mardi 30 septembre 2014

Journal du 30 septembre 1895

Le juge avec sa toque, coiffé comme un gros crayon.

Le Bateau-lavoir au temps de Jules Renard

De 1903 à 1912, au numéro 13  de la rue Ravignan, à Montmartre, une inconfortable maison de bois, surnommée le Bateau-lavoir, abrita des peintres, des sculpteurs, des littérateurs, des humoristes, des acteurs, des blanchisseuses, des couturières et des marchandes des quatre saisons.
Glacière l'hiver, étuve l'été, les locataires s'y rencontraient à l'unique fontaine, un broc à la main. 
Picasso s'y fixa dès 1903, au retour d'un séjour en Espagne. C'est alors que je le vis pour la première fois. Il bavardait sur la petite place Ravignan (devenue depuis la place Emile-Goudeau) avec son compatriote le peintre catalan Ricardo Canals, arrivé en même temps que lui à Paris, quelques années auparavant.
(Fernande Olivier, Picasso et ses amis, Stock, Delamain et Boutelleau, 1933, p. 24.)

lundi 29 septembre 2014

Journal du 29 septembre 1902

Ragotte ne fait jamais rien le dimanche. Elle croise et décroise ses mains sur son ventre, et elle rêvasse.

Actualité culturelle

Une comédie d'Octave Mirbeau

Mise en scène et direction d'acteurs: Rui Ferreira et Olivier Bruaux
Première: 28 septembre 2014
Représentation du 10 octobre au 31 décembre 2014
Théâtre du Nord-Ouest, 13 rue du Faubourg Montmartre, Paris 9°.

dimanche 28 septembre 2014

Journal du 28 septembre 1909

Deuxième répétition. Averse de compliments au foyer. Hirsch, qui a écouté le second acte, trouve ça définitif et dit que ce sera une bataille. Il est très fier de passer avec moi.
Il faudrait une horloge qu'on ne verrait que de dos. 
Antoine me dit que, depuis les Corbeaux, il n'a rien vu d'aussi bien que le second acte. J'ai réussi ce que tant d'autres ont essayé avec les pièces à prêtre. Il m'a tendu la main en disant:
- L’œil de M. Lepic! Je reconnais l’œil de M. Lepic! Répétition assez pauvre. La scène d'Honorine est lourde, presque inutile. Faire des coupures.

samedi 27 septembre 2014

vendredi 26 septembre 2014

Journal du 26 septembre 1895

Ce qui me gâte les animaux de Grandville, c'est leur costume. l'air suffisait. J'ai tâché de me contenter de l'air dans mes histoires naturelles. Les animaux ne sont pas ridicules.
La tortue ressemble à une blouse qui sèche sur une corde et ballonnée par le vent.
La girafe porte-drapeau.
Le hérisson frisé comme des baguettes de tambour.
L'âne au sabot d'enfant, modeste chanteur des rues.

jeudi 25 septembre 2014

Journal du 25 septembre 1893

Comme homme, accepter tous les devoirs, comme écrivain, s'accorder tous les droits, et même celui de se moquer de ses devoirs.

Jean Jaurès dans la Nièvre

Jean Jaurès n’est jamais venu dans la Nièvre pour soutenir des ouvriers en grève. Ni pour aller voir son ami Jules Renard. 
Il a répondu à l’invitation de la fédération socialiste de la Nièvre. Et a donné trois conférences en tout. Toutes bondées. C’est l’affluence, qui frappe, d’abord. Entre 700 et 800 personnes à Nevers, au moins 400 à Guérigny. À Nevers, dans la salle de la Paume, tout le monde n’a pas pu entrer. Pour assister à la première conférence de Jean Jaurès, ce 26 octobre au soir, on se presse. Ouvriers, enseignants, officiers en civil, « quelques dames » : le rapport de police fait le portrait d’un public très divers. 
À Guérigny le lendemain soir, en revanche, les ouvriers seront majoritaires. Rien d’étonnant dans cette ville marquée par les forges. 26 et 27 octobre 1901. Jean Jaurès est de passage dans la Nièvre, donc. Deux conférences très politiques, à l’invitation de la fédération socialiste de la Nièvre. « On est déjà à ce moment-là dans la précampagne pour les élections de 1902, explique Catherine Moulin, agrégée d’histoire, enseignante à Villeurbanne, et membre de la société d’études jaurèsiennes. Jean Jaurès vient pour parler du socialisme et du capitalisme.
 Ce sont deux réunions très classiques, dans lesquelles il s’agit de développer les grands points de l’idéologie socialiste de l’époque : la condamnation du capitalisme, la nécessité d’un nouveau système économique et social et l’appel à voter socialiste et, pour les ouvriers, à s’organiser et à s’unir ».
(Valérie Mazerolle,  Le Journal du Centre, 31 juillet 2014.)

