mardi 5 mars 2013

Génèse de la "Demande" 3/3

Suite d'hier.
Le sort avait désigné le premier tour à Renard. Il va sans dire que  je ne l'écoutai pas moins curieusement que Bosdeveix. J'avoue que, déjà, je me vis distancié; et Dieu sait que j'applaudis, d'ailleurs, de tout mon cœur.
- Ne m'influencez pas! protesta Bosdeveix, et lisez à votre tour.
Je lus, mais sans confiance aucune et, par suite, assez mal, à mon gré. Et je jure que grande fut ma surprise quand notre juge, sans aucunement balancer, déclara que la Demande Renard le devait céder à la Demande Docquois!
Le condamné se leva, ouvrit un tiroir, y rejeta son mince cahier et, cordialement, vint me serrer la main.
Pour moi, un peu confus de mon succès, je dis:
- Mon cher Renard, je ferai jouer d'abord la pièce en province. Nous irons la voir ensemble.  Et, si le résultat ne vous paraît pas honorable, nous n'en reparlerons plus. J'ai, moi ausi, mon oubliette!
De fait, la pièce fut, en catimini, créée sur la scène du Théâtre municipal de Boulogne-sur-mer, le 25 janvier 1895. elle figurait sur les affiches entre la Veuve au Camélia (de Thiboust et Delacour)) et Miss Helyett; mais elle était annoncée comme comédie de MM. Jules Renaud et Georges Docquois! C'est en riant mélancoliquement que je me rappelle avoir, avec un bout de fusain, rectifié, sur tous les murs de la ville réservés à la publicité, la malencontreuse coquille qui estropiait le nom de mon collaborateur, qu'ensuite, le coeur plus léger, je m'en fus quérir à la gare.
À l'issue de la représentation, Jules Renard me dit:
- On peut très bien risquer l'aventure à Paris.
Le 13 avril suivant, je déposais le manuscrit à l'Odéon. Douze jours après (de telles choses sont rares), Marck et Desbeaux m'écrivaient: "Nous donnerons la Demande en novembre prochain."
La Demande ne fut point reprise à l'Odéon.
Mais, par un jeu assez extraordinaire du hasard, M. Georges Rolle, directeur du théâtre Déjazet, en fit une exhumation pour ses intéressantes matinées du jeudi, il y a deux ans, à l'heure même où s'éteignait celui dont on a hier acclamé  le souvenir à la Comédie-Française.
(Georges Docquois, Le Figaro, 27 mai 1912.)

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