mercredi 12 décembre 2012

Jules Renard vu par Lucien Descaves 1/2

Heureux de l'élection de Jules Renard (à l'Académie Goncourt), nous eûmes hâte de la lui annoncer. Par malchance, il n'était pas chez lui, rue du Rocher; il dînait avec sa femme chez Marthe Brandès et ce ne fut qu'à minuit, à leur retour, qu'il trouva notre carte de visite avec ces seuls mots: "Cette fois, vous l'êtes!"
En réalité il fut très sensible à son élection.
Son Journal intime et ses Sourires pincés qui lui étaient bien personnels et qu'il essayait dans la glace avant de les traduire en prose, portent la trace d'un évènement qui lui tenait à cœur. Quand il se montre aimable et reconnaissant, c'est parce qu'il ne peut faire autrement. Il a recueilli tous les échos de son succès et s'en amuse. Il a ruminé ce qu'il appelle des mots de théâtre, compté les voix qui lui semblent assurées, celles qu'il n'a pas et qu'il aura. On dirait qu'il procède  à des réussites. Au fond, il ne pense qu'à cela... Et c'est l'histoire de presque toutes les élections. 
"La réclame de cette histoire m'amuse", avoue-t-il. Et de conclure gentiment: "l'Académie me paraît malade; ça a l'air d'une maison de retraite pour vieux amis. La littérature s'en désintéresse. " nommé, il nous remercie du bout des lèvres et de la plume et s'empresse de noter, sans changer de gamme: " Je proposerai une augmentation de traitement. Il faudrait maintenant acquérir une juste obscurité."
Le souvenir de Huysmans le préoccupe: "Je suis moins tranquille en ce qui le concerne. Je sens tout le poids de cette lourde succession. J’imagine la figure géométrique, pointue pour de bon, que feraient les traits de son visage. Il me regarderait avec bienveillance, mais aussi avec son sourire énigmatique."
Puis, il se demande s'il ne devrait pas envoyer toute cette Académie à la balançoire... A quoi il répond: -Oui si j'étais riche.
Or, sans être riche, son aisance pouvait lui permettre ce luxe.
Suite demain.
(Lucien Descaves, Mémoires d'un ours, p. 235)

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