mercredi 24 septembre 2014

Journal du 24 septembre 1902

Chasse. Dans la luzerne humide, la caille fuit devant le chien qui "ondule", relève de temps en temps le nez, qu'il a couvert de feuilles jaunes, et souffle comme un phoque. La caille file. On voit les brins de luzerne remuer, léger sillage.Les plumes trempées, elle ne peut pas partir. Parfois, le chien s'arrête, tient trop, et la caille en profite pour gagner du terrain. On traverse ainsi un petit océan de luzerne. Enfin, Philippe tire et l'abat. Trois domestiques du Bouquin se mettent à crier: un peu plus... Les plombs ont" viouné" à leurs oreilles.
-Pourquoi donc, dit Philippe, que vous restez là, dans le chemin, derrière  la "trace"?
Parole imprudente! Est-ce que le chemin n'est pas à tout le monde? Il faut rattraper. Je retrouve les trois gars plus loin, et ils finissent par dire que c'était pour blaguer.
On entendait la  pluie venir sur le bois. Elle faisait du bruit comme une rivière.
Il pleut, il pleut! Des chiens boivent debout.
Des paysans arrachent leurs pommes de terre, courbés comme s'ils les mangeaient.

mardi 23 septembre 2014

Journal du 23 septembre 1899

Les jardins qui s'éteignent, à l'automne.

L'instruction au temps de Jules Renard

L'instruction gratuite et obligatoire. Pour mieux former des citoyens modèles, bien soumis aux règles du régime et bien crédules aux bourdes qu'on leur sert. Le bon sens détruit, remplacé par la prétention. Ânes à diplômes qui n'en restent pas moins des ânes, rien ne remplaçant l'intelligence et la curiosité d'esprit natives. 
Disparition de l'esprit de fronde, de l'esprit satirique. Le gavroche loustic qui dégonflait les baudruches sociales d'un lazzi, n'existe plus;
Même appréciation pour ces jeunes gens, si grossiers de propos et de façons, pour ces gamines, si prétentieuses, que je vois chaque jour dans le train, munis de manuels et de cahiers d'études, qui peuplent les Facultés. De futurs déclassés qui, je l'espère bien, végèteront et expieront leur fétichisme des diplômes, qui ne leur auront rien conféré de plus qu'un petit savoir momentanément.
Un bon artisan, auprès de tous ces sots vaniteux, quel personnage sympathique!
 (Paul Léautaud,  Journal littéraire)

lundi 22 septembre 2014

Journal du 22 septembre 1902

Le guichard, sonore chevalier du raisin mûr.

Actualité littéraire

Lettres inédites de Jack london
Les éditions Finitude vont publier la correspondance inédite  de Jack London avec ses deux filles, Joan et Becky, entre 1907 et 1916, à la veille de sa mort, à 40 ans. Selon l'éditeur, "elle fait découvrir un Jack London au caractère explosif, une personnalité hors du commun qui tolère difficilement qu'on s'oppose à lui. La première à en faire les frais est son ex-femme..." La parution est annoncée pour le 21 octobre, sous le titre Je suis fait ainsi (128 pages).
(Le Figaro littéraire, jeudi 18 septembre 2014, p. 3.)

dimanche 21 septembre 2014

Journal du 21 septembre 1908

Rentré à Paris le 18. Société des Auteurs. De Flers et Cavaillet s’arrondissent de plus en plus; ils montent à l'assaut en roulant.
Paul Hervieu me tend la main.
- Je vous remercie d'être venu, dit-il, et de ne  m'avoir pas fait d'opposition.
- Je n'y ai rien compris, dis-je. Je ne vous ferai jamais d'opposition sur des questions que je ne comprends pas.

vendredi 19 septembre 2014

Journal du 19 septembre 1892

Être gamin, et jouer tout seul, en plein soleil, sur la place d'une petite ville.

