lundi 24 septembre 2012

Le déclin de l'inspiration

Tous ceux qui ont éprouvé ce qui s'appelle l'inspiration, connaissent cet enthousiasme soudain qui est le seul signe de l'excellence d'une idée qui nous vient et qui, à son apparition, nous fait partir au galop à sa suite et rend aussitôt les mots malléables,  transparents, se reflétant les uns les autres. 
Ceux qui ont connu cela une fois savent que toute idée, si juste qu'elle nous paraisse, toute conception, si ingénieuse qu'elle nous semble, ne vaut pas la peine d'être exprimée, et ils attendent que renaissent en nous ces transports qui sont le seul signe que ce que l'on va dire en vaut la peine et pourra plus tard jeter d'autres cœurs dans le même transport.
Aussi est-elle bien triste, l'époque où ces transports ne se renouvellent plus, où, à chaque idée qui nous vient, nous attendons en vain cet enthousiasme, ce renouvellement de la tête où toutes les cloisons semblent tomber et où aucune barrière, aucune rigidité n'est plus en nous, où toute notre substance semble une sorte de lave prête à être coulée, à recevoir telle forme qu'on voudra, sans que rien de nous ne subsiste et n'arrête.
(Marcel Proust, Essais et articles, Au temps de Jean Santeuil, Bibliothèque de la Pléiade, p.422.)

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