vendredi 31 juillet 2015

Journal du 31 juillet 1905

Incendie du vendredi 31 juillet, à trois heures du matin.
Borneau va mieux. Il rit, tout fier d'avoir échappé au feu du ciel, tout fier d'avoir aussi été presque foudroyé.
- Je me suis jeté à quatre pattes, dit-il, pour courir dans la rue. 
Déchirure fracassante du coup de tonnerre. 
- N'aie pas peur! dis-je à Baïe.
Lucienne appelle Philippe, son père. Par la porte, je vois Chitry en feu. On s'habille. Lanterne pour moins voir les éclairs. Gens sur les portes, dans les rues. Des hommes redescendent.
- C'est chez Borneau! disent-ils! 
- Et Borneau?
On l'a sauvé, mais la Mougneaude a voulu rentrer pour prendre son édredon, et elle y est restée.
Ah! Et les pompes? Pas d'eau. Cris. Une échelle. Tous les hommes à la chaîne.
Il fait déjà jour. Ma lanterne allumée, que je porte du jardin à la cour, doit me rendre ridicule.
Il y a ceux qui veulent se distinguer et sont beaux à voir sur le toit. Il y a les goguenards qui se défilent.
L'orage recommence.
Ceux qui ne se distinguent pas par le courage veulent, dans leur récit, se distinguer par la peur, jamais ils n'ont eu et jamais personne n'a eu peur comme ça!
La mougneaude sur son lit, vieille, presque morte, - Ôtez la chemise! Coupez, coupez! Qu'est-ce que ça fait? Frottez avec de la laine, de l'eau chaude, non: froide.
Maman en verse un plein pot sur la laine.
Cuiller entre les dents. Je cherche la langue, je la pince, impossible de l'attraper. Le mouchoir. Mouvement des bras. Le vert des dents. Le corps blanc de cette vieille femme.
Elle va s'en tirer.
Le curé arrive, met sa blouse blanche, lit ses prières et débouche sa fiole d'huile pour l'extrême-onction. Je ne me découvre pas, mais je sors.
Tandis que nous la ranimons, il l'enterre.
Honorine dit que le feu du ciel l'a jetée sous son arche.
Le paysan veut être éloquent dans la douleur. Mougneau  poussait des cris comme une pleureuse classique.
De son poulailler, des poules se sauvaient, en feu.

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