Les racines familiales de Jules Renard

Par Jean-Louis Beaucarnot 
Mort à Paris le 22 mai 1910, il se voulait et se sentait nivernais : il avait terminé sa vie comme maire du village de Chitry-les-Mînes, près de Corbigny, qu'il considérait comme son village natal. Car si Jules Renard était né à Châlons-du-Maine, en Mayenne (le 22 février 1864), cela n'avait tenu qu'au hasard, en ce sens que son père, entrepreneur de travaux publics, y avait été conduit par la construction du chemin de fer. Deuxième hasard, ce père, issu d'une vieille souche nivernaise, avait épousé, à Riom, en Auvergne, la nièce d'un de ses confrères entrepreneurs – toujours la vieille habitude de se marier dans son milieu socio-professionnel – Auguste Petit, qui s'était établi à Riom en y amenant apparemment sa sœur, veuve assez jeune et chargée d'une fille, qu'il avait dû aider à élever. La famille Petit, qui était originaire de Villiers-sous-Praslin, dans l'Aube, s'était d'abord établie à Chaumont-en-Bassigny, où Edmé Petit (1777 – 1842) avait été meunier au moulin du Val-des-Choux. Sa fille avait épousé Vallier Collin, graveur et quincailler, qui l'avait laissée veuve après trois années de mariage, et son fils, Auguste, s'était lancé dans les affaires, était devenu entrepreneur et avait fait fortune en participant à la construction de canaux et à celle du tunnel de Balesmes, près de Langres. Il avait acheté, en 1850, le domaine de Chaumont-le-Bois, où il avait fait construire une belle maison bourgeoise, entourée d'un grand parc, dans lequel, grand chasseur, il avait fait aménager une glacière, destinée à conserver le gibier. Voici donc les grandes lignes de la généalogie de Jules Renard, avec 50 % de ses racines en Nivernais –ses Renard sont originaires de Pazy, et 50 % dans l'Est, réparties entre l'Aube, la Haute-Marne et la Lorraine (les Col(l)in, de Lamarche, étant originaires de Moselle (mariage Colin/Grandmaire, Avricourt, 1709) et les Gerdol(le), menuisier, étant venus de Commercy et remontés à Nancy jusqu'à Nicolas, apparemment né à Lemainville (54), vers 1585.
1. Jules Renard, écrivain, Châlons-du-Maine (53) 1864 – Paris, 1910 ;
2. François Renard, entrepreneur, né à Chitry-les-Mines (58) 1824, marié à Riom (63) en 1854 ;
3. Marie Rosa Collin, Nogent-en-Bassigny (52), 1836 - Chitry, 1909 ;
4. Etienne Renard, propriétaire, Chitry, 1787 – 1855 ;
5. Marie Jeanne Lorillot, Chitry, 1792 – 1873 ;
6. Vallier Collin, marchand quincailler et graveur sur métaux, Nogent, 1812 – 1839, marié à Chaumont en 1836 ;
7. Marie Anastasie Petit, Gyé-sur-Seine (10) – (Chitry ?), 1898 ;
8. Hugues Renard, Chitry 1742 – 1792, marié Chaumot (58) 1769 ;
9. Françoise Perreau, Marigny-sur-Yonne (58), 1747 – Chitry, 1831 ;
10. Claude Lorillot, voiturier ;
11. Abnne Judas ;
12. Renaud Collin, menuisier à Nogent (52), Lamarche (88), 1787 – Nogent, 1859 (fils de Jean Col(l)in et Marie Gerdolle) ;
13. Marie-Louise Gendre, Vitry-les-Nogent (52), 1780 – Nogent, 1831 ;
14. Edme Petit, charpentier puis meunier (au Val-des-Choux, à Chaumont), Gyé-sur-Seine, 1777 – Chaumont, 1842 (issu d'une famille originaire de Villiers-les-Praslin, dans l'Aube) ;
15. Anne Laurin, Gyé-sur-Seine, 1778 – Chaumont, 1855 ;
16. Philippe Renard, marchand à Chitry, Pazy (58), 1713 – Chitry, 1781 ;
17. Catherine Apertot (alias Lapertot), Chitry, 1717 – 1774;
32. Jean Renard, mort à Pazy en 1719 ;
33. Léonarde Garnier (sans doute de Cervon, 58).
Pour approfondir, on pourra aller sur les adresses suivantes : 
La généalogie de Jules Renard, mise pour partie en ligne sur Gene@star, par Christophe Fourneau et Sylvie Augendre ;
Une bonne généalogie Renard ( arbre en ligne d'André Perrier, sur GeneaNet)
Pour les ancêtres maternels, l' arbre en ligne de François Guillon (bulledesavon), sur GeneaNet ; 
Pour les Gerdolle, celui de Jean-Fred Boisselier ; 
Enfin, pour en savoir plus sur la curieuse glacière de Chaumon-le-Bois (monument se visitant), on pourra aller sur le blog de Michel Montignon. 
(Source:  Jean-Louis Beaucarnot, rfgenealogie.com)

