samedi 29 septembre 2012

Jules Renard conférencier

Quelque fois, je me pose cette question: qu'est-ce que tu as  bien pu faire pour qu'on te prenne pour un conférencier?
Je crois que c'est la faute à Michelet. C'était dans mon village, au siècle dernier, en 1898. On devait fêter à l'école le centenaire de Michelet. Vous vous rappelez les instructions du Ministre. L'institutrice, embarrassée, s'adressa à moi. Je passais vaguement dans mon village pour un homme de lettres. Le public ne m'effrayait pas, des parents et des gosses dont l'aîné n'avait pas plus que l'âge du certificat d'études. Il est vrai que les plus jeunes tétaient encore. Je me défiais de ceux-là.
J'eus une idée. Je fis mettre devant moi sur la chaise des sucres d'orge bien rouges. Ça faillit mal tourner. Quelques mioches, las d'attendre le sucre d'orge, se mirent à bouger, puis à crier, puis à hurler.
Agacé, je me tournai du côté du président, c'était M. le Maire, et je lui dis:
-Est-ce qu'on ne pourrait pas les faire sortir?
Mais M. le Maire me répond: 
- Non, non, ça va très bien comme ça. Allez! Allez!
Il avait l'air enchanté M. le Maire. Il faut vous dire que c'était un réactionnaire.
Je m'en tirais tout de même, et peut-être que le lendemain, quelque paysan à sa charrue répétait tout haut le nom de Michelet. Et ce fut bien la première fois qu'autour de ce paysan, de sa charrue, de ses chevaux, ce coin de nature nivernaise entendit le nom glorieux de Michelet.
Jules Renard
(Archives de la Nièvre, cote ms, 294/5)

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