mercredi 13 juin 2012

Qu'en aurait pensé Jules Renard ?

L'exemple à ne pas suivre
Un éditeur qui est aussi un libraire a eu l'idée, à tout le moins étrange, de demander à des amateurs de livres comment ils constituaient leur bibliothèque.
Et cela nous a valu, à côté de réponses "d'honnêtes hommes", comme on disait au grand siècle, des déclarations péremptoires - pour ne pas écrire prétentieuses - comme celle de cet agent forestier qui nous dit sans rire, avec un manque absolu d'humour:
"...Il y a dans ma bibliothèque des livres de toutes sortes, mais si vous alliez les ouvrir, vous seriez bien étonné. Ils sont tous incomplets; quelques uns ne contiennent plus dans leur reliure que deux ou trois feuilles. Je suis d'avis qu'il faut  faire commodément ce qu'on fait tous les jours: alors je lis avec des ciseaux, excusez-moi, et je coupe tout ce qui me déplaît. J'ai choisi des lectures qui ne m'offensent jamais. Des Loups j'ai gardé dix pages, un peu moins du Voyage au bout de la nuit. De Corneille j'ai gardé tout Polyeucte  et une partie du Cid. Dans mon Racine, je n'ai presque rien supprimé.  De Beaudelaire j'ai gardé dix-neuf vers et de Victor Hugo un peu moins. De La Bruyère, le chapitre des xxxxx. De Saint-Evremond, la conversation du père xxxxxx avec le secrétaire. De Mme de Sévigné, les lettres sur le procès de Fouquet. De Proust, le dîner avec la duchesse de Guermantes"
On conçoit fort bien qu'un intellectuel  ait des préférences marquées et fasse choix de certains écrivains parmi d'autres, se constitue même une anthologie pour son usage. Mais on a du mal à comprendre cet homme qui se fabrique une bibliothèque de débris. Et l'on s'imagine la tête de ses héritiers - qui n'auront, espérons le, ni ses goût, ni son amour du vandalisme - lorsqu'ils se trouveront en présence de ce bric à brac imbécile...
Comment!? Cet homme n'éprouve pas le besoin de connaître autre chose? Il n'évoluera donc plus - il le sait - et son esprit se satisfera désormais des mêmes nourritures, comme ces estomacs délabrés - parfaitement explicables d'ailleurs - soumis au même éternel menu parce qu'ils ne peuvent plus supporter que le bouillon d'herbes et une viande grillée sans sel?...
Mais la question est plus grave. Il y a suffisamment dans le monde de mauvais écrivains en mal de publication - encore ne sont-ils pas superflus puisqu'ils contribuent à créer ce que l'on nomme "le mouvement littéraire" - mais, par une démagogie dangereuse, pousser l'imprudence jusqu'à solliciter les textes des illettrés ou des sots qui se croient instruits... Ils nous administreront toujours trop tôt la preuve de la sècheresse de leur coeur et de la misère de leur esprit.
(Emile Zavie, l'Intransigeant, 4 mars 1933)

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