jeudi 18 septembre 2014

Journal du 18 septembre 1906

A chaque instant je m'éteins et je me rallume. Mon âme est pleine de petits bouts d'allumettes.

Intermède

André Gide a confié à la Virginia Quarterly Review que, s'il se retirait dans une île déserte, il emporterait les livres suivants, La Chartreuse de Parme, Les Liaisons dangereuses, La princesse de Clèves, Dominique, La Cousine Bette, Madame Bovary, Germinal, Marianne.
Voici les miens: La Rochefoucauld,  Tallemant des Réaux, Le Misanthrope, Chamfort, Le Neveu de Rameau, Le Brulard, Les Souvenirs d''Égotisme, La correspondance de Stendhal.
(Paul Léautaud, Propos d'un jour, Mercure de France, 1947, P. 58.)

mercredi 17 septembre 2014

Journal du 17 septembre 1897

Moi qui n'aimais pas la chasse et qui n'y voyais qu'un jeu de barbares, voilà que je l'aime pour faire plaisir à mon  père. Chaque fois que je tue une perdrix, je jette de son côté un coup d’œil qu'il comprend bien, et, le soir, en rentrant, si je passe devant la porte de son cimetière, je lui dis: "Tu sais, mon vieux, j'en ai cinq!"
Oh! étrangler une perdrix, lui serrer le cou, sentir entre ses doigts cette petite flûte de vie!
Mais, si je rentre bredouille, je tâche de ne point passer devant la porte de cimetière.

mardi 16 septembre 2014

Journal du 16 septembre 1901

Horloge. Le pas lourd du balancier, ce pas de vieux paysan qui peine toujours.
- Oui, tout petit, au collège,  dans tes narrations, tu faisais déjà des phrases.
- Je n'en fais plus, dis-je.

Poil de Carotte aux enchères

SVV BALSAN  --  La Ferté Bernard   --   4 octobre 2014
LOT n°145 [LOBEL-RICHE] RENARD (Jules) Poil de carotte. Illustré de 52 eaux-fortes originales en noir dont 1 portrait-frontispice & 13 hors-texte. 1 fort vol. de 282 pp. in-4 relié maroquin rouge, roulette & filets dorés en encadrement à décor de palmes, large motif fleuri à décor de même, doublures de soie moirée olive dans un large encadrement de maroquin rouge orné de palmes et de fleurons aux angles & sur les côtés, gardes de soie moirée olive et gardes de papier marbré, dos à nerfs à caissons fleuris, double filet sur les bords, tranches dorées, emboîtage bordé. Reliure signée Affolter. Paris Romagnol 1911. Tiré à 350 ex. numérotés, celui-ci 1 des 150 du tirage de tête (n° 26) sur japon, comprenant 3 états dont 1 à l'eau-forte pure, 1 terminé avec remarques & 1 état terminé avec la lettre pour les en-têtes et avant la lettre pour les hors-texte. Réf: Monod II - 9629 - Carteret IV - 338 - Mahé III - 250-251 - Rahir 611
Estimation: 800 - 1000 €

lundi 15 septembre 2014

Journal du 15 septembre 1906

Une institutrice refuse un mari qui a 100.000 francs parce qu'il a l'air d'un ouvrier, et parce que, dit-elle, elle ne veut pas avoir un mari au-dessous d'elle par l'éducation; et, dans la lettre où elle fait ainsi la mijaurée, il y a quatre fautes d’orthographes.
Scène. Il lit la lettre lui-même, et se met à rire.

