vendredi 20 novembre 2015

Journal du 20 novembre 1908

Augustine dit:
- Vous envoyez la lettre, Madame?
- Oui, ma fille.
- Je ne m'en irai pas chez nous. Ma mère ne veut pas de moi. Pourvu que je gagne ma vie, elle se fiche bien de moi. Elle me calotterait. Je ne veux pas m'en aller.
- Je vous mettrai dans le train.
- Je descendrai à la première gare. Je reviendrai à Paris chercher une place.
- Mais si vous n'en trouvez pas? Vous ne savez rien faire.
- Je ne veux pas m'en aller. J'aime mieux être mendiante.
- Vous vous ferez ramasser par les sergents de ville. 
- Alors, j'aime mieux me détruire.
- Vous dites des bêtises. Écoutez, j'ai pitié de vous. Votre mère vous a confiée à ma garde. Cette lettre je ne la déchire pas. Je la garde. A la première bêtise que vous ferez, je l'envoie à votre mère, sans vous prévenir. Elle fera ce qu'elle voudra, mais vous ne resterez pas un jour ici.
- Oh! Madame, je vais bien travailler. Je ne mentirai plus. Je n'écrirai plus de lettres à mon amoureux. D'abord, je ne lui ai écrit que deux fois.  Je ne mangerai plus l'aile du poulet que vous mettez de côté pour Monsieur.  Je ferai bien attention à la poussière.
- Oui, Augustine. Vous n'êtes pas mauvaise: vous êtes trop jeune. Nous avons tort de prendre des bonnes aussi jeunes que vous. Ici, vous pourriez vous faire une vie douce, mettre de l'argent de côté. Vous n'avez qu'à écouter ce que je vous dis. Vous avez bien compris?
- Oui, Madame. Ah! que j'ai eu chaud! Je vais boire un coup d'eau à la carafe. Madame ne me chasse pas?
- Non, pas tout de suite.
- Je reste?
- Oui, provisoirement.
- Ah! Madame va voir! Madame va voir!

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