lundi 20 mai 2013

Un texte non inédit de Jules Renard 1/3

La pêche
M. Vernet n'était pas un pêcheur à embarras, un pêcheur savant, vaniteux, bavard, insupportable;  il n'avait point de costume spécial, d'engins coûteux et inutiles, et la veille de l'ouverture ne lui donnait pas la fièvre.
Une ligne lui suffisait, de fil coordonné; un bouchon discrètement peint, des vers de son jardin comme amorce, et un sac de toile où il rapportait le poisson. Pourtant M. Vernet aimait la pêche; passionnément, ce serait trop dire; il l'aimait bien, il n'aimait plus qu'elle, après avoir renoncé successivement pour des raisons diverses, à ses exercices préférés.
La pêche ouverte, il pêchait presque tous les jours, le matin ou le soir, le plus souvent au même endroit. D'autres pêcheurs accordent de l'importance au vent qu'il fait, au soleil qui chauffe, aux nuances de l'eau, M. Vernet aucune. Sa perche de ligne de noisetier à la main, il partait à son gré, longeait l'Yonne, s'arrêtait aussitôt qu'il ne voulait pas aller plus loin, déroulait, posait la ligne, et passait d'agréables moments, jusqu'à l'heure de revenir à la maison déjeuner où dîner. M. Vernet n'était pas assez fantaisiste, sous pretexte de pêche, pour manger mal à l'aise, dehors.
C'est ainsi qu'il se trouva, dimanche dernier, le matin, d'assez bonne heure. S'étant pressé un peu ce premier jour, assis sur l'herbe et non sur son pliant, au bord de la rivière.
Tout de suite, il s'amusa autant qu'il pouvait. Cette matinée lui semblait délicieuse, non seulement parce qu'il pêchait mais parce qu'il respirait un air léger, parce qu'il voyait miroiter l'Yonne, suivait de l’œil une course sur l'eau de moustiques à longues pattes, et écoutait des grillons chanter derrière lui.
Certes, la pêche l'intéressait aussi beaucoup.
Bientôt il prit un poisson.
Ce n'était pas une aventure extraordinaire pour M. Vernet. Il en avait pris d'autres! Il ne s'acharnait pas après les poissons, il était homme à s'en passer, mais chaque fois qu'un poisson mordait trop, il fallait bien le tirer hors de l'eau. Et M. Vernet le tirait toujours avec un peu d'émotion. On la devinait au tremblement de ses doigts qui changeaient l'amorce.M. Vernet avant d'ouvrir son sac, posa le goujon dans l'herbe. Il ne faut pas dire: "Quoi! Ce n'était qu'un goujon!" Il y a de gros goujons qui agitent si violemment la ligne que le coeur du pêcheur bat comme à un drame.
Suite demain.


Employer le terme Inédit à propos d'un texte de Jules Renard me laisse pourtant perplexe. Comment a-t-il pu échapper au éditeurs successifs de Jules Renard? Et pourtant, j'ai eu beau cherché dans les trois volumes de La Pléiade comme dans Dans la vigne de Jules Renard  de Léon Guichard, je n'ai pas trouvé le texte de La pêche.  
J'ai peut-être mal cherché. Si un lecteur de ce blog le retrouve, je le remercie d'avance de me le signaler.

T.J. 

Edit: Merci au lecteur de ce blog qui signale que "ce texte est tiré des Histoires Naturelles sous le titre Poissons page 140 (La Pléiade)".

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