dimanche 3 janvier 2016

Journal du 3 janvier 1902

Conférence populaire à Corbigny, sur Molière, le 29 décembre 1901. Toute la journée, énervement.  On me dit que, par ce temps de pluie, des gens de Chaumot viendront. Pris d'attendrissement, je prépare une phrase de gratitude, mais par la faute de Philippe, j'arrive trois quart d'heures trop tôt. Personne. Ça m'amuse, et l'incident comique me donne de l'aplomb.  C'est toujours le même truc: il faut tâcher de penser à autre chose.
Je parle une heure et quart sans fatigue, et je ne touche pas au verre d'eau. C'est ça qui doit me poser!  Les gens écoutent debout, sans changer de jambe. Je ne distingue que deux ou trois figures. Un moment, je vois quelqu'un qui bâille, derrière sa main. Devant moi, une petite fille qui est la niaiserie même, d'une niaiserie effrayante.
Pauvre gens! Ils me donnent l'impression que j'en ai trop fait, et qu'il est temps d'être un saint.
Un sourd m'écoute de profil, la main en pavillon à l'oreille, et fait une horrible grimace d'attention.
Ils n'ont guère de respect que pour la personne "qui n'est pas bête". D'une vieille femme terriblement avare, ils disent: "On pourra raconter d'elle ce qu'on voudra! elle est ce qu'elle est, mais elle n'est pas bête."
L'ouvrier et le paysan viennent à une conférence avec le désir de s'amuser ou de s'instruire: ils jugeront après. Le bourgeois n'y vient qu'avec le désir de juger. Il se refuse ou se retient. 
Applaudissements violents et courts. Les dames croient que leur présence les tient quitte du reste.

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