samedi 2 novembre 2013

Journal du 2 novembre 1887

Projet de préface. " Ma chère Maîtresse, je te dédie ces vers, d'abord parce que tu ne les liras pas, et que, d'autre part, je suis bien tranquille, car, si tu les lis, tu n'y comprendras rien. Mais je te les offre parce qu'ils sont nés sur les galets de la Manche, dans les coins de paysage de Normandie, dans une nature tapageuse parmi les dessous de bois et les buissons. Nous y sommes-nous piqués, hein! Effet bizzare; presque tous ont une allure triste. Très peu sont gais. En me les rappelant, je songe à un vol de corbeaux que j'ai vu, où, se mêlaient, ça et là, quelques alouettes effarées, et qui s'élevait au-dessus d'un parterre enchanteur et très riant de pavots rouges, de marguerites neigeuses et de belles gueules-de-loup. C'est, vois-tu, une habitude des faiseurs de vers de n'être jamais où ils sont. Si tu venais m'embrasser pendant la lecture d'un sonnet de Baudelaire, je serais capable de ne pas m'interrompre, et, si l'on m'annonçait la mort de mon père entre deux strophes d'Hugo, je dirais :"Attendez." Je me rappelle aussi les enthousiasmes. Tu as beau dire: tu admirais, mais tu ne comprenais pas. Pourtant, il était d'un grand charme pour moi, ce battement de mains tout de confiance, et rien n'est plus doux au coeur d'un homme que le ravissement de la femme qu'il aime, qui l'aime, et la mine attentive qu'elle prend à chacune de ses paroles, d'autant plus  émue et intérieurement grisée qu'elle ne sait pas ce qu'il lui dit.
Ton adoré.
P.S. Tu sais que je me marie."

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