Le buste de Jules Renard aux enchères.

SVV ADER  --   3 rue Favart  Paris  --  2 octobre 2014.
Lot. 280. Sacha GUITRY. Buste de Jules Renard, [vers 1910]. Plâtre, signé sur le bas du cou à droite. Hauteur : 39 cm Grand buste en plâtre réalisé peu après la mort de Jules Renard (1864-1910). « J’ai fait trois bustes dans ma vie… Le premier était un buste de Jules Renard, le deuxième était un buste de Jules Renard – et le troisième aussi… […] Trois bustes du même homme ! Et c’est vous dire assez quelle admiration, quelle tendresse j’avais pour Jules Renard ».
1 200 / 1 500 €.
Lot 280 bis. Sacha GUITRY. Jules Renard. Dessin original à la mine de plomb.27,5 x 18,5 cm.  600 / 800 €.
Lot  281. Sacha GUITRY. Jules Renard. Dessin original à l’encre de Chine et gouache, signé en bas à gauche en rouge. 39 x 32 cm.
Très beau portrait en buste, de profil, de Jules RENARD (1864-1910). Au verso, dédicace autographe sur carton au chanteur et comédien René KOVAL (1885-1936) : « à mon ami René Koval qui a autant de coeur que le talent de Sacha Guitry.
1 000 / 1 500 €.

dimanche 14 septembre 2014

Journal du 14 septembre 1903

On peut faire toutes les boutiques de Corbigny sans trouver une lime à ongles, une brosse à dents, et il n'y d'éponges que pour les voitures.

samedi 13 septembre 2014

Journal du 13 septembre 1895

M. Rigal est encore venu me voir ce matin, comme une leçon. Il a une chaîne de montre en or, une cravate blanche, une chemise moins blanche, et des accrocs à ses manches, à son pantalon d'un noir poli, poli. Il ne veut pas d'une situation qui l'humilierait aux yeux de ses anciens administrés, mais il leur tend volontiers la main. Il parle d'organiser une loterie à vingt francs le billet. A deux cents billets, il trouverait quatre mille francs, avec quoi il recommencerait sa vie. Dans une heure de conversation, il trouve quatre ou cinq idées qui le tirerait d'affaire.
- Qu'est-ce que vous en pensez, Renard? Il vaudrait mieux faire cela, peut-être?
Arrive l'instant où ses yeux s’emplissent d'eau. C'est une habitude qu'il a prise. Il réussit très bien.
Et il est toujours gras, de cette graisse des petits restaurants où l'on mange beaucoup de pain. Il a gardé son bon appétit  et ses petites dents d'Auvergnat rongeur; et il a une poignée de main en chair froide.
La misère ne le corrige pas. On voit qu'il se fait à mendier. Il se contente de traiter le siècle de "positif". Ses mains courent à toutes ses poches, disparaissent, ressortent, vont et viennent pour tirer des lettres: "Tenez, lisez ça!, " des lettres dédoublées pour que ça pèse moins, et sales. On reste les yeux dessus le temps nécessaire pour faire croire qu'on les lit. Et tout d'un coup:
- Si je retournais à Nevers fonder une nouvelle maison?
Je le regarde. Et sa grosse tête, bouffie, chauve et cuivrée, me fait l'effet d'une cloche dont le battant, soudain, devient fou.
Et, tout le temps, la peur du "tapage". mais ça ne tombe pas.

vendredi 12 septembre 2014

Journal du 12 septembre 1890

Ma phrase de demain: le sujet, le verbe et l'attribut.

