lundi 27 février 2012

Journal du 27 février 1902

Burgraves. Soirée du Centenaire. Plutôt terne. On n'aime pas Victor Hugo comme il faudrait, d'un amour filial. Au début, dans ma baignoire, j'ai envie de pleurer, mais ce public me glace.
Il y a là des gens qui feignent d'écouter, qui font chut! quand ils entendent un bruit de vestiaire, et qui n'ont pas applaudi une seule fois.
Il y a le bilieux Coppée - celui-là n'aura pas son centenaire -, et qui se défile avant la fin des actes.
Bernard plaisante et pose sa grosse bouche sur mon oreille, en signe d'émotion: puis il fait un bruit de bœ uf  en mangeant des bonbons.
Georges Hugo vient me serrer la main, l'air d'un cercleux  fatigué, vidé: ça passe pour de l'émotion.  je lui fait compliment de son article à l'Illustration. Il est flatté. comme j'ai déjà passé à Victor Hugo, il me remercie encore pour son article de l'Illustration.
Segond-Weber est si belle quand elle dit: Ce siècle avait deux ans...que mon cœ ur se rompt.
Mirbeau blague. Je sais bien qu'il y a de quoi, mon Dieu! Ce buste, ces palmes, ce tambour, cette cuirasse, ce plumet rouge...
- Mais, lui dis-je, il ne s'agit pas de ça: Victor Hugo est le plus grand lyrique du monde. 
- Ils ont eu ça en Allemagne, dit-il: Goethe et tous les poètes qui ont précédé Goethe.
Quels poètes?
Guitry. Je sens que lui non plus n'aime pas tout ça. C'est un éteignoir d'enthousiasmes sots. Je veux bien, mais gardons Victor Hugo. Dans sa baignoire il fait jouer sa petite lampe de poche.
Mendès. Oh! celui-là croit l'admirer mieux que les autres, mais mon admiration vaut la sienne. En tout cas, c'est à Victor Hugo, immortel, et qui lit dans les cœ urs, de choisir.
Et, ce matin, la Vie parisienne se moque de moi parce que j'ai dit qu'à Victor Hugo, je ne pourrais adresser qu'une prière. Ça me fait plaisir. 

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