mercredi 15 février 2012

À Romain Coolus

Entre, Coolus.
Ce n'est ici qu'ombre et fraicheur. 
À peine quelques gouttes lumineuses tombent, çà et là, du soleil.
Vois ce scarabée sur cette bouse, comme une riche épingle sur une épaisse cravate.
Déplace ces moucherons et marche un instant, la tête dans leur fragile orchestre. 
C'est l'heure où le petit bois, comme une volière peinte, garde prisonniers les oiseaux.
Écoute un  merle qui flûte mieux que toi.
Observe, de loin, ce bouleau. il ne fait que se cacher derrière les chênes, comme un homme en veste claire qui voudrait fuir.
Et toi-même, Ô libre poète! avoue que si le garde-champêtre paraît, tu salueras le premier.
N'aie pas peur. Ce que tu entends, c'est une source invisible qui s'échappe des ronces lilliputiennes et cause toute seule. Il n'y a personne. Le petit bois est à Coolus. Je le lui prête.
Je te prête ses délices.
Je te prête son étroit chemin que tu ne peux suivre que d'un pied, et je te prête, comme des serviteurs, ses arbres élégants qui, pour te protéger, se passent l'un à l'autre une ombrelle de feuilles. 
Mais si tu veux goûter, comme il faut, le charme du petit bois va de temps en temps jusqu'à la lisière, ouvre les branches et regarde là-bas, ces prés sans herbe, cette route aveuglante et ce clocher pointu qui fond au ciel.
Tout brûle dehors, Coolus, Ferme vite les branches.
Jules Renard, L'Image, n°3, février 1897.

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