vendredi 11 mars 2016

Journal du 11 mars 1891

Hier à dîner, Alcide Guérin. Voilà ce que c'est, d'inviter les gens sur un article! Un monsieur complètement chauve, une figure de juif qui serait dévot. Il paraît qu'il fait ses prières, va à la messe, communie, et fait maigre le vendredi. Quand il parle Patrie, il prononce le mot de "douleurs intimes" et il a un ronflement de gorge, presque un roucoulement.
Une voix de châtré.
Il fait de Léon Bloy ce stupéfiant présage: "Attendez-vous à quelque chose de grand d'ici peu. Je considère Bloy comme un saint, en tout cas, comme un homme providentiel."
Il nous dit, à Raynaud et à moi: "Quand vous serez grands, je vous bénirai." Et on est tenté de prendre le mot à la lettre.
Il dit: " Moi, je ne suis rien, je ne serai rien."  Il attend qu'on proteste, mais on se tait, et son hypocrisie est obligée de rentrer comme comme une vilaine limace.
Il a un nœud de cravate qui me rappelle, par sa forme, un chapeau de curé.
Qu'est-ce qu'il fait au milieu des jeunes? car il en parle et affirme les aimer. Les séminaristes nouvellement arrivés au régiment doivent avoir une attitude semblable. quand il s'est mis à table, j'ai cru qu'il allait dire le Benedicité. 
Discussion entre Raynaud et moi sur Mallarmé. Je dis:" C'est stupide." il dit: "C'est merveilleux." Et cela ressemble à toutes les discussions littéraires.

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