4/7

Suite d'hier.
Je me souviens de lui comme d'un compagnon avec qui l'on n'eut jamais de préoccupation basse ni de pensée douteuse. Son originalité ne me paraissait pas moins grande et d'un rare prix, quand je considérais en lui, un talent entièrement personnel et reconnu aussitôt comme classique dans l'anarchie de la littérature contemporaine, et un caractère d'une probité assez ferme pour imposer aux plus défaillants le respect de la probité.
Cette appréhension terrible en face de l’œuvre à entreprendre, ce recul de l'idée devant la plume, qui le tenaient parfois plusieurs jours, hésitant et pantelant, à sa table de travail, sans qu'il se décidât à écrire, tantôt il l'avouait non sans fierté, comme un témoignage de son extrême conscience artistique; tantôt il en éprouvait une sorte de honte et de remords, n'étant plus assuré si c'était chez lui la condition de sa force ou le signe de son infirmité. "qui sait? Peut-être suis-je simplement un paresseux?" disait-il.
Un paresseux? Lui qui n'a jamais rien distrait de sa vie à ce labeur douloureux qu'il préférait à toutes les jouissances de la fortune, à toutes les promesses mêmes du succès facile, de la célébrité rapide. Paresseux? Mais chez lui, l'idée du travail ne pouvait se séparer, à son insu, de l'idée de plaisir. Plus d'une fois je l'ai entendu s'écrier, quand il  découvrait quelque attrayant paysage, un pli de coteau ombragé d'arbres, un bouquet de sapins mirant dans l'eau le velours de leurs draperies:
- Quel bon cabinet de travail on se ferait ici!
Il savait ses limites. - Sans doute, pas plus qu'à nul homme, sûr de sa force intérieure et qui la bande vers le but, il ne lui convenait n'arrêter son regard sur les horizons qu'il n'atteindrait pas. Mais son besoin de vérité et la sincérité sévère de son analyse ne lui eussent pas permis d'ignorer que son champ avait des bornes et n'embrassait pas tout l'univers: moins encore de feindre qu'il l'ignorait, il disait: 
- Ma terre est circonscrite; mais je la cultive pour lui faire rendre tout ce qu'elle peut donner.
Suite demain.
(Maurice Pottecher, Les Cahiers d'Aujourd'hui, n°7, octobre 1913.)

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