mardi 9 juillet 2013

Une rue de Paris au temps de Jules Renard 3/3

Certes, la fantaisie, l'esprit de chaque marchand ou marchande, introduisaient souvent des variantes dans les paroles de toutes ces musiques que j'entendais de mon lit. Pourtant un arrêt rituel mettant un silence  au milieu d'un mot, surtout quand il était répété deux fois, évoquait constamment le souvenir des vieilles églises. Dans sa petite voiture conduite par une ânesse qu'il arrêtait devant chaque maison pour entrer dans les cours, le marchand d'habits, portant un fouet, psalmodiait: "Habits, marchand d'habits, ha...bits" avec la même pause entre les deux dernière syllabes d'habits que s’il eût entonné en plain-chant: "Per omnia saecula saeculo...rum" ou "Requiscat in pa...ce", bien qu'il ne dût  pas croire à l'éternité de ses habits et ne les offrît pas non plus comme linceuls pour le suprême repos dans la paix. Et de même, comme les motifs commençaient à s'entrecroiser dès cette heure matinale, une marchande des quatre-saisons, poussant une voiturette, usait pour sa litanie de la division grégorienne:
À la tendresse, à la tendresse
Artichauts tendres et beaux
Arti-chauts
bien qu'elle fût vraisemblablement ignorante de l'antiphonaire et des sept tons qui symbolisent, quatre les sciences du quadrivium et trois celles du trivium.
(Marcel Proust, La Prisonnière, Folio classique, p. 109)

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