vendredi 10 mai 2013

Suite d'hier.

À notre questionnaire [du Figaro], M. Jules Renard répond : 
Cher monsieur, 
Au théâtre, le public (le public, c’est moi) accepte tout, sauf l’ennui. Je dirais à chaque auteur dramatique « Je sais rire et pleurer, me passionner et même écouter; donne-moi donc ce que tu voudras, mais ne m’embête pas voilà mon goût.» 
Si la comédie dramatique est moribonde, Paul Hervieu, pour ne citer que Paul Hervieu, en vit joliment bien. 
Quant au mélodrame, il n’attend peut-être que son Cyrano. Que Rostand écrive le chef-d’œuvre du drame en prose, avec toutes ses horreurs, et ce sera le genre neuf.
J’ai ri comme un fou à des vaudevilles dont, par ingratitude, je ne me rappelle plus les titres. Je ne déteste dans le vaudeville que la scène de comédie, vous savez, la scène où l’auteur semble dire Ah! ils veulent de la comédie! Vaudevillistes, restez-le, c’est votre salut. 
Dans les auteurs morts ayant eu un prix dans votre enquête, je voudrais, si c’est permis, donner le mien à Labiche. Je ne préfère pas Labiche à Victor Hugo, mais je le place fort au-dessus de Becque. Je ne peux vous dire combien Becque me déplaît. 
J’ai beaucoup lu Scribe. Je me souviens du Verre d’eau d’une chaîne. C’était très bien. Pourquoi ce mépris? Il a été le roi de son temps. Rien ne prouve qu’il ne serait pas le roi du nôtre. Il s’appliquerait, il apprendrait son métier, il se mettrait vite à la mode et tel auteur en vogue n’en mènerait pas large. 
Pour finir par le numéro 1 (il faut bien), Lucien Guitry vous a dit qu’il avait reçu (il ne manquerait plus que ça) deux actes de moi. C’est vrai, mais j’ai une telle affection pour cet homme, et une telle admiration pour ce merveilleux artiste, que j’aime autant qu’il ne joue jamais ma pièce. A bientôt, cher monsieur, au théâtre, chez les fous. 
(Jules Renard, le Figaro, 24 septembre 1904.)
Le texte de la question posée par  Le Figaro a été publié sur ce blog à la date du 6 décembre 2012. De même que cette réponse publiée également le lendemain 7 décembre.

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