Actualité littéraire

Le jeune homme et le peintre.
De lui, Cocteau avait dit: "Le seul portraitiste qui nous lègue les usages de son époque avec un talent pointu postimpressionniste." Lui, c'était Jacques-Émile Blanche, le peintre de la belle Époque, de ses mondaines et de ses artistes... Mais Blanche ne fut pas que cela. A jamais son nom reste lié à celui de Marcel Proust. Il a été en effet son premier portraitiste et son premier critique littéraire: Blanche était aussi doué pour la plume que pour le pinceau. [...] En 1913, Proust n'est aux yeux de tous qu'un mondain et un salonnard, méprisé par ses pairs en littérature. Du côté de chez Swann est ignoré. Blanche sera le premier à défendre le roman en prenant la plume, dans L’Écho de Paris.
C'est ce texte, ainsi que deux autres, inédits en volume, que nous retrouvons ici réunis.
Portraits de Marcel Proust en jeune homme, de Jacques-Émile Blanche, Bartillat, 128 P. 12 €.
(Thierry Clermont, Le Figaro littéraire, jeudi 4 septembre, p. 7)

jeudi 11 septembre 2014

Journal du 11 septembre 1908

Ragotte gagnait 15 francs chez sa vieille dame. On l'avait mise là de confiance. Elle était bien nourrie, et, en gardant les cochons, sauf votre respect, elle mangeait des bons quartiers de pain dans les fossés.

Actualité renardienne

A partir du 7 octobre 2014, au Théâtre Daunou, Paris,
Le Plaisir de rompre, mise en scène de  Pierre Laville. Avec Béatrice Agenin, Laurent D'Olce.

mercredi 10 septembre 2014

Journal du 10 septembre 1899

Les paraphes à encre rouge de l'éclair.

Jules Renard vu par Léon Daudet 5/5

Comme il produisait relativement peu, à la fois par manque de fécondité et par scrupule littéraire, ses confrères et la critique lui témoignaient une indulgence relative. On lui savait gré de ne pas tenir trop de place. Mais, lui, démêlant leur mobile, ne leur rendait pas la pareille, ah, bigre non! A une époque, il faisait des armes avec assiduité, dans l'intention, disait-il avec un sourire pincé, d'en supprimer un". Il ne spécifiait pas lequel. Chacun pouvait ainsi se croire privilégié. Au sortir de l'assaut, il avalait avec satisfaction un grand verre de vin blanc sec, à la paysanne, et soupirait: "Quel art difficile, - un temps, - mais indispensable! Il expédiait souvent sa pensée toute crue, afin qu'on la prît pour un paradoxe.
Il est mort jeune, après une maladie cruelle, où il montra un magnifique courage. En général, les bons écrivains, comme les bons soldats, savent mourir.Au lieu que les politiciens et les médecins ont peur de la mort. Chacun, en regardant autour de soi, pourra corroborer cette remarque, qui comporte, bien entendu, des exceptions.
Fin.
(Léon Daudet, L'Entre-deux guerres, Bernard Grasset, 1932.)

mardi 9 septembre 2014

Journal du 9 septembre 1895

A chaque instant Poil de Carotte me revient. nous vivons ensemble, et j'espère bien que je mourrai avant lui.

Jules Renard vu par Léon Daudet 4/5

Suite
Il racontait qu'il avait eu une jeunesse très malheureuse, et qu'il avait beaucoup souffert. Je me suis demandé depuis si sa souffrance ne lui venait pas de la contradiction profonde qui existait entre ses aspirations intellectuelles et ses moyens d'expressions, assez courts, s'il ne se piquait pas, et cruellement, à son propre dard. il aurait voulu, disait-il quelquefois, être directeur de conscience et chef d'école d'un grand nombre de jeunes gens. Il faut pour cela une personnalité forte, riche, expansive. Renard était une personnalité pauvre, griffue, sans générosité, et qui s'en rendait compte. Il ne faisait grâce à son plus intime ami ni d'un faux pas, ni d'un petit travers, et il supposait toujours, chez autrui, la mauvaise pensée. 
Quel sombre, sombre pessimiste! Quand je pense qu'il y a eu des serins pour le ranger parmi les auteurs gais! je rêve d'un pastiche de son cher La Bruyère: "On voit des hommes, dans les campagnes, peinant sur des miniatures de bêtes et de gens." Ce bon écrivain, cet esprit faible est demeuré à mes yeux le prototype des êtres tordus psychologiquement, sans que l'on puisse bien démêler le sens du pli de leur torsion. Le goût de la syntaxe, la sobriété dans le trait ne sont pas tout. Je conclurai en me demandant, d'après ses histoires naturelles: "Etait-il une abeille ou une guêpe?" J'ai bien peur qu'il ne fût une guêpe.
A suivre.
(Léon Daudet, L'Entre-deux guerres,  Bernard Grasset,1932.)

