mercredi 26 septembre 2012

Jules Renard vu par René Boylesve 2/3

 L'art de Jules Renard
Suite d'hier.
C'est d'un poète du village et de son peuple rugueux qu'il s'agit, ne l'oublions pas, et n'allons pas demander au maître de la dure Ragotte les enjolivements, les parfums, les guirlandes que le mot "poésie" évoque à l'esprit des jeunes filles. Ce dernier livre n'est pas fait pour elles. - La prose de Jules Renard, scandée  et martelée à l'égal de nos vers les plus parfaits, n'a pas ce bercement, cette suavité ni ces tours ingénieux qui nous charment chez d'autres écrivains très lettrés; c'est une prose nerveuse, dépouillée de souvenirs littéraires, jaillissant du sol comme une source fraîche; elle grince comme la pomme verte sous la dent des écolières, ou rebondit sous la main comme la branche d'où l'on a arraché le fruit. 
Cette écriture si travaillée ne sent pas l'écriture; si elle en offre parfois l'apparence, c'est qu'elle est elle-même un modèle, et qu'elle a déjà été imitée, - car l'influence de Jules Renard est féconde - mais que rappelle-t-elle de convenu? Aucun de nos plus jolis écrivains formés par l'antiquité grecque ne me rappelle les beaux fragments de L'Anthologie, autant que Jules Renard; mais, Jules Renard, ce n'est pas par la docilité à l'influence littéraire de l'antiquité qu'il rappelle L'Anthologie, c'est parce qu'il nous oblige à comparer une perfection, sa perfection à lui, qui est toute empirique, toute personnelle, toute de terroir.
Suite demain.
(René Boylesve, Les Annales politiques et littéraires, 29 mai 1910)

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