lundi 29 juin 2015

Journal du 29 juin 1894

À Schwob sur le Livre de Monelle.
" Mon cher ami, j'ai lu le Livre de Monelle avec une scrupuleuse minutie. il me semble que je suis très près de tout à fait comprendre votre art, et je crois bien que je pourrais en écrire une page amusante et épluchée. Ce petit livre me paraît si "sorti" de vous qu'à certains moments je m'imaginais tenir votre âme enfantine et changeante au bout d'une pince. Si vous mourez avant moi, je demanderai à prononcer votre éloge. Je me sens capable de le faire dignement.
Toutefois les paroles de Monelle me troublent un peu. Je ne l'entends pas toujours.  Elle m'échappe deux ou trois fois, et je lui en veux. Je lui ai donné quelques coups de crayon d'une main fâchée. Je tacherai de revenir sur cette impression d'agacement. Une causerie avec vous m'y aidera. Je suis plus à mon aise au milieu de ses sœurs, qui toutes tiennent de l'oiseau, de la fleur et et de la petite fille que nous avons aimée. Je les admire d'autant plus que, sur la fin, Monelle prendra encore plaisir à se dérober, à éviter ma pince, à mériter les bleus de mon crayon.
En résumé, votre livre est si ténu, si peu appuyé, que je l'abîme au courant de ma grosse plume. Ce que je vous dis plus facilement, c'est que le Livre de Monelle m'a donné une joie rare, spéciale, et qu'il m'a pris, ces jours-ci, les meilleures de mes heures.

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