lundi 8 septembre 2014

Journal du 8 septembre 1900

- Oh, j'ai eu dans mon coeur, cette nuit-là, un des plus beaux clairs de lune de ma vie.

Jules Renard vu par Léon Daudet 3/5

Suite.
Un jour, au cours d'une conversation littéraire qui n'avançait pas, - car nous nous inhibions tous les deux, étant séparés par plusieurs précipices, - je découvris avec amusement, dans Renard, un anticlérical à la Homais. Il réfutait aigrement le bon Dieu, à l'aide de la chimie, de la physique et même de l'histoire naturelle. Comme je riais, il faillit se fâcher, lui placide d'ordinaire, et me déclara tout de go qu'il haïssait: 1° les nobles, 2° les curés, 3° les riches, et qu'il voulait les voir tous à la lanterne. Il devint ainsi, pendant une bonne demi-heure, un personnage de ses Philippe et je le regardais maintenant avec une certaine stupeur. C'est ce qui lui fit écrire rageusement, à je ne sais plus quel endroit, que: "la République est solide et Léon Daudet perd son encre".
A suivre.
 (Léon Daudet, L'Entre-deux guerres,  Bernard Grasset,1932.)

dimanche 7 septembre 2014

Journal du 7 septembre 1907

Bœufs. On est déjà obligé de leur porter la paille au pré, et, quand ils voient le domestique et sa botte, ils accourent comme si c'était du gâteau. Ils ne rentrent à l'écurie, pour entonner leur foin, qu'à la Saint-Martin, c'est-à-dire le 11 novembre.

samedi 6 septembre 2014

vendredi 5 septembre 2014

Journal du 5 septembre 1903

Philippe a fait bâtir une grange de 1.700 francs. Il les a trouvés, mais il les doit. 
La grange est bâtie, mais il n'a rien à mettre dedans.

Jules Renard vu par Léon Daudet 2/5

Suite d'hier.
Renard avait un très joli talent descriptif, cela est certain. Je ne l'ai jamais autant goûté que le fait mon cher Byvanck, par exemple, célèbre critique irlandais, quand il l'égale à La Bruyère ou à La Fontaine. Mais il ne semblait à l'aise ni dans son oeuvre ni dans sa peau. Fendeur de cheveux en quatre, il aspirait à la puissance et à la fécondité lyrique. Biographe des existences opprimées, tourmentées ou manquées, - Poil de carotte, le Pain de ménage, l’Écornifleur, - il déclarait ne pouvoir supporter que les gens tout d'une pièce et déterminés. Le bruit court qu'il a laissé des cahiers de notes d'une grande crudité, où sont ses impressions au jour le jour sur les uns et les autres. Voilà une collection qui serait bien intéressante à consulter. Je présume que ce recueil ne doit pas être exceptionnellement tendre ni indulgent.  Mais qui sait ce qui se passait au juste derrière le haut front bombé et les yeux froids de Jules Renard? Il n'a livré son secret à personne, pas même à Byvanck.
A suivre.
(Léon Daudet, L'Entre-deux guerres, Bernard Grasset, 1932.)

jeudi 4 septembre 2014

Journal du 4 septembre 1908

L'hirondelle que la pluie ne touche pas.

Jules Renard vu par Léon Daudet 1/5

Barrès, quand on lui parlait de Jules Renard, répondait: "Laissez-moi tranquille avec ce jardinier." Il y a du vrai dans cette définition, si l'on ajoute que le jardin de Renard produisait à la fois des choux, des pommes de terre, des poireaux de brave et loyale saveur française, et du mancenillier, du curare, du strychnos nux vomica. Avec cela un besoin de franchise soudain et irrésistible qui lui faisait avouer à mon père, fort accueillant et aimable avec lui: "Je ne sais pas si je vous aime ou si je vous déteste, mon cher maître."
Odi et amo, lui répondait Alphonse Daudet, sans s'émouvoir. Il me demandait ensuite: " Tu vois Renard plus fréquemment que moi. Qu'en penses-tu?
Que c'est un cryptogramme rustique, un de ces signes de ralliement, dessinés à la main par les chemineaux sur les portes des granges et des maisons et que le passant non initié ne déchiffre pas."
Suite demain.
(Léon Daudet, L'entre-deux-guerres, Bernard Grasset, 1932.)

mercredi 3 septembre 2014

Journal du 4 octeobre 1906

A l'horizon, la lune sans nacelle dit: "Lâchez tout!" elle monte. Tous les fils sont coupés.
Aucun homme, pas un arbre, pas une branche sèche, n'a pu se suspendre dans ses filets et s'élever par surprise;
Le bois roux brûle sous elle pour la gonfler.
Elle arrive à un nuage, semble prise, ne bouge plus.
Elle disparut derrière les nuages amoncelés. On ne l'a jamais revue, celle-là, du moins.

Journal du 3 septembre1905

L'éclusier se plaint de son isolement. Pas de congé, pas d'argent. Il faut être là dix-huit heures par jour, que les bateaux passent ou ne passent pas. Et qu'est-ce que c'est donc, un petit éclusier? Personne ne les regarde. S'il rencontre un instituteur (un instituteur, c'est pourtant un petit fonctionnaire comme lui), l'instituteur ne s'aperçoit pas qu'il croise un éclusier.

mardi 2 septembre 2014

Journal du 2 septembre 1902

Je regarde les étoiles. Pour savoir leurs noms, je fais flamber une allumette-bougie, et je regarde mon atlas astronomique. Mais, l'allumette éteinte, les yeux éblouis, je ne reconnais plus, au ciel, l'étoile dont j'ai trouvé le nom.

Actualité renardienne

Vient de paraître:
Francisque Poulbot, Jules renard, Poil de Carotte.
Avec les reproduction des dessins de Poulbot parus dans l'édition Calman-Lévy de 1907.
« Tout le monde ne peut pas être orphelin. »

Le chef-d’œuvre de Jules Renard, dresse d’un trait vif et mordant, au-delà du drame du récit, le portrait sans fard d’un milieu social et d’une époque.
François Lepic est un enfant mal-aimé qui grandit dans une famille cruelle. Sa mère, Mme Lepic, déteste son cadet et surtout sa rousseur.
Surnommé Poil de Carotte, le petit François lutte contre les difficultés quotidiennes, les humiliations et le sadisme de sa génitrice qui lui assigne les pires corvées ou manigance pour le mortifier et le punir. À lui, le petit garçon, d’aller rentrer les poules dans la nuit noire ou d’achever les bêtes chassées par son père… Ainsi évolue Poil de Carotte qui n’a d’autres solutions pour échapper à cet enfer que d’employer la ruse, bravant le monde des adultes.
Servies par le style concentré et l’humour féroce de Jules Renard, ses aventures sont drôles, émouvantes et ironiques. Et l’on rit souvent… pour ne pas pleurer.

Prix TTC : 18.50 €  EAN : 9782702156018 Code Hachette : 3644469 Format : 230x150 mm 320 pages
Parution : 20 août 2014.

lundi 1 septembre 2014

Journal du 1er septembre 1901

Une perdrix blessée tombe dans les pommes de terre et nous fait battre le coeur, comme un lièvre. 
Une mare: des petites carpes longues d'un doigt sautent en l'air comme des chiquenaudes. Deux grenouilles, l'une, verte, l'autre, presque bleue, sur un morceau de bois, immobiles, comme fascinées par un serpent invisible, ou attendant qu'un gamin exerce son adresse.
L'haleine de foin de la grange ouverte.
Un beau serpent, vert, jaune et blanc, file entre les joncs sur l'eau. C'est une fine caresse sur le ruisseau. Je lui coupe la tête. Pourquoi? Pourquoi? C'était une parure du pré, son amusement, son orgueil peut-être.